Les grands gagnants seront heureux dans cinq ans
MONTRÉAL - Comme leurs homologues des 31 autres clubs de la LNH, le président du Canadien Jeff Gorton, le directeur général Kent Hughes et tous leurs dépisteurs qui sillonnent la planète hockey chaque année pour identifier les meilleurs espoirs ont quitté le Centre Bell heureux vendredi.
Bien avant que l'Avalanche du Colorado ne réclame le Bélarussien Ivan Zhigalov, gardien du Phoenix de Sherbrooke au 225e et tout dernier rang du repêchage 2022, les recruteurs du Canadien et des autres équipes s'échangeaient des poignées de mains vigoureuses et des tapes dans le dos.
Sourires aux lèvres, visiblement satisfaits d'avoir ajouté le joueur de centre Owen Beck – premier joueur sélectionné en deuxième ronde – et huit autres espoirs à Juraj Slafkovsky tout premier choix de la cuvée 2022 et à son copain d'enfance Filip Mesar (26e) sélectionnés jeudi soir, les recruteurs du Canadien affichaient tous la fierté du devoir accompli. Du travail bien fait.
« J'espère que nous serons encore heureux dans cinq ans », que le co-directeur du recrutement du Canadien Nick Bobrov a plus tard candidement reconnu en mêlée de presse.
Nick Bobrov et son associé à la tête du recrutement chez le Canadien Martin Lapointe sont très fiers des 11 espoirs qu'ils ont greffés à l'organisation du Tricolore.
S'ils les ont choisis, c'est parce qu'ils aimaient leurs qualités. C'est parce qu'ils considèrent qu'il y aura moyen de corriger leurs défauts. Ou certains d'entre eux. C'est parce qu'ils aiment leur caractère, la maturité qu'ils affichent malgré leur jeune âge. C'est surtout parce qu'ils jouent de la bonne façon.
Mais Bobrov, comme Lapointe, comme leurs recruteurs et tous ceux des 31 autres formations savent aussi que seul le temps permettra de dire s'ils ont eu raison de préférer Juraj Slafkovsky à Shane Wright; s'ils ont eu raison de sacrifier Alexander Romanov pour mettre la main sur Kirby Dach au lieu de repêcher un défenseur promis à une belle carrière; s'ils ont eu raison de préférer le centre Owen Beck à des défenseurs québécois qui étaient disponibles; s'ils ont eu raison de miser gros sur le talent offensif indéniable du petit défenseur américain Lane Hutson (62e sélection) plutôt que de se tourner vers des arrières plus gros.
Dans toutes les incertitudes reliées au repêchage qui s'est déroulé jeudi et vendredi au Centre Bell, une certitude trône tout en haut de la liste.
Les 11 joueurs sélectionnés par le Canadien ne défendront pas tous les couleurs du Tricolore à un moment ou un autre au cours de leur carrière.
Si Juraj Slafkovsky fait honneur à son titre de premier Slovaque de l'histoire à être sélectionné au tout premier rang du repêchage et qu'il devient un pilier de l'attaque au sein d'un trio piloté par Nick Suzuki et complété par Cole Caufield, ce sera un excellent début.
Si Owen Beck devient en plus un jour un troisième centre de grande qualité capable de contrer les meilleurs attaquants adverses et qu'il ajoute 45-50 points par saison, les recruteurs du Canadien mériteront des applaudissements.
Si, en prime, Filip Mesar, le franco-ontarien Cedrick Guindon ou un autre des espoirs sur qui ils ont misé cette année se taillent une place avec le grand club, Martin Lapointe, Nick Bobrov et leurs recruteurs mériteront des primes importantes.
D'ici à ce que les réponses finales ne tombent, le Canadien est pour le moment meilleur qu'il ne l'était il y a deux jours. Meilleurs en raison de l'espoir suscité par tous ces espoirs. Mais tous ses adversaires le sont aussi!
St-Louis aura le mandat de relancer Dach
Le Canadien est meilleur aussi en raison de l'entrée en scène de Kirby Dach.
Pendant que les jeunes espoirs descendaient des gradins lors de la quatrième ronde, Kent Hughes et l'entraîneur-chef Martin St-Louis sont allés faire un tour dans les gradins.
