Repose en paix Gino Odjick
Fier Algonquin, fier de sa culture, fier de ses croyances, Gino Odjick savait qu'il irait rejoindre un jour les esprits de ses ancêtres flottant au-dessus de Kitigan Zibi pour guider et inspirer les jeunes qui grandissent dans cette réserve située tout près de Maniwaki.
La réserve où il est né dans le nord de l'Outaouais. La réserve où il a grandi; où il a appris à bûcher pour faire sa place dans la vie, pour rejoindre ses rêves. La réserve où il a donné ses premiers coups de patin et amorcé une lente et longue ascension qui l'a mené jusqu'à la Ligue nationale de hockey.
Gino était malade. Il était même très malade. Après avoir diagnostiqué une amylose cardiaque AL, une maladie très rare et incurable, les médecins lui avaient d'ailleurs annoncé son décès imminent : il n'en avait plus que pour quelques semaines. Pour quelques mois tout au plus.
C'était en 2014.
« Je sais que les Esprits vont venir me chercher, mais ça pourrait attendre encore 20 ans », que Gino m'avait lancé en riant lors de notre dernier entretien à l'automne 2019. À cette époque, l'homme fort amoindri par la maladie avait quand même été en mesure de déjouer les pronostics. Ou au moins, de les repousser. On parlait alors d'un miracle. Il avait même repris une vie presque normale. Une vie qui lui permettait de voir grandir ses plus jeunes enfants; de superviser le développement dans les communautés amérindiennes de la Colombie-Britannique; de garder contact avec ses amis; de renouer avec des partisans qui l'ont toujours traité comme une vedette. Comme une grande vedette.
Dimanche après-midi, les Esprits sont venus le chercher.
« On se parlait encore au moins une fois par mois. Il était mal en point depuis quelques semaines. Il avait dû être hospitalisé avant les Fêtes. Son cœur a finalement lâché », que Donald Audette, son grand ami et presque frère, m'a lancé lorsque joint en début de soirée dimanche quelques minutes après que la nouvelle du décès de Gino Odjick se soit propagée aux quatre coins de la planète hockey.
Des amis partout
Gino était bien sûr adulé dans toutes les réserves amérindiennes où il se présentait.
Il avait aussi des amis partout. De Maniwaki à Laval où il a joué avec le Titan à la fin des années 1980 en passant par Hawkesbury où il a endossé l'uniforme des Hawks dans les rangs tiers 2 en Ontario. Il avait des amis dans toutes les villes de la LNH. Ses anciens coéquipiers étaient ses amis. Plusieurs de ses anciens adversaires étaient ses amis. En fait, dès que tu avais l'occasion de partager du temps de qualité avec lui, Gino te traitait comme un ami.
Donald Audette et les membres de sa famille étaient toutefois dans une classe à part.
Comme Pavel Bure qu'il a protégé afin d'aider le Rocket Russe à devenir la grande vedette qu'il est devenu avec les Canucks de 1991, à son arrivée dans la LNH, jusqu'en janvier 1999 lorsqu'il a mis le cap sur le sud de la Floride après une transaction qui l'a fait passer aux Panthers.
« Gino faisait partie de la famille. Il était toujours chez nous », que Donald Audette a souligné lors d'un bref entretien dimanche.
« Je l'ai connu lorsqu'il est arrivé avec le Titan en 1988. Il était en pension chez nos voisins. Gino n'a jamais été un grand parleur. Mais à cet âge, à son arrivée dans la LHJMQ, il parlait moins encore. Les portes de notre maison étaient toujours ouvertes et Gino a commencé à venir prendre son café et lire le journal chez nous. Il ne disait rien et partait ensuite. Puis, il a commencé à parler avec mon père Claude. Avec ma mère et mon frère. Il s'est développé une relation bien plus serrée qu'une relation entre coéquipiers», se souvient Audette qui a renoué avec Odjick lorsqu'il a été échangé des Stars de Dallas au Canadien à l'automne 2000.
« J'étais bien content de pouvoir compter sur lui à Laval. C'était une autre époque. Le hockey était plus dur qu'aujourd'hui et il m'a sorti du trouble bien des fois. Mais ce qui m'a toujours impressionné avec Gino, c'est ce qu'il faisait hors de la patinoire. C'est de voir l'homme qu'il est devenu au fil de sa carrière et après sa retraite alors qu'il brassait des grosses affaires en Colombie-Britannique. Je perds bien plus qu'un ami aujourd'hui », a insisté Audette.
