Denis Gauthier : l'équilibre entre le père et l'analyste
Il faut bien connaitre les recoins de RDS pour se rendre au local attitré à l'équipe de l'Antichambre. Quelque part au premier étage se trouve une grande pièce décorée de photos d'invités. Cinq télévisions sont accrochées à un mur afin de pouvoir regarder plusieurs événements sportifs en simultané. Lorsque Denis Gauthier est présent, il n'est pas rare qu'un sixième écran se rajoute. Si le Phoenix de Sherbrooke est en action, Denis allume inévitablement sa tablette pour s'assurer de ne rater aucune présence de ses deux fils qui évoluent pour la même équipe de la LHJMQ.
Kaylen, 20 ans, est défenseur. Il se prépare à faire le saut avec les Patriotes de l'Université du Québec à Trois-Rivières, l'an prochain. Ethan, 18 ans, joue au centre. Tout indique qu'il sera repêché en première ronde lors de la prochaine séance de sélection de la LNH, en juin.
Deux étapes bien différentes, mais tout aussi importantes. Le paternel a vu le scénario se dessiner depuis longtemps. « Je n'ai jamais vendu un faux rêve à mes enfants. Je leur ai toujours dit que tout est possible, mais j'ai l'impression que le mur arrive plus vite ou frappe plus fort si tu t'es fait remplir par tes parents pendant toutes ces années-là. »
C'est ce qui fait que l'aîné n'a jamais cru qu'il suivrait le même parcours que son père, défenseur robuste qui a disputé plus de 500 matchs dans la LNH. « Il a toujours été très réaliste dans ce qu'il est et ce qu'il n'est pas. Il ne s'était jamais vraiment fait d'idées. » Kaylen a défié les pronostics en étant repêché dans le junior majeur. Quatre ans plus tard, le capitaine du Phoenix s'est forgé une réputation enviable grâce à sa discipline et son éthique de travail. S'il atteint les rangs professionnels, ce sera après avoir complété des études en finances.
Kaylen Gauthier
À l'inverse, le cadet a fait parler de lui partout où il est passé grâce à des habiletés offensives hors du commun. « Je n'avais pas le même discours avec Ethan. C'était complètement différent. Il avait un talent spécial que j'ai senti assez tôt. » La dernière liste de la Centrale de recrutement de la LNH le classe d'ailleurs au 14e rang chez les patineurs nord-américains en vue du repêchage. « Il peut y croire de façon plus réelle parce qu'il a un vrai potentiel », explique Denis en rappelant que le grand frère a aussi eu son rôle à jouer dans les dernières années. C'est lui qui a fait comprendre au jeune surdoué l'importance de rester humble malgré son talent.
Être papa et expert hockey
Dès qu'il a pris sa retraite de joueur en 2009, Denis est devenu commentateur au Réseau des sports. Soir après soir, il analyse les performances des joueurs de la LNH. S'il ne se mêle jamais du travail des entraineurs, il se permet de conseiller ses fils. Il a dû se remettre en question quelques fois pour s'assurer que son ton ne soit pas le même que sur le plateau de Hockey 360. « Je ne dis rien à mes gars qu'ils ne veulent pas écouter. Je leur demande s'ils veulent l'entendre et des fois c'est non. Je n'ai pas le goût de les écoeurer avec ça, mais c'est sûr que ça me démange parce que je veux juste les aider. » L'équilibre devient alors une notion importante.
C'est aussi vrai au sein de la dynamique familiale puisque Denis et sa conjointe Stéphanie ont également une fille de 15 ans. Kellyann pratique plusieurs sports, dont le volleyball et le soccer. Les parents essaient d'être les plus équitables possible en termes d'attention, même si les projecteurs sont braqués sur l'enfant du milieu en cette année de repêchage. « Des fois je pile sur mon orgueil et je vais au volleyball plutôt qu'au hockey parce que je sais que c'est important pour elle. Kelly comprend aussi mon milieu et mon attachement pour mon sport. Elle me pardonne », résume Denis en riant, tout en ajoutant que sa fille et Ethan communiquent au quotidien.
Gérer les émotions et les attentes
À moins de cinq mois de la séance de sélection de la LNH, le paternel se fait fréquemment interpeler par des recruteurs. Ils le bombardent de questions sur le caractère et la progression d'Ethan pour garnir leur rapport d'évaluation. Ils constatent aussi de leurs propres yeux la génétique familiale au niveau du physique. Les mêmes commentaires reviennent immanquablement: « La pomme ne tombe pas souvent loin de l'arbre. Il est né dans une famille de hockey. Il a été dans les arénas jeunes. Il sait ce que ça prend parce qu'il a vu son père et son cousin Julien », énumère Denis.
Il précise toutefois que le fait qu'il ait lui-même été sélectionné en première ronde, tout comme son neveu qui évolue pour les Rangers, ne change rien. « Ce n'est pas une pression, ni une distraction. Ce qui est le fun pour Ethan c'est qu'il sait que c'est possible parce que c'est arrivé à des gens qu'il connait. Ce n'est pas un rêve inatteignable. »
Ethan Gauthier
Il reste que le stress a monté d'un cran depuis le 25 janvier dernier. À quelques heures du Match des meilleurs espoirs de la LCH, le spécialiste du junior à RDS Stéphane Leroux annonce que les Canadiens ont un grand intérêt pour le jeune Gauthier. Les réactions n'ont pas tardé à se multiplier. Denis est partagé. En tant que joueur, il a rêvé d'endosser le chandail bleu-blanc-rouge. Comme père, il appréhende la pression mise sur les épaules des Québécois à Montréal. « J'ai extrêmement peur des réseaux sociaux. Est-ce qu'il peut endurer ça? Il est fait fort, mais c'est sûr que j'ai mes craintes. Ceci dit, si le Canadien le repêche cet été, je serais heureux comme un pape. Ce serait mon rêve que je vivrais à travers lui. »
Le père fait ensuite place à l'analyste et au potentiel conflit d'intérêts que la situation pourrait représenter. « D'entendre Benoit ou Gaston dire qu'il en a joué une pourrie alors que je suis avec eux à l'Antichambre, je ne sais pas comment je réagirais. »
À plus de quatre mois de la séance de sélection, il reste encore beaucoup de temps pour spéculer sur ce qui attend Ethan et sa famille. Chose certaine, ils seront nombreux dans les gradins à Nashville pour amorcer le prochain chapitre à ses côtés.
« Vas-tu pleurer Denis? »
« Très possible. Ça ne parait pas à cause de ma stature, mais je suis un gars quand même sensible. »
Personne ne pourra le blâmer. Denis sera toujours un père, avant d'être un homme de hockey.