Ils ont passé près d'une trentaine de minutes en compagnie de Gerry Johansson.
Parce que Johansson est l'agent de Carey Price, j'ai tout de suite cru que Hughes et St-Louis profitaient de sa présence au Centre Bell pour faire le point sur son état de santé. Pour déterminer les probabilités qu'il puisse reprendre son poste dès le début de la prochaine saison. Qu'il puisse disputer 35, 45, 55 matchs. Ou qu'il soit contraint à annoncer une retraite hâtive.
Les trois hommes n'ont pas parlé de Price. Ils devront le faire bientôt, car cette incertitude lie les mains et les pieds de Kent Hughes dans ses préparatifs en vue de la prochaine saison. Mais ils ne l'ont pas fait vendredi.
Ils n'ont pas parlé non plus de Brendan Gallagher.
Pas plus qu'ils n'ont amorcé des négociations – du moins des négos sérieuses – afin d'établir les paramètres du premier contrat de Juraj Slafkovsky qui joindra sans doute les rangs du Tricolore dès la saison prochaine.
Les trois hommes ont parlé de Kirby Dach.
Gerry Johansson a dressé un portrait de son jeune client. Il a expliqué pourquoi ses premières années avec les Hawks n'ont pas été à la hauteur des attentes associées au fait qu'il a été le troisième joueur repêché en 2019 : après Jack Hughes (Devils) et Kaapo Kakko (Rangers). Tout juste avant le défenseur Bowen Byram qui vient de soulever la coupe Stanley avec l'Avalanche du Colorado.
Hughes et surtout St-Louis voulaient en savoir plus sur le jeune centre de 21 ans. Sur ses qualités. Sur ses défauts. Sur la blessure qui l'a ralenti. Sur la pression de réussir qui l'a plus écrasé que poussé à se surpasser.
Un rôle important attend le gros, mais rapide, joueur de centre avec le Canadien. On voit en lui l'appui dont Nick Suzuki aura besoin au sein d'un top-6 à qui la direction donnera quelques saisons pour bien se développer.
Pour l'aider à remplir ce rôle, Kent Hughes est convaincu que Martin St-Louis saura trouver une manière de placer Kirby Dach dans un contexte gagnant. De le rassurer. De l'encadrer. De lui donner les outils pour réussir.
Kirby Dach devrait débarquer à Montréal rapidement. Pour se familiariser avec son nouvel environnement bien sûr. Mais aussi pour rencontrer son nouveau coach.
Un nouveau coach qui a profité de la rencontre avec son agent Gerry Johansson, vendredi, pour en apprendre plus sur le jeune homme qu'il croisera afin de mieux planifier le plan de relance qu'il aura à mettre en place.
Martin St-Louis a signé un contrat lucratif de trois ans pour relancer le Canadien. Mais pour bien relancer l'équipe, il faut d'abord et avant tout être en mesure de relancer les joueurs qui forment cette équipe.
Kirby Dach a besoin d'être relancé et la réussite de ce défi supplémentaire qui se dresse devant Martin St-Louis déterminera si l'acquisition de Kirby Dach est, comme je le crois pour le moment, un excellent coup de Kent Hughes ou si cette transaction tombera dans la filière des échanges qu'on regrette.
Bobrov-Lapointe : un 2e monstre à deux têtes
Lorsque Jeff Gorton a annoncé la nomination de Kent Hughes à titre de directeur général du Canadien, j'ai décrit cette association comme un monstre à deux têtes tout en haut des opérations hockey du Canadien.
Pour le moment, ces deux têtes se complètent très bien et on est loin des risques soulevés l'hiver dernier de les voir s'entrechoquer au point de mettre en péril la bonne marche des opérations.
Voilà qu'un deuxième monstre à deux têtes s'installe au sein de l'organisation du Canadien alors que Nick Bobrov et Martin Lapointe partagent la direction du recrutement.
Bien honnêtement, je croyais que les jours de Lapointe étaient comptés avec le Canadien. Non! Je ne croyais pas qu'il serait limogé tout de suite après le repêchage qui vient de prendre fin, mais je croyais qu'il quitterait en raison du fait qu'il doive partager des responsabilités.
