Tortorella : du succès, mais aussi des conflits
Moins de 36 heures après que John Tortorella eut déclaré qu'il n'était « pas vraiment intéressé à apprendre à diriger » dans le genre de saison que connaît les Flyers de Philadelphie, l'équipe a indiqué jeudi la porte de sortie à son bouillant entraîneur-chef.
Déjà qualifié d'émule de Scotty Bowman à une certaine époque, plusieurs croient que plus que jamais que le temps de l'entraîneur âgé de 66 ans est révolu. Retour sur un parcours marqué par une conquête de la coupe Stanley et plusieurs prises de bec avec ses vedettes.
Lightning : « Un style qui ressemblait à l'armée »
Après un bref passage de quatre matchs à la barre des Rangers de New York pendant lequel il a néanmoins eu le temps de crucifier Stéphane Quintal dans les médias, Tortorella obtient sa première véritable chance de diriger dans la Ligue nationale de hockey en janvier 2001, lorsqu'il succède à Steve Ludzik dont il était l'adjoint chez le Lightning de Tampa Bay.
À cette époque, le Lightning ne compte qu'une participation aux séries éliminatoires en huit années d'existence, mais l'espoir de jours meilleurs est grand depuis que le Québécois Vincent Lecavalier a été sélectionné au premier rang de la séance de repêchage de 1998.
Mais alors que Ludzik confie beaucoup de responsabilités à Lecavalier, Tortorella se donne pour mission de « casser » l'attaquant et des tensions surgissent assez rapidement. Après lui avoir retiré de son titre de capitaine avant le début de la saison 2001-2002, « Torts » a une importante prise de bec avec lui le 23 octobre. Rapidement, des rumeurs envoient Lecavalier à Ottawa, au New Jersey, au Colorado, à Saint Louis et évidemment à Montréal.
Le directeur général Rick Dudley renonce à échanger le Québécois et la hache de guerre finit par être enterrée. Le Lightning remporte éventuellement la coupe Stanley en 2004, mais ne gagnera plus jamais une ronde éliminatoire sous les ordres de Tortorella jusqu'à son congédiement au terme de la saison 2007-2008, après que le Lightning eut fini dernier.
« Le style de John Tortorella ressemblait à l'armée, Un nouvel entraîneur va amener une nouvelle philosophie », lance laconiquement Lecavalier, en marge d'un événement promotionnel du Grand Prix de Formule 1 du Canada, lorsque appelé à commenter l'affaire.
Rangers : « Nous n'étions pas prêts »
Devenu analyste à la télévision, Tortorella effectue son grand retour dans l'organisation des Rangers de New York lorsqu'il est embauché en février 2009 pour prendre la relève de Tom Renney, qui est perçu comme étant « trop gentil » pour amener l'équipe au prochain niveau.
« “Torts” est certainement beaucoup plus fougueux et très différent dans son approche du jeu et des joueurs, avoue d'ailleurs le directeur général des Rangers Glen Sather à ce moment-là. Il va apporter cette fougue, et cela nous a manqué dans beaucoup de matchs. »
« C'est une excellente opportunité pour lui, ajoute son ancien capitaine Dave Andreychuk. C'est un scénario parfait, avec le talent et le leadership dont ils font preuve, je pense que ce sera un bon choix. Il responsabilisera tout le monde, même si c'est parfois très, très dur. »
Les Rangers auront besoin de quelques saisons avant de prendre leur envol, chose qu'ils réussissent en 2011-2012, alors qu'ils finissent au sommet du classement de l'Association de l'Est avant d'atteindre le carré d'as en séries éliminatoires, s'inclinant devant les Devils.
Mais cette série laissera des traces, puisque Totorella laisse le marqueur étoile Marian Gaborik au bout du banc pendant toute une période et semble peu enclin à faire confiance aux jeunes Derek Stepan et Chris Kreider pour revigorer une attaque qui en a bien besoin.
Il est finalement congédié après la campagne 2013, alors qu'il lui reste encore une année de contrat. Les Rangers viennent d'être éliminés en cinq matchs par les Bruins de Boston à la suite d'une série compliquée contre les Capitals de Washington qui est allée à la limite.
« Une des choses, et c'est une responsabilité qui m'incombe, est l'état d'esprit de l'équipe avant qu'elle n'entreprenne une autre ronde. Je ne pense pas que nous étions prêts. Il ne régnait pas une atmosphère de séries », avoue Tortorella à la suite de la série face à Boston.
Canucks : « Un air vicié »
Tortorella ne reste cependant pas sans emploi longtemps, puisqu'il rebondit avec les Canucks de Vancouver, qui viennent de couper les ponts avec Alain Vigneault après une deuxième élimination expéditive d'affilée dès la première ronde des séries éliminatoires.
