Repêchage : les jeux sont loin d'être faits
MONTRÉAL – Devrait-on s'inquiéter du fait que le Canadien n'ait pas encore déterminé qui de Shane Wright, Juraj Slafkovsky et même Logan Cooley il repêchera avec la toute première sélection de l'encan amateur qui se déroulera, jeudi, au Centre Bell?
Pas vraiment!
À trois jours d'un événement que le Canadien prépare depuis qu'il a gagné la loto-repêchage le 10 mai dernier, cette indécision pourrait être interprétée par certains comme un manque de vision de la part de l'état-major.
Mais dans les faits, cette indécision reflète la réalité propre aux meilleurs espoirs de la cuvée 2022 : aucun des candidats de tête ne se démarque assez pour justifier une sélection facile et évidente.
Shane Wright est-il meilleur que Juraj Slafkovsky? Logan Cooley mériterait-il plutôt de coiffer les deux favoris au sprint final?
Toutes ces questions sont bonnes. Et vous savez quoi? Toutes les réponses le sont aussi. Du moins pour l'instant. Car au-delà les préférences des uns et des autres, seul le temps permettra de déterminer qui méritait vraiment le titre de premier choix de la cuvée 2022. Et du temps, il faudra en donner plus que pas assez. Car c'est dans trois, quatre, voire cinq ans qu'une réponse solide s'imposera.
Depuis que le Canadien est assuré de repêcher au premier rang, on a droit à une surmultiplication des grandes vérités et d'aussi grands mensonges en ce qui a trait au repêchage.
Dans un océan de spéculations insignifiantes qui ont donné lieu au fil des dernières semaines à des débats plus insignifiants encore et à des mitrailles d'insultes sur les réseaux sociaux, on a pu relever des îlots d'évaluations détaillées, de réflexions songées et de commentaires réfléchis. Des îlots sur lesquels il a fait bon s'installer pour prendre le temps de lire, d'analyser et de comprendre. Ou de tenter d'y comprendre quelque chose. Car c'est loin d'être une science exacte.
Je lève donc ici mon chapeau à mon collègue Stéphane Leroux, un as de l'analyse des forces et des faiblesses des joueurs qui frappent à la porte de la LNH, et à tous mes collègues qui ont fait du travail sérieux et qui ont pris des positions arrêtées bien que cela leur ait valu des orages violents de critiques virulentes. En espérant que les «cliques» obtenus ont pu faire contrepoids un brin ou deux aux insultes et injures encaissées…
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Ce que mes savants collègues ont fait, c'est ce que le Canadien et ses 31 rivaux de la LNH font depuis des semaines. C'est ce que le Canadien fera au cours des prochains jours afin d'arrêter une décision finale.
« Je peux avoir mes préférences», a indiqué Kent Hughes en point de presse, lundi après-midi, au centre d'entraînement de Brossard.
« Mais je veux obtenir les avis de tous les membres de l'état-major et de tous nos dépisteurs afin de prendre la meilleure décision pour le bien à long terme de l'équipe », a ajouté le directeur général du Canadien.
Après avoir répondu aux dernières questions des journalistes, Kent Hughes et Vincent Lecavalier, le conseiller spécial aux opérations hockey, sont vite allés rejoindre le reste de l'équipe de direction. Ils devaient passer la soirée de lundi dans la grande salle de réunion. Ils devraient débattre encore des points favorisant l'un ou l'autre des trois candidats dans la mire du CH encore mardi. Les débats pourraient se prolonger plus longtemps. Aussi longtemps qu'il le faudra avant d'arriver à une sélection définitive qui sera confirmée jeudi soir dans un Centre Bell plein à craquer.
À moins que...
Échanger le premier choix
À moins que le Canadien décide de tourner le dos à l'opportunité de repêcher au tout premier rang pour une première fois en 42 ans. Pour la première fois depuis qu'il a préféré Doug Wickenheiser à Denis Savard – sélectionné troisième par les Blackhawks de Chicago après que Dave Babych eut été réclamé par les Jets de Winnipeg – au repêchage de 1980.
J'imagine une seconde le boucan dans les hauteurs du Centre Bell s'il fallait que le commissaire Gary Bettman, après avoir souhaité la bienvenue à tout le monde, lance qu'il a une transaction à annoncer. Une transaction impliquant le Canadien et son tout premier choix.
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« Ce ne serait pas la décision la plus populaire », a candidement admis Kent Hughes en esquissant un sourire.
Mais Kent Hughes n'occupe pas le poste de directeur général du Canadien pour être populaire, mais pour prendre les décisions qui feront de cette équipe de dernière place, un club capable de viser les grands honneurs dans un avenir le moins lointain possible.
Est-ce que la meilleure décision possible serait d'échanger le premier choix?
Impossible de répondre à cette question à moins de savoir ce que le Canadien serait en mesure d'obtenir. Kent Hughes a refusé de faire le moindre pas dans cette direction. Il s'est bien gardé aussi de dire si, oui ou non, il avait reçu des appels de clubs intéressés à obtenir ce premier choix.
Histoire de brasser les cartes un peu plus encore, Kent Hughes a aussi reconnu qu'il pourrait se servir d'un joueur de son équipe – allo Jeff Petry! – et/ou de l'un ou l'autre de ses 13 autres choix au repêchage pour obtenir une deuxième sélection dans le top-10.
