MONTRÉAL – « T’es malade, Bégin. Arrête de te battre contre ces gars-là. Tu vas finir par te faire tuer! »

 

Non, Steve Bégin n’a pas écouté ces sages paroles du vétéran gardien Grant Fuhr, qui n’appréciait pas que son entraîneur de l’époque, Brian Sutter, avec les Flames de Calgary, se serve de lui comme de la chair à canon face à des joueurs plus imposants.

 

Bégin n’a pas suivi ce conseil parce qu’il devait faire ses classes dans une période où le hockey ne faisait pas de cadeau. D’ailleurs, dès sa jeune enfance, le Trifluvien avait appris auprès de son père que la vie ne lui donnerait rien. Il allait devoir se battre, dans tous les sens du mot, pour obtenir ce qu’il souhaitait afin de sortir de ce milieu pauvre et rude.

 

Ceux qui ont suivi sa carrière se souviennent de sa déclaration inoubliable selon laquelle il allait « manger les bandes » lors d’un retour au jeu d’une blessure pendant les séries du printemps 2004.

 

« Je vais manger les bandes ce soir »

 

À vrai dire, il a adopté cette approche durant toute sa vie en déployant une force mentale fascinante. Il n’a pas amassé 1700 points comme Mario Lemieux, il n’avait pas le talent extraordinaire de Guy Lafleur et il n’a pas soulevé la coupe Stanley 11 fois comme Henri Richard. Sauf qu’il a défoncé des portes – ou plutôt des bandes – pour parvenir à réussir une carrière impressionnante même quand des entraîneurs lui mettaient des bâtons dans les patins.

 

Steve Bégin : ténacité, courage, leadershipAu final, son parcours devient autant inspirant, sinon plus, que ces grands hockeyeurs québécois qui étaient dotés d’un talent exceptionnel. L’auteur et collègue Luc Gélinas le démontre admirablement bien dans son savoureux récit de 245 pages.

 

Les fervents de hockey savaient déjà que Bégin a bûché, mais ils y découvriront une panoplie hallucinante de détails à se mettre sous la dent. À vrai dire, c’est fascinant de constater que Bégin se souvienne de toutes ces informations croustillantes considérant le lot de commotions cérébrales dont il a été victime.

 

Parlant de cet aspect qui a heureusement progressé, le thérapeute des Flames dans la Ligue américaine était un ancien responsable de l’équipement aux connaissances médicales inexistantes. Par conséquent, il a joué dans un état amoché au point qu’il ne se souvenait plus de ses présences précédentes sur la patinoire et qu’il tombait seul sur la glace.

 

Ça ne l’a pas empêché de mener, avec une démonstration de courage remarquable qui mérite d’être lue, le club-école des Flames au championnat de la Ligue américaine quelques mois plus tard. Cassé en morceaux, il n’a jamais levé le pied de l’accélérateur, si bien qu’il a été choisi le joueur par excellence des séries.

 

Cet aplomb a confirmé qu’il méritait d’accéder à temps plein à la LNH après avoir été incapable de s’y établir pendant trois années consécutives en raison d’un mélange de blessures et de rares ouvertures offertes. Craig Button, le directeur général des Flames, est littéralement tombé sous son charme durant ce passage dans la Ligue américaine et il lui a déclaré « On a toujours besoin de gars comme toi dans la Ligue nationale. À partir de maintenant, tu ne joueras plus jamais dans la Ligue américaine ».

 

Une fois de plus, le hockeyeur tenace et hargneux venait de franchir une étape cruciale. Sans être le plus talentueux, il a réussi à confondre les sceptiques avec éclat. On peut penser au poste qu’il s’est taillé dès sa première tentative avec les Foreurs de Val-d’Or, aux Flames qui l’ont repêché aussi haut que la deuxième ronde et à sa réussite de pousser les Flames à le garder à Calgary au terme de son second camp d’entraînement avec eux.

 

Cet extrait est tout simplement magique à lire. À ce moment, l’anglais de Bégin était si mauvais qu’il n’avait rien compris des intentions du directeur général des Flames. Il croyait qu’il le retournait à Val-d’Or.

 

« Ce n’est pas ça qu’il essaye de t’expliquer! Les Flames veulent te faire signer un contrat, a dû lui expliquer son agent Yves Archambault au bout du fil. »

 

Signe que son premier passage avec les Flames a été spécial pour l’organisation, Darryl Sutter, devenu le patron du club, l’a même serré dans ses bras quand il a été échangé aux Sabres de Buffalo.

 

Le livre, qui se lit si facilement parce qu’il jongle avec des dimensions psychologiques, sportives et humaines, nous apprend également tous les détails de son arrivée surprise avec le Canadien alors que Montréal était la dernière destination dont Bégin rêvait.

 

À l’aide de sa témérité, il a développé sans tarder une histoire d’affection avec la plupart des partisans, mais le tout s’est gâché sous les ordres de Guy Carbonneau.

 

On saute quelques étapes pour ne pas vous dévoiler trop de passages intéressants, mais c’est avec l’organisation des Predators de Nashville qu’un point tournant de sa carrière est survenu. Les médecins ont découvert un immense problème à une hanche nécessitant une opération qui allait enfin le soulager de plusieurs années de grande souffrance.

 

Parce que Bégin devait être récompensé par la vie à la suite d’un tel dévouement, il a obtenu une dernière occasion de revenir dans la LNH via Bob Hartley avec les Flames. Excessivement intense pendant toute sa carrière, il s’est enfin permis de savourer le privilège de jouer dans la LNH à partir de ce moment.

 

Sa femme et ses deux filles étaient d’ailleurs présentes, en surprise, à ce qui s’est avéré son dernier match dans le circuit Bettman et lors duquel il a enfilé deux buts. On ne pouvait souhaiter un plus beau scénario à une meilleure personne.

 

Persévérant jusqu’au bout des doigts, Bégin a même complété son diplôme secondaire au terme de sa carrière de hockeyeur. En se confiant de manière aussi captivante à Luc Gélinas, il incitera des jeunes et des moins jeunes à repousser leurs limites. Il aurait été facile de poursuivre ce tour d’horizon de ce livre, mais on préfère vous laisser le plaisir de le dévorer comme Bégin mangeait les bandes!