Repêchage LNH : l'opération séduction de Raoul Boilard
BUFFALO – Pile poil à l'heure prévue, Raoul Boilard réapparaît au bout du long corridor qui mène aux loges du KeyBank Center de Buffalo. « Le Canadien, c'était plus intense! », souffle le joueur de centre du Drakkar de Baie-Comeau en nous rejoignant au point de rendez-vous.
Nous sommes au Jour 4 du camp d'évaluation des meilleurs espoirs de la LNH. Boilard, l'un des Québécois les mieux cotés en vue du repêchage, a accepté de nous faire une petite place à ses côtés pendant une partie de la journée. Le hasard a voulu que le Tricolore soit l'une des quatre équipes à son horaire ce jour-là.
Stressant, rencontrer l'état-major du Bleu-Blanc-Rouge ?
« Peut-être un peu, admet-il. En tant que Québécois, c'est sûr que j'ai hâte de voir. Je fais Boston, ensuite le Canadien, deux grosses équipes. Je rentre là confiant. »
Au terme de son entrevue, l'Estrien confirme le mot qui se passe entre tous les espoirs : l'équipe de Montréal fait les choses différemment.
« J'ai dit intense, mais c'est des bonnes questions, précise-t-il. Intense dans le sens qu'ils veulent vraiment savoir ce que tu penses, ils te challengent là-dessus. C'est rien de méchant. L'ambiance est même chaleureuse au début. »
Boilard a été accueilli dans la pièce par Martin Lapointe, le directeur du recrutement amateur du club. C'est lui, dit-il, qui a piloté la majeure partie de l'entrevue. Il a aussi remarqué la présence d'un psychologue du sport.
« Il est quand même assez intense, répète-t-il. Ce n'est pas qu'il veut te rentrer dans la tête, mais je crois qu'il veut vraiment voir si tu as du caractère. Ils vont plus loin que les autres équipes, ils ne restent pas juste en surface, ils creusent. C'est comme ça que je l'expliquerais. »
À son arrivée à Buffalo, quelques jours plus tôt, Boilard a appris que 15 équipes avaient demandé à le rencontrer. Ce chiffre diffère d'un joueur à l'autre. Par exemple, Maxim Massé des Saguenéens de Chicoutimi avait 29 rendez-vous au programme durant la semaine. Boilard refuse d'interpréter quoi que ce soit dans l'emploi du temps de ses compagnons. Le jeu des comparaisons ne l'intéresse pas.
« Il y a des équipes qui démontrent de l'intérêt durant la saison, qui te parlent beaucoup, mais rendu ici, je ne les ai pas vues. Je ne pense pas que ça veut dire qu'elles ne m'aiment pas. Après la saison, j'ai parlé à beaucoup d'équipes, j'ai fait des Zoom qui ont duré une heure et je ne les rencontre pas ici. Je me dis qu'elles ont toute l'info dont elles ont besoin et qu'elles veulent rencontrer d'autre monde. Je n'y vois rien de négatif. Il y a aussi des équipes avec qui j'ai peu parlé durant l'année et qui ont demandé à me rencontrer. »
Constance, discipline et rigueur
Le camp d'évaluation des espoirs, ou « Combine » dans le jargon, est une grosse étape dans la saison d'un joueur admissible au repêchage. Toutes les équipes y délèguent d'imposants contingents. Après une longue saison, c'est une dernière occasion de laisser une bonne impression avant le Jour J. Une carrière ne se jouera pas sur un faux pas en entrevue ou un mauvais chrono aux tests physiques, mais l'exercice est assez important pour que les agents prennent le temps de préparer leurs clients.
« Pour nous, je dirais que c'est 50-50, estime Boilard qui, avec son coéquipier du Drakkar Alexis Bernier, est représenté par Nicola Riopel et Étienne Lafleur de l'agence Propulsion. Ils nous préparent un peu, mais ils veulent nous laisser faire. Ils savent qu'on se débrouille bien en entrevue, Alexis et moi, alors ils nous laissent aller. Mais on s'est parlé avant de venir à Buffalo. Nick a vécu l'expérience du Combine, alors il nous a prévenus contre quelques questions pièges, des "curveballs" comme il dit. Mais jusqu'à maintenant, je n'en ai pas eu. »
Au-delà du stress qu'il peut occasionner, le Combine peut s'avérer un processus fastidieux qui demande aux jeunes adultes qui en sont le centre d'attraction constance, discipline et rigueur. Sollicités depuis l'automne dans leurs marchés respectifs comme dans les médias de plus grande envergure, les voilà qui doivent se soumettre à un manège redondant qui les expose encore et encore aux mêmes questions.