Exactement comme cela avait été le cas lors de son embauche avec les Rangers, les Canucks espèrent un changement de ton, eux qui connaissent énormément de succès en saison régulière avant de s'effondrer dès que les proverbiales choses sérieuses commencent.
Cela dit, la seule saison de Tortorella à la tête des Canucks sera une véritable catastrophe, car le club est exclu des séries. Ses relations avec le gardien étoile Roberto Luongo sont également tendues, l'entraîneur ne donnant pas le filet au Québécois pour la Classique Héritage tenue au BC Place. Furieux, Luongo n'hésitera à faire savoir son mécontentement dans les médias. Deux jours plus tard, il est échangé aux Panthers de la Floride. Un beau gâchis.
Au moment de son bilan de fin de saison, Tortorella ne s'étonne pas outre-mesure de la tournure des événements. « J'ai senti dès le premier jour que l'air était vicié. Mais ce n'est pas de la faute des joueurs. Il s'agit d'un groupe qui est ensemble depuis très longtemps. Il a besoin de changement. Cette équipe a besoin d'un changement d'effectifs. Le hockey est devenu un sport pour les joueurs plus jeunes. Il ne s'agit pas d'une critique envers les vétérans, mais il faut les entourer de joueurs apportant une dose d'enthousiasme. »
Tortorella n'aura jamais eu le temps de corriger le tir, puisqu'un important changement de régime est organisé à la suite de cette campagne désastreuse. Un nouveau président – Trevor Linden – arrive en poste et il congédie rapidement le DG Mike Gillis et Tortorella.
Blue Jackets : « J'aime le hockey »
Le nom de Tortorella n'est plus du tout d'actualité quand les Blue Jackets de Columbus font appel à ses services en octobre 2015 pour redresser la barre, alors que l'équipe présente un dossier de 0-7. Les Jackets sont certains qu'un tortionnaire est la solution à leurs troubles.
Au collègue François Gagnon le 1er décembre 2015, « Torts » explique que l'heure de la retraite n'avait tout simplement pas encore sonné. Il aurait encore tant à offrir au sport :
« J'aime le hockey. J'aime l'aspect enseignement qui est primordial surtout au sein de cette jeune organisation qui doit apprendre à gagner et à faire ce qui doit être fait pour y arriver. J'aime l'activité autour du vestiaire. J'aime guider les joueurs. J'aime les voir fêter après une victoire, entendre de la musique forte après ces victoires qui récompensent les efforts déployés à l'entraînement. C'est ce qui m'a incité à revenir. On a une belle équipe ici. On a de bons joueurs. Il y a beaucoup de travail à faire, mais nous avons amorcé un virage ».
Le « nouveau » Tortorella mène les Blue Jackets à d'intéressantes saisons de 50, 45 et 47 victoires, mais les succès en séries ne sont pas au rendez-vous, hormis ce surprenant balayage réussi contre le Lightning au printemps 2019. Il est congédié avant la conclusion de la campagne 2020-2021, alors que l'équipe n'est simplement plus l'ombre d'elle-même.
Flyers : une équipe qui a régressé
Après s'être encore une fois recyclé comme commentateur à la télévision, Tortorella obtient – non sans étonnement – le poste d'entraîneur-chef des Flyers de Philadelphie en juin 2022, succédant de nouveau à... Vigneault. Cette fois la décision n'a pas été prise dans l'urgence.
« John exige le meilleur de ses joueurs à chaque match. Il est champion de la coupe Stanley et possède un long palmarès de succès en saison régulière et en séries éliminatoires. Lors de l'entretien, nous avons discuté de plusieurs facteurs essentiels au succès immédiat de cette équipe, et il m'est apparu clairement que sa vision et son style fort font de lui la personne idéale pour restaurer un climat de victoire dans notre vestiaire », indique à l'époque le directeur général des Flyers Chuck Fletcher pour justifier l'arrivée de Tortorella.
Mais cette nomination est loin de faire l'unanimité dans le monde du hockey, puisque son ancien joueur Brandon Dubinsky n'hésite pas à demander sur Twitter (devenu depuis X) de prier pour les joueurs des Flyers. Dubinsky reviendra à la charge en mars 2024 en critiquant Tortorella après que l'entraîneur eut décidé de laisser de côté le capitaine Sean Couturier.
Les Flyers surprennent d'ailleurs au cours de cette saison 2023-2024 en se retrouvant au plus fort de la lutte pour une place en séries éliminatoires avant de subir huit défaites de suite en fin de campagne. Tous les espoirs n'étaient pas nécessairement permis en 2024-2025, mais les Flyers ont clairement régressé. Qui plus est, « Torts » a eu maille à partir avec le joyau Matvei Michkov en le clouant au banc pendant toute une période, exactement comme il l'avait fait avec Lecavalier plusieurs années auparavant. Mais avec 11 défaites à leurs 12 derniers matchs, tout ce beau monde était rendu juste au bout de leur association.