ÉCJ : l'éveil opportun de Samuel St-Hilaire
GÖTEBORG, Suède – Tour à tour, Mathis Rousseau et Samuel St-Hilaire sont embarqués sur la patinoire pour le premier entraînement d'Équipe Canada au Scandinavium, où seront disputés à compter de mardi les matchs du groupe A du Championnat mondial de hockey junior. La scène n'était pas banale, et pas parce qu'elle avait été retardée pendant plusieurs minutes par une tonitruante alarme d'incendie.
C'est que ni l'un ni l'autre n'était né la dernière fois que deux gardiens québécois ont fait la paire avec ÉCJ.
Rousseau, qui amorcera le tournoi dans un rôle de titulaire, n'a pas toujours eu le profil du candidat recherché pour une telle mission. Il n'avait jamais été approché par Hockey Canada avant d'être convoqué au camp exploratoire d'ÉCJ cet été. Il a aussi été ignoré au repêchage de la LNH. Ce sont ses récentes performances avec les Mooseheads de Halifax, qu'il a notamment menés à la finale du trophée Gilles-Courteau le printemps dernier, qui ont finalement forcé la main des dirigeants du programme canadien.
Mais en faisant sa place avec les champions en titre, St-Hilaire a poussé l'improbabilité à un autre niveau. Si Rousseau peut être qualifié de grand négligé, son compagnon beauceron est carrément une anomalie.
À 15 ans, l'âge où les joueurs les plus talentueux font habituellement leurs classes au niveau M18 AAA, St-Hilaire faisait sa petite affaire dans le Midget Espoir. À 17 ans, au lieu d'aligner les rendez-vous avec des recruteurs de la LNH, il revenait avec les Chevaliers de Lévis dans l'antichambre de la LHJMQ. Une telle ligne du temps débouche très rarement, pour ne pas dire jamais, sur une convocation en équipe nationale.
« Surréaliste, c'est vraiment le mot, acquiesce Simon Larouche, un entraîneur de la région Beauce-Appalaches dont le parcours croise celui de St-Hilaire depuis le hockey mineur. Je lui ai envoyé un message de félicitations [quand il a fait l'équipe] et il m'a demandé : "Aurais-tu pensé ça quand on était ensemble dans le Midget AAA il y a deux ans?" C'est exactement la réponse que je lui ai donnée. »
Le potentiel de Samuel St-Hilaire a longtemps été inversement proportionnel à sa volonté à l'exploiter pleinement. Après que sa place au sein d'ÉCJ eut été confirmée, il a candidement admis au journaliste Guillaume Lepage de LNH.com qu'il avait longtemps surfé sur son talent naturel. Au même collègue, l'entraîneur Stéphane Julien a mentionné que St-Hilaire « partait de très loin » quand il s'est finalement taillé une place avec le Phoenix de Sherbrooke à 18 ans.
Ugo Bélanger peut le confirmer. L'entraîneur des gardiens des Chevaliers a travaillé pendant deux saisons, de 2020 à 2022, avec St-Hilaire. Il compare son histoire à celle de Thomas Chabot, qui ne s'est réellement pris en main qu'après avoir été laissé dans les gradins au début de sa deuxième saison avec les Sea Dogs de Saint John.
« Avec Sam, ça n'a pas toujours été facile. Moi, je l'ai frappé dans le bas de la côte, illustre Bélanger en entrevue à RDS. L'attitude, c'était "so-so" dans ces deux années-là. La première année COVID, c'était compréhensible parce qu'on ne faisait que pratiquer. Mais dans l'ensemble, ce n'était pas toujours A-1, ça c'est sûr et certain. Je ne sais pas comment il est depuis qu'il est dans le junior, mais c'est sûr qu'on a eu nos petits problèmes. »
L'effort inconstant fourni à l'entraînement, le manque de sérieux avec lequel étaient abordées les rencontres hors-glace et la nonchalance récurrente dans l'assimilation des consignes sont les principaux griefs que lui ont déposés ses entraîneurs dans ses années formatrices.
