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50 ans plus tard, la Série du siècle de 1972 marque encore les esprits

Série du siècle - Canada contre Union soviétique Série du siècle - Canada contre Union soviétique - Getty
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MONTRÉAL - Au fil des générations, les succès des hockeyeurs canadiens sur la scène internationale ont toujours été une source de grande fierté nationale.

Qu'on pense au but en or de Sidney Crosby contre les États-Unis en finale des Jeux olympiques de Vancouver en 2010. Ou encore à la victoire décisive du Canada contre l'Union soviétique en finale du tournoi de la Coupe Canada 1987 grâce au but de Mario Lemieux, sur une passe de Wayne Gretzky.

Mais en raison du contexte de l'époque, la Série du siècle de 1972 reste de l'avis de plusieurs l'Événement à marquer d'une pierre blanche. Non seulement a-t-il marqué les esprits de toute une génération de façon indélébile, mais il a aussi ouvert la voie à l'internationalisation du hockey.

Cette confrontation inédite à l'époque de huit matchs en septembre 1972 entre le Canada et l'Union soviétique, dont on célèbre ce mois-ci le cinquantenaire, s'est inscrite dans une volonté de rétablir le prestige du hockey canadien, éclipsé sur la scène internationale par les Soviétiques à compter de 1954.

« Il faut se rappeler que le Canada a dominé le hockey international dans la première moitié du 20e siècle, explique Jean Lévesque, professeur au département d'histoire à l'UQAM. Puis les Soviétiques arrivent en 1954, ils battent le Canada en finale du Championnat du monde et, deux ans plus tard, aux Jeux olympiques. C'est une grosse claque en plein visage. »

Cela amène une période de remise en question au Canada, même si on prétexte que la supériorité des Soviétiques sur la scène internationale n'offre pas un véritable portrait de la hiérarchie puisque les professionnels de la LNH ne sont alors pas autorisés à jouer les tournois internationaux réservés aux amateurs.

L'idée germe donc au début des années 1970 de réunir les meilleurs joueurs professionnels canadiens pour une série contre l'équipe nationale de l'URSS.

Et le premier ministre canadien de l'époque, Pierre Elliott Trudeau, n'y est pas étranger. Dès 1968, il avait créé un groupe de réflexion chargé d'étudier la place du Canada sur la scène sportive internationale, ce qui mène notamment à la création de Hockey Canada.

Désireux de promouvoir l'image d'un Canada fort et uni, il se montre aussi favorable à ce tournoi dans une volonté de rapprochement et de nouer des liens diplomatiques en cette période de Guerre froide. Après des négociations et des rencontres officielles entre M. Trudeau et le premier ministre soviétique Alexei Kosygin, la série devient réalité, les quatre premiers matchs étant disputés au Canada et les suivants en Union soviétique.

« L'idée de la Série du siècle, je crois, est d'abord canadienne. Mais les Soviétiques ont assez bien réagi, poursuit M. Lévesque. Ce qui est nouveau à l'époque, c'est qu'on reconnaît que le hockey a une valeur diplomatique et politique. »

Son collègue Reneo Lukic abonde dans le même sens.

« Les années 1970 constituent une période importante d'un point de vue géopolitique. C'est une période de détente dans les relations Est-Ouest », rappelle Lukic, professeur associé au Département des sciences historiques de l'Université Laval.

« Pour les Canadiens, le hockey était une question d'orgueil national. Pour l'Union soviétique, c'était une façon de valoriser le système en place, de montrer que même dans le domaine du hockey, où les capitalistes se croient invincibles, le système communiste est supérieur. »

État de choc

Quand ils se présentent en sol canadien pour le début de la série, les Soviétiques jouent pourtant la carte de la modestie, affirmant même « être venus pour apprendre ».

Le verdict du premier match - victoire de 7-3 des Soviétiques au Forum de Montréal, le 2 septembre - a donc l'effet d'un électrochoc chez les joueurs canadiens et parmi les partisans à travers le pays.

« C'était un choc pour les Canadiens de voir les Russes jouer si bien, se rappelle Gabor Csepregi, ancien recteur de l'Université de Saint-Boniface à Winnipeg, membre de l'équipe canadienne de water-polo aux Jeux olympiques de 1972 à Munich, qui chevauchaient le début du tournoi de hockey cette année-là.

« Je ne crois pas que les Soviétiques étaient sous le choc. Ils savaient très bien que leurs entraînements planifiés au cours des années précédentes allaient porter ses fruits. »

Csepregi, qui plus jeune a côtoyé les athlètes soviétiques quand il était encore dans sa Hongrie natale, note que les succès des Soviétiques au hockey ont été longuement et méthodiquement préparés.

« Le système sportif soviétique s'appuyait sur une planification à long terme et un recrutement assidu des meilleurs athlètes. Ils voulaient montrer par le biais du sport l'état actuel et l'état à venir de leur société. Leurs sportifs sont en quelque sorte des ambassadeurs de leur société. »

Et les quatre matchs en sol canadien leur auront permis de le faire valoir, avec deux victoires, une défaite et un verdict nul.

Le choc est si grand au pays que les joueurs canadiens sont hués à l'issue de la défaite de 5-3 lors du quatrième match de la série à Vancouver.

