MONTRÉAL – À l’automne 1967, l’autobus des Maple Leafs de Trois-Rivières doit s’immobiliser pendant plus d’une heure, en fin de soirée, au retour d’un match sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent. Impossible d’aller plus loin, il fallait attendre... le traversier. 

 

Lorsqu’on se plonge dans les plus beaux souvenirs des 50 ans de la LHJMQ, qui sont célébrés cette année, on oublie parfois qu’il s’agissait d’une tout autre époque.

 

La saison inaugurale, c’est celle de 1969-1970. Elle avait été le théâtre de la fusion des ligues provinciale et métropolitaine ce qui avait mené à la création de la Ligue Junior A du Québec, l’ancêtre de la LHJMQ.

 

« Je me souviens que cette année-là, ma dernière dans le junior, était encore plus plaisante parce qu’on avait le pont! » 

 

Ce témoignage vient de Luc Simard, un acteur important de cette première saison. L’attaquant des Ducs de Trois-Rivières, le nouveau nom porté par l’équipe, a remporté le championnat des pointeurs en devançant un certain Guy Lafleur. 

 

Très humble, Simard est plus à l’aise de parler de l’inauguration, en décembre 1967, du pont Laviolette que de son exceptionnelle saison de 90 buts 84 aides pour 174 points ! 

 

La preuve qu’en cinq décennies d’histoire, la LHJMQ a été le phare de grands hockeyeurs ainsi que de colorés personnages qui ne doivent pas être oubliés. À 68 ans, Simard n’est pas du style à se vanter, mais lui et Lafleur (des Remparts de Québec) s’étaient livré une chaude lutte pour le titre des pointeurs. Lafleur avait eu le dessus pour les buts avec une récolte phénoménale de 103, mais Simard avait tenu le coup au niveau des points avec 174 (90 buts et 84 aides) contre 170 pour son rival (103 buts et 67 aides). 

 

En dépit de cette production colossale de Simard, la défunte équipe des Ducs avait été écartée des séries à la suite d’un incident digne du folklore du hockey junior. En effet, dans le cadre de l’un des premiers matchs juniors disputés devant une énorme foule à Québec, une foire éclate comme c’était fréquent dans ces années.   

 

« On a perdu notre entraîneur, Roland Morrisseau, quand un spectateur lui a lancé un œuf sur l’oeil. Il est demeuré pendant environ un mois à l’hôpital et il a perdu la vue de cet œil. Disons que sa perte a fait pas mal chuter notre équipe après. On avait une bonne équipe, mais on était jeunes. Ça prend quand même un coach pour imposer une discipline et gérer les entraînements », a raconté Simard en précisant que Richard Leduc avait joué un rôle de joueur-entraîneur. 

 

Ça n’empêche pas que Simard a adoré ses années junior, il en parle encore avec passion. Il se fait un plaisir de nommer les grands coéquipiers et adversaires qu’il a côtoyés comme Lafleur, Gilbert Perreault, Jacques Richard, André Savard, Gilles Meloche, Michel Archambault et compagnie. Il accorde une place spéciale à René Robert, Gary Brown, Richard Leduc et Alain Balthazard. 

 

Pour lui, c’était vraiment la belle époque. 

 

« C’est sûr! Quand tu ne t’attends pas à ça au début en plus. On aimait tous jouer au hockey, mais je ne m’attendais pas à avoir de tels chiffres », a confié Simard dans une généreuse entrevue de près d’une heure avec le RDS.ca. 

 

Pas facile de percer dans une LNH moins inclusive

 

C’est en insistant un peu qu’il finit par sortir son précieux livre de souvenirs confectionné par un membre de sa famille. On y retrace des dizaines d’articles relatant ses exploits et des photos plus que précieuses. 

 

Luc SimardOn le voit notamment au camp d’entraînement des Maple Leafs de Toronto en 1970 (à droite sur la photo). Parce que ses exploits ne sont pas passés inaperçus. En dépit de sa petite taille (cinq pieds neuf pouces), il a été repêché par Toronto en cinquième ronde. 

 

Mais là aussi, le contexte était totalement différent avec l’existence de seulement douze équipes dans la LNH. Son expérience permet de réaliser que plusieurs joueurs talentueux n’ont jamais pu se tailler une place à ce niveau en raison des postes qui étaient limités. 

 

« J’ai été repêché par Toronto, mais il y a un seul gars de tous ceux qu’ils ont choisis qui a pu pratiquer avec l’équipe. C’est assez dur de faire l’équipe dans ce temps-là. Mais disons qu’il était vraiment bon, c’était Darryl Sittler. Leur équipe était déjà complète à ce moment. Je pense à René Robert qui a appartenu à Toronto pendant trois ou quatre ans sans jamais pratiquer avec l’équipe », a exposé Simard en citant Robert qui a finalement récolté 702 points dans la LNH quand il a eu sa chance. 

 

Si l’expérience n’a pas été la plus agréable, elle aura été marquante pour d’autres raisons. 

