Jessica Campbell : le léger fardeau d'une pionnière
MONTRÉAL – Concrètement, le rôle de Jessica Campbell chez le Kraken de Seattle ne diffère pas de celui des dizaines d'entraîneurs adjoints qui travaillent cette année derrière le banc d'une équipe de la Ligue nationale.
« Elle est là de bonne heure, elle reste là jusqu'à tard. Elle nous passe des rondelles, elle nous donne tout ce dont on a besoin », décrit Shane Wright. « Elle communique super bien, elle voit la game vraiment bien. Elle sort le iPad et on exécute exactement ce qu'elle veut sur les relances. Elle est vraiment précise dans ses demandes », renchérit Yanni Gourde.
Mais Campbell elle-même n'est pas dupe. Dans 50 ans, lorsqu'on parlera encore de son inédite trajectoire professionnelle, il ne sera pas question de ses savantes tactiques pour l'avantage numérique ou de sa capacité à trouver les mots justes pour aider un joueur à sortir d'une léthargie.
Pour toujours, elle sera la première femme à avoir accédé à un poste d'entraîneuse dans la LNH.
Pour l'heure, le sujet est incontournable. Le photographe qui est allé coller son objectif sous son nez – c'est une chance que la baie vitrée était là pour la protéger d'une intrusion encore plus invasive – l'avait compris. Tout comme les nombreux journalistes qui l'attendaient à la sortie du vestiaire du Kraken après un entraînement lundi matin au Centre Bell.
Cette attention, incompatible avec la réalité des travailleurs de l'ombre que sont ses collègues, fait presque partie de son quotidien. Elle sera assurément encore sous les projecteurs en milieu de semaine à Toronto et fort possiblement quelques jours plus tard dans la région d'Ottawa.
Campbell aurait pu évacuer le sujet en accordant quelques grandes entrevues aux médias les plus influents en début de saison. Elle pourrait demander qu'on la protège de ces distractions qui n'ont rien à voir avec les tâches pour lesquelles on la paie. Elle pourrait décider de s'en tenir au hockey.
Mais elle a compris que son visage est celui d'une cause à laquelle elle ne rendrait pas complètement service en restant dans les coulisses.
« Je mets mes patins de la même façon que tout le monde, je me concentre sur ce que j'ai à faire. Mais je comprends aussi le pouvoir de la représentation et la responsabilité que j'ai de tracer le chemin pour d'autres. Je veux être reconnue pour la qualité de mon travail au quotidien, mais je sais aussi que si je suis capable d'avoir un impact positif, il y a plus de chances que la porte restera ouverte pour quelqu'un qui me suit et qui a les mêmes aspirations. »
« Cette opportunité vient avec une responsabilité et je suis fière d'en avoir hérité. »
Campbell reconnaît que son approche alourdit un horaire déjà bien chargé. Elle a déjà donné de longues entrevues à CBC, à ESPN et à des chaînes locales de Seattle. Elle profitera de son passage à Montréal pour s'entretenir avec l'équipe de l'Antichambre. Tout va vite, mais elle assure être en mesure d'en profiter.
« Je m'assure de m'accorder du temps de réflexion ou des occasions de partager tout ça avec les autres. Je vois beaucoup de jeunes dans les gradins durant les périodes d'échauffement, des filles mais aussi des garçons. Quand nos regards se croisent, je sais qu'ils peuvent se voir en moi. Ces moments-là valent de l'or pour moi. Ils me rappellent à chaque fois dans quoi je me suis embarquée. Mais je dois aussi être capable de garder les pieds sur terre et me rappeler que mon job est de passer des rondelles et dessiner des jeux sur un tableau! »
Bylsma l'allié
Le fait que Campbell s'avère à la fois une excellente ambassadrice et une entraîneuse plus que compétente, même au plus haut niveau, ne surprend pas Dan Bylsma.
Quand il a obtenu le poste d'entraîneur-chef du club-école du Kraken en 2022, Bylsma a commencé à sonder son réseau en quête d'un jeune adjoint dont la carrière était en ascension. C'est alors que pour la première fois, pendant la diffusion d'un match du championnat du monde, son attention s'est posée sur Campbell. Celle-ci travaillait alors avec la sélection allemande.
Bylsma l'a recrutée pour compléter son groupe d'adjoints avec les Firebirds de Coachella Valley. Elle venait d'avoir 30 ans.
« Son parcours d'entraîneur me fait penser au mien, a souligné le pilote de 54 ans. J'ai arrêté de jouer à 33 ans et je me suis aussitôt lancé dans le coaching. Je dirigeais des joueurs qui avaient été mes coéquipiers. Mais je ne crois pas que l'âge soit un facteur dans les relations qu'un entraîneur bâtit avec ses joueurs. »
Campbell a épaulé Bylsma pendant deux ans dans la Ligue américaine. Quand les portes de la LNH se sont de nouveau ouvertes devant lui, il a jugé que Campbell était prête à l'y suivre. Le fait qu'elle avait travaillé avec des vétérans de la LNH, à l'époque où elle tentait de percer dans le métier à titre d'entraîneuse personnelle, a contribué à le sécuriser dans sa décision.
A-t-il senti qu'il prenait un risque en supposant qu'elle serait acceptée dans un vestiaire de la LNH? « C'est un défi pour n'importe quel entraîneur », a-t-il répondu avec justesse.
« Elle a une capacité à communiquer avec les joueurs, à se mettre à leur niveau et à faire le travail nécessaire sur le terrain pour leur permettre de s'améliorer. Elle l'a fait pendant deux ans à Coachella Valley et je suis confiant qu'elle puisse le faire dans la LNH. »