« On a eu des interventions à faire avec lui, corrobore Simon Larouche, qui a dirigé St-Hilaire pendant deux de ses trois saisons au niveau M18. Il avait quelque chose de super le fun à travailler, mais il pouvait avoir des gros hauts et des gros bas dans une année, que ça soit au niveau de sa préparation, de sa motivation, de sa réaction face à des pratiques un peu plus difficiles, face à des périodes plus difficiles. Des fois, il devenait démotivé parce que ça allait moins bien, que ça soit dans sa vie personnelle ou à l'école. »
Sans limite
Rien de constructif ne peut émerger d'un excès de regrets. Ce qui est fait est fait et il ne sert à rien de remuer trop longtemps les erreurs du passé. Ceci étant dit, personne ne doute que St-Hilaire serait déjà la propriété d'une équipe de la LNH s'il s'était pris en main plus tôt.
Du talent, tout le monde s'entend pour dire qu'il lui en sort par les oreilles.
« Il n'a aucune faiblesse », affirme catégoriquement Ugo Bélanger, qui vante notamment son sens du jeu et sa grande capacité d'adaptation.
Bélanger est le cofondateur de PASS Hockey, une compagnie spécialisée en statistiques avancées à travers laquelle il a mis au point un modèle statistique afin d'évaluer le travail des cerbères. Il note que lors de sa dernière saison avec les Chevaliers de Lévis, au cours de laquelle il a notamment établi un record en blanchissant l'adversaire pendant plus de quatre matchs consécutifs, St-Hilaire a produit des chiffres hors-norme.
« Dans le modèle qu'on a, c'est le gardien qui a sauvé le plus de buts dans une saison. C'était épouvantable. On parle de plus de 20 buts sauvés dans une année. Vous allez me dire qu'il avait 17 ans, mais quand même, c'est incroyable. »
En plongeant dans ses souvenirs, Simon Larouche se rappelle d'un garçon qui profitait du hockey pour s'amuser sans que de grandes attentes ne soient placées en lui comme ça pouvait être le cas pour d'autres jeunes de la région comme Joshua Roy et Olivier Nadeau. « Ses parents n'étaient pas intenses, ce n'était pas un jeune qui mettait ses objectifs personnels au-devant des autres », précise-t-il.
Cependant, dès que la rondelle tombe sur la glace, la légèreté prend généralement le bord. « Quand la game commence, c'est un grand compétiteur », résume Ugo Bélanger.
« Plus jeune, dans les tournois, les séries, je pouvais dire qu'il donnait des performances particulières que moi je n'avais pas vu souvent, renchérit Simon Larouche. Après, je l'ai dirigé dans le Midget Espoir et ça a été la même affaire. On a gagné le tournoi de St-Jérôme avec une victoire de 1-0 en finale, il avait offert une performance extraordinaire. »
À sa seule saison complète au M18 AAA, St-Hilaire a battu un record de la ligue en blanchissant l'adversaire pendant 255 minutes et 23 secondes, l'équivalent de plus de quatre matchs consécutifs. Il avait ajouté deux jeux blancs en séries, transportant les Chevaliers jusqu'en finale grâce à un taux d'efficacité de ,924.
La crainte de ceux qui l'ont connu à cette époque était qu'il allait un jour se buter aux limites de ses habiletés physiques et « frapper son mur », un piège qui guette plusieurs surdoués attirés par la loi du moindre effort. Les noms de Joshua Roy et Samuel Blais ont été cités par nos intervenants. Comme eux, St-Hilaire semble avoir compris juste à temps jusqu'où le vrai travail pourrait le mener.
« Des fois, on voudrait qu'ils soient plus matures que leur âge et c'est correct parce que c'est un monde de même. Mais il ne faut pas oublier que ce sont des jeunes et qu'ils réagissent encore à bien des situations comme des jeunes, relativise Simon Larouche. Sam a réagi comme un jeune pendant plusieurs années. Mais là s'il y a eu un petit déclic de maturité qui est arrivé, qui a fait en sorte que certains comportements et certaines habitudes sont devenus meilleurs dans sa vie, c'est juste un plus. »
L'éveil de St-Hilaire lui a déjà permis d'arriver dans des endroits qui ne lui étaient plus destinés. Et ça ne pourrait être qu'un début.
« Sam, s'il travaille, il joue dans la Ligue nationale », prédit Ugo Bélanger.