Un cri du coeur

Le moral des joueurs canadiens, blessés dans leur orgueil, est alors au plus bas. Comme le rappelle l'ex-gardien Ken Dryden dans son livre paru récemment « La Série du siècle, telle que je l'ai vécue », le capitaine Phil Esposito accorde une entrevue télévisée après cette rencontre où il exprime son désarroi, se faisant l'écho de ses coéquipiers.

« Chacun des 35 joueurs, nous avons accepté de porter les couleurs d'Équipe Canada pour la seule raison que nous aimons notre pays. Je ne pense pas que nous méritons d'être hués », relate Dryden en citant les propos d'Esposito.

La série, qui se déplace à Moscou pour les quatre derniers matchs, se transforme en affrontement au sommet où la fibre patriotique est exacerbée et les médias canadiens y contribuent avec des gros titres, comme « la campagne de Russie » dans La Presse du 9 septembre, une référence à la campagne militaire désastreuse de Napoléon en 1812.

« Certains voient ça un peu comme l'Iliade, quelque chose d'épique, analyse Jean Lévesque. C'est le combat de la fierté nationale contre une autre. Sans en faire la critique, je pense que les journalistes canadiens sont entrés dans le jeu. »

Il en allait de même de l'autre côté du rideau de fer.

« D'après ce que je me souviens, il ne faut pas penser que le spectateur soviétique était complètement ignorant de la signification de cette série, se souvient Gabor Csepregi. Il y avait aussi une mise en scène dans les journaux locaux, notamment La Pravda et Izvestia, où la place accordée à la section des sports était quantitativement supérieure à celle du Globe (Toronto) ou de The Gazette (Montréal).

« Même si les spectateurs russes exprimaient moins leurs émotions, ils ressentaient une grande fierté de voir leurs joueurs si bien faire. »

Un constat s'impose selon plusieurs analyses: la Série du siècle a uni, tout au moins le temps de la série, les Canadiens d'un bout à l'autre du pays derrière leur équipe.

À preuve, le 5 septembre, au lendemain de la première victoire du Canada à Toronto, le quotidien montréalais La Presse titre: « Yvan Cournoyer sauve l'honneur du Canada ». Ce genre d'image est repris tout au long de la Série par les médias d'ici.

De même, une image valant 1000 mots, au lendemain de la victoire finale de 6-5 à Moscou qui permet au Canada de gagner les honneurs de la série, une caricature de Girerd dans La Presse illustre trois amateurs, dont René Lévesque brandissant un drapeau canadien dans la main droite, devant un téléviseur sautant de joie à l'annonce du verdict et s'exclamant `Vive les Canadiens'.

L'ex-défenseur Serge Savard, membre de l'équipe canadienne en 1972, est d'avis que la série a eu un effet rassembleur au pays, même si le Québec vivait son propre éveil nationaliste.

« Ce que le monde ne se rappelle pas trop, c'est que notre drapeau n'avait qu'à peu près cinq ans d'existence au moment de la série (ndlr: l'Unifolié est en fait devenu le symbole officiel du Canada, le 15 février 1965). Et il était très controversé au départ. Certains auraient aimé qu'on garde un peu des couleurs de l'Union Jack. Mais la journée où nous avons mis la feuille d'érable devant notre chandail, il a fait l'unanimité. »

Un héritage durable

Que reste-t-il de la Série du siècle 50 ans plus tard? Si elle a d'une certaine façon changé la perception du sport canadien sur la scène internationale, elle aura surtout profondément modifié la pratique du hockey nord-américain.

« À l'époque, il n'y avait aucun Européen dans la LNH (ndlr: le Finlandais Juha Widing constituant l'exception), les Américains commençaient à produire des joueurs. Mais 95 pour cent des joueurs étaient Canadiens. Cette série a été le tournant. Aujourd'hui, le hockey est international », souligne Serge Savard.

De fait, sur les 721 joueurs au début de la dernière saison dans la LNH, les Canadiens ne représentaient que 43% des effectifs. Et lors du dernier repêchage amateur en juin, ce sont 225 joueurs qui ont été réclamés et seulement 136 étaient originaires du Canada ou des États-Unis, les autres provenant de 11 pays différents.

« C'était le début des changements dans le hockey, poursuit Savard. Nos instructeurs ont commencé à se questionner sur les méthodes d'entraînement. Les Russes sont arrivés avec une méthode d'entraînement et ils ont surpris tout le monde. Ç'a amené beaucoup, beaucoup de changements. Cette série a été ce qui a été de plus important dans les changements dans le hockey ces 100 dernières années. »

Gabor Csepregi, qui a aussi été entraîneur de l'équipe canadienne de water-polo de 1978 à 1985, note que la méthode soviétique a fait école.

« Les Soviétiques ont bien compris, ce que les Canadiens ont compris plus tard, qu'il faut toute une équipe pour préparer une équipe. Regardez seulement combien d'entraîneurs il y avait derrière les joueurs dans les années 1960. Et maintenant, c'est trois, en plus des masseurs, physiothérapeutes, psychologues, nutritionnistes. »

Ken Dryden résume bien l'héritage de la Série du siècle sur le hockey dans la conclusion de son livre paru le mois dernier.

« Ce ne sont pas les historiens qui ont décidé. C'est l'Histoire. Ce sont les Canadiens. D'autres équipes et d'autres joueurs à d'autres époques ont peut-être été meilleurs que nous, mais la série de 1972 demeure le moment le plus important de l'histoire du hockey. »