Ce ne sera pas le cas. Du moins pour les deux prochaines années : « Je suis ici. J'ai encore deux ans à écouler à mon contrat et j'entends bien terminer mon mandat », que Lapointe a assuré lors de la mêlée de presse qui a suivi la fin du repêchage vendredi.
Les deux têtes qui dirigent le système de recrutement du Canadien risquent de se frapper de temps en temps au fil des débats parfois orageux qui entourent la sélection d'un joueur plutôt qu'un autre.
Ça ne fait pas peur à Lapointe. Pas plus qu'à Bobrov.
Mais aussi, mais surtout, ça fait bien l'affaire du directeur général Kent Hughes. « Je tiens à avoir ces deux gars à la tête du système de recrutement justement parce qu'ils ne voient pas les choses du même angle, justement parce qu'ils présentent des analyses différentes. Ça va donner lieu à des débats c'est clair. Mais ce sera très sain et ça permettra, du moins c'est mon opinion et mon objectif, de prendre des décisions plus éclairées et de faire les meilleures sélections possibles lors des prochains repêchages », que Kent Hughes m'a expliqués en après-midi vendredi.
Bien hâte de voir si un troisième monstre à deux têtes apparaîtra un jour au sein de l'organisation du Canadien...
Québécois et LHJMQ
Le Canadien avait 14 choix au repêchage cette année. Il a finalement effectué 11 sélections. Il a attendu à sa toute dernière, la 216e au total, pour se tourner vers la LHJMQ et vers un Québécois : le défenseur Miguel Tourigny.
D'autres organisations, dont les Ducks D'Anaheim, forts de l'implication du responsable du recrutement Martin Madden fils qui maintient la tradition établie par Alain Chainey, ont pigé trois fois en huit sélections dans la cour du Canadien.
Trois fois de suite alors qu'ils ont repêché le centre Nathan Gaucher – 22e sélection des Remparts de Québec – et les défenseurs des Olympiques de Gatineau Noah Warren et Tristan Luneau (42e et 53e sélections).
Plusieurs autres formations ont été plus actives que le CH dans leur quête de talent d'ici. Ce qui relance une fois encore le grand débat sur le mandat du Canadien.
Le mandat des recruteurs est de donner à l'équipe les meilleurs espoirs possibles. Il n'est pas toujours facile de repêcher des gars d'ici. D'abord, ils sont moins nombreux. Ensuite, les équipes qui les ont dans la mire n'aideront pas le Canadien à les obtenir.
Le Canadien a peut-être essayé de grimper en première ronde pour sélectionner Gaucher au 22e rang. Ça n'a pas marché. Et Martin Madden fils n'a pas pris le risque de le laisser disponible au Canadien avec sa 26e sélection.
Les autres?
Les listes de sélection dictent les décisions de toutes les équipes. Est-ce que le CH est trop dur dans ses évaluations sur les gars de la LHJMQ? Je ne sais pas. Mais quand vient le temps de sélectionner, il est normal qu'il prenne le joueur le plus en vue sur sa liste.
C'est comme ça.
Il est difficile de reprocher au Canadien de tourner le dos au talent d'ici. Difficile parce qu'on ne sait pas s'il lui tourne vraiment le dos bien que les tableaux de chasse très minces des dernières années le laissent croire.
À mes yeux, le Canadien ne devrait pas sélectionner des gars d'ici simplement pour faire plaisir aux partisans. Simplement pour faire taire les médias. Surtout qu'il peut faire le plein de joueurs d'ici par le biais du marché des joueurs autonomes. La présence de nombreux Québécois qui connaissent du succès avec le Rocket à Laval le démontre avec éloquence.
Mais il n'a pas le droit de balayer du revers de la main un joueur qui grandit dans sa cour et de laisser un adversaire venir le chercher et profiter de son talent trois, quatre six ans plus tard.
Ça non!
Est-ce que le Canadien a commis cette faute impardonnable cette année? Comme pour ses 11 sélections, seul le temps nous le dira.