Bell Cause : l'anxiété et la dépression, le combat quotidien d'Erin Ambrose
MONTRÉAL – À la fin de l'année 2017, Erin Ambrose a pris la décision de déménager à Montréal. Elle venait d'être libérée du camp de sélection de l'équipe canadienne en vue des Jeux olympiques de PyeongChang. En plus de ressentir l'immense douleur de voir son rêve s'envoler, elle se retrouvait tenaillée par la honte d'avoir déçu les gens qui l'aimaient. L'idée d'affronter leurs regards lui était insupportable.
Pour s'extirper de l'obscurité qui fondait sur elle à une vitesse terrifiante, elle a jugé qu'il lui était nécessaire de changer d'air. D'affronter ses idées noires sur un terrain neutre.
« Si je n'étais pas venue à Montréal, je ne sais pas où je serais aujourd'hui », lâche l'Ontarienne de 29 ans avec une déstabilisante sincérité.
Ambrose nous raconte son histoire à la fin d'un entraînement, dans les gradins déserts de l'Auditorium de Verdun. Avec les années, l'endroit est devenu une sorte de refuge pour elle. Depuis cet été, il est le domicile de l'équipe montréalaise de la nouvelle Ligue professionnelle de hockey féminin.
Cette équipe, Ambrose en est l'une des figures de proue. Elle en est l'une des athlètes les plus décorées sur la scène internationale. Elle est la doyenne respectée d'une jeune brigade défensive. Officiellement, elle est l'une des assistantes de la capitaine Marie-Philip Poulin. À travers l'œil d'un observateur extérieur, elle personnifie le calme, la confiance, l'aplomb.
Les apparences cachent toutefois une personne vulnérable et fragilisée qui doit son salut à un cercle restreint de personnes de confiance sur lesquelles elle a appris à s'appuyer. Son besoin de plaire aux autres a tendance à empiéter sur sa propre joie-de-vivre. Elle peine à s'accepter et à se valoriser au-delà de l'image publique qu'elle projette, celle d'une joueuse de hockey à qui tout semble sourire. Sa coéquipière Laura Stacey lui a un jour sorti une citation lumineuse dans laquelle elle s'est tout de suite reconnue: « Comparison is the thief of joy ». Traduction libre : se comparer, c'est se priver de bonheur.
Ambrose souffre d'anxiété et de dépression, des troubles de santé mentale qui touchent des membres de sa famille depuis plusieurs générations. Sa grand-mère, sa mère et sa sœur y sont aussi sujettes. Elle l'a appris à l'adolescence, quand elle a commencé à percevoir les premiers signes de sa condition. À l'époque, elle avait notamment de la difficulté à assumer son orientation sexuelle.
Le hockey occupait déjà une grande place dans sa vie. Elle y excellait, mais un vide subsistait dans son quotidien que ses succès ne parvenaient pas à combler.
« Pendant si longtemps, je n'arrivais pas à comprendre ce qui m'arrivait, pourquoi je me sentais comme je me sentais. Comme joueuse de hockey, j'étais au sommet de la pyramide dans mon groupe d'âge. Ça aurait dû me combler de joie, mais ce n'était pas le cas. Ça me faisait vivre beaucoup de frustration. Ça m'a soulagé d'être capable de mettre des mots sur ce qui m'arrivait. »
La chute libre
Avec le temps, Ambrose a compris que l'inconnu et l'imprévisibilité étaient des déclencheurs importants de son anxiété.
« J'ai besoin de structure, j'ai besoin de planifier. Quand je n'ai pas ça, l'anxiété s'installe et m'envahit. Je m'inflige moi-même une grande partie de ce qui m'afflige en ce sens que je pense trop, je réagis trop promptement. »
Même si elle pouvait désormais nommer le mal qui la tirait vers le fond, et malgré la médication, Ambrose a continué d'en arracher lorsqu'elle a quitté la maison pour joindre le programme de hockey de l'Université Clarkson. Les nouveautés inhérentes à la vie sur le campus l'ont désorientée. Une blessure à la fin de sa deuxième saison, pendant que son équipe se dirigeait vers la conquête d'un championnat national, l'a affectée. Son comportement erratique l'a pendant un temps exclue du groupe.
« Je ne vais pas te mentir, une grande partie de cette période de ma vie a été effacée de mon cerveau, dit-elle. Encore aujourd'hui, il y a plein de choses qui me sont arrivées que je ne comprends pas très bien. Il y a plein d'embûches que j'ai tenté de surmonter par moi-même et honnêtement, je me demande encore comment j'y suis arrivée. »
La chute libre s'est poursuivie dans l'année qui a suivi sa graduation. L'écrasement est survenu en novembre, quand on lui a fait savoir qu'elle n'était pas retenue pour l'acte final de l'aventure olympique.