Et pourquoi pas les deux premières sélections? Ce qui permettrait de faire plaisir à ceux et celles qui militent en faveur de Shane Wright et à ceux et celles qui voient en Juraj Slafkovsky le prochain Jaromir Jagr.
Comment y arriver? Disons que les Devils du New Jersey sont intéressés. Tu inverses leur deuxième choix avec le 26e (qui appartient au CH), tu donnes Jeff Petry, la 33e sélection et un peu plus si c'est nécessaire et peut-être que ça pourrait marcher. Peut-être...
Échanger le premier choix? Y aller pour un grand coup double? Se «contenter» du premier rang?
Kent Hughes a indiqué qu'il gardait toutes les portes ouvertes. Pour le moment. Mais il a aussi admis que «si le repêchage avait lieu ce soir – en parlant de lundi – le Canadien utiliserait son droit de repêcher au tout premier rang depuis la sélection de Wickenheiser.
Le meilleur à 25 ans
Dans toutes les discussions et débats animés qui ont marqué les dernières semaines, on a beaucoup parlé des dernières saisons des meilleurs espoirs.
Shane Wright a connu une légère baisse de régime. Juraj Slafkovsky a été rien de moins qu'impressionnant aux Jeux olympiques et au Championnat du monde. Logan Cooley a joué dans l'ombre des deux autres dans les rangs universitaires qui ne jouissent pas de la même attention médiatique que la Ligue Canadienne de hockey ou les JO.
Mais ces informations, aussi valables soient-elles, ne sont pas la pierre d'assise sur laquelle le Canadien s'appuiera pour prendre sa décision finale jeudi.
«Je ne veux pas repêcher le meilleur joueur de 18 ans, je veux que le Canadien repêche celui qui sera le meilleur joueur à 22, 23, 25 ans. Je veux que le Canadien repêche celui qui nous aidera le plus dans l'avenir», que Kent Hughes a indiqué.
Et c'est ça qui rend le travail si complexe. C'est ça qui multiplie les incertitudes qui font que d'un repêchage à l'autre, un joueur en qui toutes les équipes fondaient de beaux espoirs se rive le nez dans la bande alors que d'autres, que tous les clubs regardaient de haut, deviennent non seulement de très bons joueurs, mais même des vedettes dans la LNH.
«Comme agent, j'ai souvent regardé des jeunes en me disant : avec un bon entraîneur, ce gars-là va devenir tel genre de joueur ou tel autre genre. Je me suis souvent trompé parce qu'il n'est pas donné à tous les jeunes d'avoir les qualités nécessaires, au-delà le simple talent, pour se développer et s'établir dans la LNH», que Kent Hughes a expliqué.
Le DG du Canadien s'est appuyé sur Brad Marchand pour appuyer ses propos.
«Brad Marchand est le meilleur joueur de hockey que je connaisse à être capable de s'améliorer. Je le suis depuis qu'il évoluait dans la LHJMQ. D'année en année, il s'est amélioré. À 34 ans, il s'améliore toujours», que Hughes a défilé en assurant que le joueur que le Canadien repêchera avec la première sélection – s'il la conserve – et tous les autres qui suivront profiteront de la patience de l'état-major pour se développer et s'améliorer.
«C'est vrai que les choix de première ronde sont attendus rapidement dans la LNH et que nous espérerons avoir ces choix avec nous dès cette année. Mais si on juge que c'est mieux pour le bien du jeune et en fin de compte pour le bien de l'équipe qu'il prolonge son développement dans les mineures, c'est l'avenue qu'on prendra», que le directeur général a expliqué.
À titre de tout premier choix de la cuvée 1998, Vincent Lecavalier a vécu ce que les trois jeunes qui sont dans la mire du Canadien vivent depuis des semaines. Décris comme le prochain «Micheal Jordan du Hockey» par l'ancien propriétaire du Lightning Art Williams, Lecavalier a composé avec l'énorme pression reliée à son rang de sélection et aux attentes qui en découle.
À titre de conseiller spécial aux opérations hockey du Tricolore, Lecavalier s'assure de bien faire comprendre à ses collègues de la direction que les fluctuations des performances au cours de la saison précédant un repêchage peuvent s'expliquer autrement que par une simple baisse de régime. Il a aussi profité de son poste pour échanger avec Shane Wright et il le fera aussi au cours des prochains jours avec Juraj Slafkovsky et Logan Cooley.
Je vous invite d'ailleurs à lire ici le texte de mon collègue Éric Leblanc sur les rôles que Vincent Lecavalier remplit dans le cadre du repêchage.
Avec l'aide de Vincent Lecavalier, de son patron Jeff Gorton qui est un solide dépisteur de talent, des deux patrons du recrutement amateurs, Martin Lapointe et Nick Bobrov, et de tous les dépisteurs de l'organisation, Kent Hughes a encore trois jours pour orchestrer son premier repêchage à titre du DG du Canadien.
À la lumière de ses commentaires, ces trois jours ne seront pas de trop, car contrairement à bien des observateurs et bien des partisans qui ont des positions bien arrêtées depuis longtemps, les jeux semblent pour le moment très loin d'être faits dans le camp du Tricolore.