Le souhait de Jeff Gorton : « Beaucoup de patience »
Deux ans après avoir lu, en français, un long message dont il saisissait à peine la signification des « bonjour, merci, hockey, Canadien et Montréal » qu'il prononçait, Jeff Gorton a ajouté quelques de mots à son vocabulaire.
Premier en tête de liste: patience!
Comme dans « beaucoup de patience », que le vice-président exécutif aux opérations hockey et gouverneur-adjoint du Tricolore lance avec un sourire de satisfaction qui n'a d'égal que l'accent magnifique propre aux Bostoniens et à leurs proches voisins du Massachusetts.
Jeff Gorton a célébré mardi le deuxième anniversaire de son embauche à la tête du Tricolore. Pour l'occasion, les joueurs lui ont fait cadeau d'une victoire arrachée aux Blue Jackets à Columbus.
Croisé jeudi, dans le salon Hartland Molson, à deux coups de patin du vestiaire de son équipe, avant le match contre les Panthers de la Floride, Gorton s'apprêtait à être témoin d'un revers cinglant de 5-1. Un revers illustrant à quel point la patience dont il parlait quelques heures plus tôt était toujours de mise, deux ans après son embauche, et le sera encore pour un bon moment.
S'il réclame « beaucoup de patience », Gorton demeure prudent quant à la quantité exacte que les partisans devront démontrer en attentes des jours meilleurs promis lors de son embauche.
Il demeure tout aussi prudent quand on lui demande de déterminer où en est rendu le plan de reconstruction élaboré avec son directeur général Kent Hughes et mis en chantier au quotidien par Martin St-Louis et ses adjoints.
« C'est difficile d'établir avec précision où nous sommes rendus, car il y a un fossé entre les améliorations constatées dans le jeu de nos jeunes joueurs et les résultats qui demeurent le critère d'évaluation numéro un des partisans. Mais j'aime répéter que le plan suit son cours normal. Et aussi, et surtout, qu'il faut prendre le temps nécessaire pour le mener jusqu'au bout », nuance Gorton.
Un mentor pour St-Louis?
Parlant de Martin St-Louis, débarqué à la barre du Tricolore avec toutes ses connaissances et son expérience de joueur, avec la compétitivité qui l'a toujours caractérisé et qui l'a mené au Temple de la renommée du hockey, il demeure aussi vert que les meilleurs espoirs de son équipe.
Avec le recul des 142 matchs qu'il a dirigés depuis le 10 février 2022 – 55 victoires, 75 revers, 12 défaites en prolongation ou tirs de barrage – Jeff Gorton serait-il tenté de suggérer à son jeune coach de se trouver un associé d'expérience? Un vieux routier qui pourrait le guider dans sa quête de trouver la voie qui mènera son club jusqu'à l'objectif de devenir un club susceptible de gagner les grands honneurs?
Voire de l'imposer!
« On a déjà eu des discussions avec Martin à ce sujet. Il est à l'aise avec son équipe et je suis en harmonie avec cette décision. Je ne vois pas de bénéfice à imposer quelqu'un de plus. Si Martin nous faisait une telle demande, on prendrait les moyens pour le satisfaire. On travaille très fort pour développer notre équipe. Notre propriétaire Geoff Molson nous donne tout ce que nous demandons pour maximiser ce développement. Si un tel ajout était souhaité et justifié, on irait de l'avant. Mais ce n'est pas dans les plans actuellement. »
Caufield, Guhle, Slafkovsky, Suzuki
S'il est difficile de préciser l'échéance du plan Gorton-Hughes-St-Louis, il est permis d'avancer que les Suzuki, Caufield, Slafkovsky et Guhle seront des vétérans à ce moment.
« Dans les faits, c'est un travail continu. Tu n'es jamais vraiment rendu au bout, car même les équipes qui gagnent la coupe Stanley doivent apporter des changements l'année suivante », s'empresse de répliquer Gorton.
Avec raison.
Cela dit, pour que le plan fonctionne, il sera essentiel que le carré d'as actuel en matière d'espoirs au sein de l'alignement devienne un carré d'as tout court. Ce qui n'est pas acquis. Du moins, pas encore.
Recruteur dans l'âme, le vice-président exécutif est toutefois convaincu que les quatre jeunes dont il est ici question atteindront les projections établies en fonction de leur talent, de leur potentiel.
Comme celles des amateurs, les projections de Jeff Gorton sont très élevées.
« L'état-major précédent nous a fait cadeau de Suzuki, Caufield et Guhle. On doit les en remercier. Nick est déjà notre capitaine, Cole a tous les atouts pour devenir un marqueur de 50 buts et on voit toujours en Guhle un défenseur numéro un aussi solide pour orchestrer des attaques que pour freiner les assauts des autres clubs. Est-ce qu'ils atteindront tous mes projections? On verra. Mais on mettra tout en œuvre pour les aider à y arriver », défile Gorton.
Et Slafkovsky? Tout premier choix au repêchage qui se déroulait au Centre Bell il y a deux ans, le premier repêchage de Gorton et son équipe, Slafkovsky tarde à donner aux partisans les résultats qu'ils réclament.
« Beaucoup de patience », reprend alors Gorton avec son accent de la Nouvelle-Angleterre.