Plus qu'un simple redresseur de torts
Gino Odjick a toujours rempli avec fierté et respect son rôle de redresseur de torts. À cette époque, des joueurs comme Odjick faisaient fi des commotions cérébrales et de leurs conséquences néfastes. Ils allaient à la guerre soir après soir.
« J'ai vu Gino disputer des matchs et jeter les gants même s'il avait un ou des doigts fracturés. Je ne peux même pas imaginer ce que ça représentait en fait de commotions. Il donnait tout pour l'équipe. Il était très respecté. Il ne parlait pas souvent, mais quand il le faisait, les gars écoutaient. Il ne reculait devant rien ni personne pour aider l'équipe à gagner » rajoute Donald Audette.
Mais Gino était plus qu'un redresseur de torts.
Derrière ses airs de durs se cachait un gars beaucoup plus sensible. Un gars proche de sa culture. « On l'a déjà perdu pendant quelques jours. C'était le temps de la chasse et il avait reçu l'appel de la nature », lance en riant Donald Audette.
Ceux et celles qui croyaient avoir à faire à un simple bagarreur lorsqu'ils échangeaient avec Gino Odjick ont souvent appris à leurs dépens qu'il ne faut pas toujours se fier aux apparences.
Gino racontait toujours avec un plaisir évident cette tranche de vie alors qu'il était à bord d'un taxi à Moscou où il était allé rejoindre son ami Pavel Bure. Croyant avoir un simple touriste facile à flouer sur la banquette arrière de sa voiture, le chauffeur avait frappé un mur lorsque Gino lui avait demandé, en russe, pourquoi il multipliait les détours en route vers sa destination finale.
Je me souviens aussi d'un épisode cocasse survenu au cours de la saison 2000-2001 à l'hôtel Marriott devant le Nassau Coliseum où jouaient les Islanders à l'époque.
Gino Odjick échangeait avec des journalistes dans le lobby la veille d'un match lorsqu'il a vu Andrei Bashkirov, son cochambreur, sortir de l'ascenseur. Le Russe s'apprêtait à quitter l'hôtel lorsque Gino s'est excusé auprès des journalistes pour aller rejoindre Bashkirov. Fier de son coup, Gino était revenu terminer sa conversation en expliquant qu'il venait de sermonner son coéquipier en lui reprochant de partir souper sans inviter son cochambreur. Tout ça dans sa langue maternelle!
Une langue qu'il avait apprise comme ça, au jour le jour, par l'entremise de Pavel Bure.
Gino aimait faire plaisir. Il aimait redonner aux partisans l'attention qu'ils lui vouaient. Un samedi, après un entraînement matinal, il s'était approché de mes deux jeunes fils alors hauts comme trois pommes que j'avais pu amener avec moi dans le vestiaire du Canadien. Heureux et souriant, Gino s'était approché d'eux pour leur serrer la main. Déjà plus gros que nature dans la vie de tous les jours, il était immense dans son uniforme et avec ses patins aux pieds. Son sourire témoignant des contrecoups des nombreuses bagarres disputés sur les patinoires, des coups de bâton et des rondelles reçus au visage avait eu l'effet contraire à celui qu'Odjick anticipait. Impressionnés et peut-être un brin craintifs, les gars s'étaient mis à pleurer.
Odjick m'avait regardé penaud et lançant : « bougez-pas! Je vais aller mettre mes dents! »
Les histoires cocasses et humaines résonnent par centaines partout où Gino est passé depuis l'annonce de son décès. À l'unisson, ceux et celles qui racontent ces histoires parlent de l'homme bon et chaleureux qui s'est souvent fait voler la vedette par le bagarreur qui s'est imposé pendant des années à Vancouver, Uniondale, Philadelphie et Montréal au cours de sa carrière.
Odjick aimait aussi parler de ses croyances. De la confiance qu'il vouait aux Esprits de ses ancêtres à qui il s'adressait pour être guidé.
Lors d'une visite un peu tumultueuse sur le plateau de l'Antichambre il y a plusieurs années, Gino avait haussé le ton parce qu'il trouvait que les journalistes et les analystes étaient beaucoup trop négatifs et sévères à l'endroit du Canadien.
Nous avions toujours eu une très belle relation, mais ce soir-là, il était parti furieux du plateau.
Une heure plus tard, lorsque je l'avais joint au téléphone pour revenir sur les événements, il s'était excusé en indiquant qu'il regrettait de s'être emporté et qu'il était justement en recueillement quelque part sur la réserve de Kahnawake pour retrouver son calme.
Où que tu sois aujourd'hui, j'espère que tu as trouvé le calme et la sérénité. Repose en paix Gino Odjick.