 

« On pratiquait au Maple Leaf Garden. Des messieurs de l’armée venaient pour diriger notre entraînement hors glace pendant que le gros club pratiquait. Après, on s’habillait et on allait patiner à notre tour. Un moment donné, on nous a convoqués pour nous demander notre avis et on a choisi d’arrêter les entraînements à l’extérieur de la glace. On était en train de se faire mourir », a raconté le sympathique retraité. 

 

Simard et les autres espoirs des Leafs ont ensuite été envoyés dans trois équipes différentes de ligues mineures et il fallait s’armer d’une immense patience pour attendre une ouverture. 

 

Il se disait que l’appel viendrait après des saisons de 68 et 67 buts à Cape Cod, mais il a fini par accepter son sort tout en choisissant sa famille.   

 

« Tu finis par vieillir, tu as 25 ans et tu deviens papa, mais tu ne revois ta fille que deux mois après sa naissance. Là, ça te fait mal au cœur parce qu’elle pleure, tu es un étranger pour elle. C’est à ce moment que j’ai arrêté de jouer. 

 

« J’avais fini en tête des compteurs partout et j’ai joué dans la Ligue américaine. Je me souviens d’une partie contre Mario Tremblay, Doug Risebrough, Gilles Lupien et toute cette gang des Voyageurs de Halifax », a expliqué l’homme dont le style s’apparentait à celui de Mike Bossy.  

 

Malgré tout ça, il n’a jamais reçu l’opportunité désirée. On ne sent pas d’amertume dans sa voix, mais on ne peut que se placer dans ses souliers et lui demander si une expansion quelques années plutôt lui aurait permis d’atteindre la LNH. 

 

« Je crois que oui, mais ça ne m’a jamais trop torturé. J’ai eu du bon temps et le hockey a été bon pour moi. Il y a bien des joueurs avec lesquels j’ai joué qui ont eu des problèmes  comme Gilles Gilbert qui s’est fait voler par son agent. Moi, j’ai été choyé, je suis rentré chez Molson après une saison avec les Jaros (de Beauce), j’ai travaillé 32 ans avec eux sur la livraison dans les alentours. Je ne regrette rien, j’ai pu faire une belle vie sans être millionnaire », a relativisé Simard ce sympathique père de deux filles et grand-père de trois filles. 

 

En bref

 

Comme bien des acteurs de la première saison, Simard n’aurait jamais imaginé un tel horizon de développement pour la LHJMQ dans ce demi-siècle qui s’est écoulé. Tout de même, il s’ennuie légèrement du lien de proximité qui existait avec les joueurs auparavant. Au retour des Prédateurs à Granby, lui et sa femme avaient d’ailleurs accueilli en pension un Norvégien et un jeune originaire de Rouyn-Noranda. 

 

Au niveau des études, la LHJMQ a fait d’immenses progrès sans que ce soit parfait. Simard ne peut s’empêcher de rire quand on le questionne à ce sujet. « Les matchs n’étaient pas loin donc on revenait toujours à la maison après la partie. Les professeurs étaient parfois un peu plus lousses un lendemain de match vu qu’on s’endormait. On étudiant à temps plein comme un élève normal et on pratiquait le soir de 17h à 19h environ. » Luc Simard

 

Vous voulez une autre preuve que c’était une autre époque. La voici : « Durant la deuxième saison de l’équipe, on avait utilisé un joueur qui n’était pas admissible. Dans ce temps-là, plusieurs gars se faisaient faire de faux baptistaires, c’est arrivé dans notre équipe », a-t-il rigolé en précisant que ça n’arrive pas juste à Cuba ou en République dominicaine. 

 

C’est tout aussi fascinant en ce qui concerne le salaire qui était versé aux joueurs. « À ma première année, on gagnait 10$ par semaine et 3$ du point. La deuxième année, c’était 15$ par semaine. Gilbert Perreault a joué à Thetford Mines pour 6 ou 7$ selon ce qu’on m’a dit et le mieux payé était Réjean Houle. »

 

Pas étonnant que Simard ait sursauté plus d’une fois en regardant la série Demain des hommes qui illustrait les expériences d’une équipe de niveau junior. « Ç’a pas d’allure. Les jeunes sont toujours dans les bars. Ce n’était pas comme ça dans notre temps surtout que ça prenait 21 ans. On n’a jamais fait ça, s’enfiler des shooters. Comment fais-tu quand tu gagnes 10$ par semaine? On n’avait pas le droit d’avoir d’auto en plus », précise-t-il. 

 

Malgré ses 68 ans, Simard vient à peine d’arrêter de jouer au hockey dans une ligue récréative. « Les gars était courant que j’avais joué dans la LHJMQ, mais ils ne savaient pas tous que j’ai fini en tête des compteurs. Disons que les gars étaient contents quand je venais jouer, on a eu bien du plaisir », dit avec humilité Simard qui excellait aussi au baseball.