Certains choisissent de s'y soumettre avec le sourire alors que d'autres cachent un peu moins bien leur lassitude. Boilard appartient à la première catégorie.
« Tu veux te vendre à toutes les équipes, tu veux répondre de la même manière à tout le monde. Oui, c'est répétitif. Mais il y a des questions qui changent, chaque équipe à sa manière de faire. »
Les Hurricanes de la Caroline, par exemple, ont voulu visionner avec lui quelques séquences tirées de sa dernière saison pour évaluer, on présume, sa lecture du jeu et sa capacité à se remettre en question.
« Avoir l'air tanné, je ne pense pas que c'est la bonne attitude à avoir! De toute façon, après le repêchage, il n'y aura plus de questions comme ça. C'est une expérience, tu vis ça une fois dans ta vie. Vaut mieux le faire à fond et en profiter. »
Honnêteté et imputabilité
Sinon, elles veulent savoir quoi, les équipes de la LNH, au sujet du joueur que l'organe d'évaluation officiel de la Ligue classe au 51e rang parmi les patineurs ayant passé la dernière saison en Amérique du Nord?
Certaines le questionnent sur ses récents choix de carrière. Pour faire une histoire courte, Boilard avait d'abord décidé qu'il emprunterait l'avenue du réseau universitaire américain. Avec son frère Jules, il s'était engagé auprès du programme de l'Université du Nebraska et afin d'y conserver son admissibilité, il était parti jouer à 16 ans dans une ligue junior A de la Colombie-Britannique, la BCHL.
Ça s'est plus ou moins bien passé. Les frérots ont changé d'équipe à mi-chemin dans la saison – « ce n'était peut-être pas la place pour nous autres », dit-il – et à la fin de l'année, ils se sont laissés convaincre par l'entraîneur du Drakkar Jean-François Grégoire, une vieille connaissance, de rentrer au bercail.
« C'était une dure année. Peut-être que je n'étais pas assez mature physiquement, pas assez mature tout court. J'avais toujours été un joueur qui avait beaucoup de temps de glace, un des meilleurs de mon équipe. Quand tu te retrouves sur la troisième ou quatrième ligne, c'est difficile. Quand j'en parle en anglais, je dis que ça m'a rendu plus humble. »
« Je comprends [les équipes de poser des questions]. C'est important qu'elles comprennent ce qui s'est passé. Comme je dis, ça a été une année difficile. Mais quand je regarde en arrière, je referais la même affaire. »
Dès son arrivée à Baie-Comeau, Boilard a su qu'il avait bien fait de s'écouter et de faire demi-tour. Le Drakkar a connu une saison fantastique, au-delà des attentes. Les succès collectifs se sont reflétés dans la fiche personnelle de sa nouvelle recrue, qui a amassé 62 points en 68 matchs.
En séries, par contre, Boilard a connu une baisse de régime. Il n'a produit que huit points, la huitième récolte au sein de son équipe. Il a notamment été blanchi dans les quatre matchs de la finale remportée par Drummondville. Pour ça aussi, quelques équipes ont tenté d'obtenir une explication.
« C'est sûr qu'il y a eu une petite baisse, reconnaît-il. Mais quand tu joues pour une équipe qui vise la coupe, comme joueur de 17 ans sur le troisième trio, tu ne peux pas te plaindre. Moi j'ai toujours aimé mon rôle au Drakkar. On disait souvent qu'on avait un bon top-9 et que les lignes n'avaient pas d'importance. Mais il y avait des bons joueurs en avant de moi, je comprends tout ça et c'est normal. J'ai eu moins de temps de glace, ça a eu un impact sur la production. Mais je pense que c'était dans l'ordre des choses. »
Samedi après-midi, après les tests d'aptitudes physiques et une dernière tournée d'entrevues avec les médias, Boilard prendra une navette vers Toronto, où il prendra un avion pour Montréal. Il s'offrira ensuite une semaine de congé au bord du lac, un luxe qu'il n'aura pas volé. « Le repos, ça fait aussi partie de l'entraînement », dit-il sagement. Il reprendra ensuite la routine dans le gymnase jusqu'au 25 juin, date du départ pour Las Vegas.
À ce moment-là, et à ce moment-là seulement, il s'attend à ce que son armure d'assurance et de sang-froid perde sa perméabilité au stress.
« C'est sûr que j'ai des attentes. Je suis compétitif, je veux sortir le plus tôt possible. J'ai eu une bonne année, je suis un gars confiant. Les deux premières rondes, c'est ça que je vise. Si c'est pas ça, c'est pas grave. C'est ce que tu fais après, et l'équipe qui te repêche, qui compte. Mais pour moi, la deuxième ronde, ça veut dire les 64 meilleurs. Je suis un gars confiant et je pense que j'ai ma place là-dedans. »