« Cette nouvelle m'a détruite, a décrit Ambrose dans une lettre ouverte publiée par Hockey Canada trois ans plus tard. J'ai été forcée de me questionner sur la personne que je voulais être à l'avenir. Ça peut sembler dramatique, mais c'est une douleur que je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi. Tout ce pour quoi j'avais travaillé, l'identité que je m'étais forgée pour avoir de la valeur aux yeux des autres, m'avait été enlevé. »
« Je ne savais pas comment gérer tout ça, ajoute-t-elle en rétrospective. Et il n'y a pas d'autre façon de le dire, je l'ai très mal géré. »
Ambrose précise qu'elle a toujours reçu le support sans limite de sa famille. Mais dans son exil à Montréal, elle a trouvé trois autres piliers, cruciaux, qui l'ont aidée à se relever, à se refaire une santé. « Je serai à jamais reconnaissante de l'amour inconditionnel qu'elles m'ont donné. »
Emerance Maschmeyer a été sa première bouée. La gardienne de but, qui évolue aujourd'hui à Ottawa, venait elle aussi de se faire retrancher par l'équipe canadienne. « On était ensemble chaque jour. Elle vivait la même déception que moi, mais elle était mon rayon de soleil loin de l'aréna. »
Ambrose a ensuite fait la connaissance de Caroline Ouellette et Julie Chu. Les deux anciennes joueuses l'ont invité à les rejoindre au sein du personnel d'entraîneurs de l'équipe féminine des Stingers de Concordia. La relation en est vite devenue une d'amitié. « Je ne les remercierai jamais assez de m'avoir donnée cette chance. Elles m'ont aidé à me réconcilier avec mon sport, à l'aborder avec une nouvelle perspective. Les voir fonder une famille ensemble m'a aussi montré à quoi pourrait ressembler ma vie au-delà du hockey. »
La thérapie
Ce n'est qu'en 2020, au début de la pandémie, qu'Ambrose a décidé d'aller chercher l'aide de professionnels. « J'avais beaucoup travaillé avec notre psychologue du sport chez Hockey Canada, mais on était arrivées à un point où ma situation nécessitait des soins plus pointus. Elle m'a dirigée vers les bonnes personnes. Ça a été une bénédiction parce que même après tout ce temps, il y avait plusieurs choses qui devaient changer afin que je comprenne vraiment ce que je vivais. »
Au fil de ses consultations, Ambrose a pu identifier avec plus de précision ce qui l'affectait et développer des astuces pour en alléger le poids.
« J'ai commencé à saisir ce qui m'apportait réellement du bonheur dans ma vie et ce que je devais faire au quotidien pour le cultiver. L'une des clés pour moi, c'est de ne pas laisser le négatif s'installer trop confortablement, de lui donner un bon coup dans les fesses dès que je le sens arriver. Pour ça, je dois en parler. Je dois apprendre à demander de l'aide quand j'en ai besoin, à recevoir de l'amour quand j'en ai besoin. »
Pour garder le cafard au cachot, elle s'assure de bien entretenir ses relations les plus précieuses. Son chien Henry est toujours là pour lui accrocher un sourire au visage. Les cafés montréalais sont devenus un lieu privilégié pour reprendre ou approfondir une conversation avec une coéquipière. Et puis il y a toujours « Julie et Caro » qui ne sont jamais bien loin. C'est une chance inestimable, pour Ambrose, d'avoir été repêchée par l'équipe de Montréal au lancement de la LPHF. Elle a retrouvé un environnement qu'elle connaît bien et des personnes en qui elle a confiance.
L'acceptation découlant d'une meilleure compréhension de son état de santé l'a aidé à voir venir les coups et à mieux les encaisser. « Mais il y a aussi des jours où je sors du lit et je me demande ce qui vient de me frapper, pourquoi ça m'arrive encore, précise-t-elle. On avait un match au Minnesota en début de saison et juste le fait de me rendre à l'aréna ce jour-là, je ne sais pas pourquoi mais c'était pénible. Dans ces moments-là, essayer de comprendre ne fait souvent qu'empirer la situation. Il faut juste se dire que des fois, "pourquoi?" n'est pas la meilleure question à se poser. »
Plus que tout, le travail qu'elle a fait sur elle-même a permis à Ambrose de mieux se définir comme personne et de se distancer de l'idée qu'elle n'est qu'une joueuse de hockey et qu'elle ne peut être acceptée ou validée que par ses succès dans ce rôle.
Oui, elle est une médaillée d'or olympique. Mais elle est aussi une femme forte, fière membre de la communauté LGBTQ+, et une femme de cœur qui souhaite éventuellement utiliser son vécu pour contribuer à faire de son petit coin de la planète hockey un monde plus compréhensif et inclusif. Particulièrement chez les garçons, précise-t-elle.
« Si je peux améliorer la vie d'une seule personne – et pas nécessairement de façon drastique, mais simplement en lui proposant un différent regard sur ce qu'elle vit – ça aura été une belle journée. »