« Il est primordial d'éviter les conclusions hâtives quand il est question du développement d'un jeune joueur. Qu'elles soient positives ou négatives. Slaf aura besoin de temps. Mais quand je le regarde aller, le recruteur en moi demeure convaincu qu'on a sous la main un jeune joueur qui sera un jour un attaquant de puissance de premier plan. Un joueur qui s'imposera autant par son physique que par son talent. Donnons-lui le temps de le prouver », plaide Gorton.
Reinbacher : erreur corrigée?
Quand on demande à Jeff Gorton si le retour en Europe de David Reinbacher, l'automne dernier, a été motivé par le désir de ne pas répéter l'erreur – aux yeux de plusieurs, dont moi le premier – de livrer Juraj Slafkovsky «en pâture» trop rapidement aux amateurs qui s'attendaient et s'attendent toujours à beaucoup de sa part, le vice-président recule sur sa chaise.
« Je ne considère pas que c'était une erreur de faire commencer la saison à Juraj l'an dernier. Il avait plus d'expérience dans les rangs professionnels européens que David. Il était plus prêt physiquement. Cela dit, s'il n'avait pas été blessé, peut-être qu'on aurait pu profiter de la proximité du Rocket pour lui offrir l'occasion d'aller y jouer un peu. On étudiait d'ailleurs cette option en cours de saison. Mais il a été impossible de le faire », explique Gorton.
Le vice-président exécutif reconnaît toutefois que l'éloignement du défenseur repêché au cinquième rang de la première ronde l'été dernier lui permet de se développer dans un anonymat relatif qui lui est bénéfique.
« Il n'y a pas de recette miracle. On prend les meilleures décisions possibles selon les circonstances et la nature de nos jeunes joueurs. David a été placé dans l'environnement qui est le meilleur à ce moment-ci de son développement. En fin de compte, ce qui est le mieux pour lui servira éventuellement le mieux l'équipe. »
Note de passage
Lorsqu'il est devenu grand patron, derrière Geoff Molson, des opérations hockey du Canadien, Jeff Gorton a reçu un sage conseil de Bob Gainey.
À titre d'ancienne gloire du Tricolore, de capitaine qui a soulevé la coupe Stanley à bout de bras, qui a été porté en triomphe par ses coéquipiers, qui a été directeur général de l'équipe en plus d'assumer, deux fois plutôt qu'une, l'intérim derrière le banc le temps de 57 parties, Gainey connaissait très bien le marché de Montréal.
Il connaissait tout aussi bien la pression avec laquelle Jeff Gorton s'apprêtait à composer. Une pression susceptible d'étouffer n'importe qui, n'importe quand.
« Bob m'a dit de m'attendre à ce que toutes mes décisions soient scrutées, remises en question, approuvées par les uns, décriées par les autres. Il m'a ensuite précisé de me réjouir si j'obtenais 51 % d'approbation pour chaque décision que j'allais prendre », lance Gorton en riant.
Deux ans et deux jours après sa nomination, Jeff Gorton est-il prêt à se donner une note supérieure au 51 % dont Gainey faisait référence où à se contenter de ce seuil symbolique?
« Ce n'est pas à moi de noter mon travail. C'est à mon patron et aux partisans de le faire. Cela dit, on est encore loin de l'évaluation finale. Mais pour l'instant, je peux avancer que je suis fier de ce que nous avons accompli jusqu'ici. On travaille en collégialité Kent, Martin et moi. Nos familles étant demeurées aux États-Unis, on a beaucoup de temps pour parler de hockey. Peut-être trop! », qu'il reconnaît en riant.
« Je dois apprendre à laisser à Kent toute la place dont il a besoin pour travailler. Je suis sûr qu'il te dirait que je mets mon nez dans ses affaires trop souvent. Mais en même temps, c'est comme ça qu'on travaille. On parle beaucoup, on échange, on conteste, on suggère d'autres pistes de solution et on se respecte assez pour arriver à arriver aux meilleures décisions. À celles qui aideront le plus l'équipe à s'améliorer. Je n'étais pas friand à l'idée de garder trois gardiens. Mais jusqu'ici, ça va très bien », qu'il avance avec prudence avant de souhaiter ne pas avoir jeté un mauvais sort à cette situation avec sa déclaration.
À ce moment, Gorton savait sans doute déjà que Samuel Montembault était sur le point de signer le contrat qui le lie maintenant au Canadien pour les trois prochaines années. Une situation qui devrait aider à dénouer l'impasse du ménage à trois.
En amour avec Montréal, qui lui rappelle Boston, sa ville natale, Jeff Gorton adore aussi son travail et la pression qui en découle. Il se compte d'ailleurs très chanceux d'avoir pu travailler au sein de la moitié des clubs originaux de la LNH : à Boston, New York et maintenant à Montréal, où les partisans ne sont pas beaucoup plus patients que ceux qui encouragent les Rangers et les Bruins.
Ces derniers ont toutefois été beaucoup plus gâtés par leurs favoris au fil des 30 dernières années. Soit depuis la dernière conquête de la coupe Stanley du Tricolore.
Jeff Gorton le sait très bien. Comme il sait tout aussi bien que la patience dont lui, son état-major, Martin St-Louis et les joueurs qu'il dirige profitent cette année sera beaucoup plus difficile à obtenir dès l'an prochain.
S'ils en obtiennent…