Les premiers dividendes de la « méthode Vincent »
LAVAL – Petit lundi matin à Laval. Les attaquants du Rocket ont sauté sur la glace un peu avant 11 h pour une « journée de développement » avec les entraîneurs spécialisés en la matière. La séance va bon train. À gauche, à droite ou directement sous le tableau indicateur, aucune trace de Pascal Vincent.
L'entraîneur-chef, on l'apprendra plus tard, avait bloqué son horaire pour des rencontres individuelles.
« Je parlais à Logan Mailloux de Coupe Stanley à matin », lâchera-t-il tout bonnement au fil d'une longue et riche conversation sur l'heure du lunch. « C'est juste à ça que je pense : playoffs, Coupe Stanley. Comment on va faire pour que tu deviennes ce joueur-là qui va aider le Canadien? »
Le club-école du Tricolore connaît un début de saison inattendu dans tout ce que le terme a de plus positif. Sa fiche est la deuxième meilleure de la Ligue américaine. Il a gagné ses sept derniers matchs. Les vedettes offensives de l'équipe produisent, les recrues ont l'air de jeunes vétérans. Imaginez un cycliste qui franchit les 100 premiers mètres d'une longue ascension seulement sur sa roue arrière.
Pour ce départ que personne n'avait vraiment vu venir, Vincent ramasse les fleurs. On le savait plus que qualifié pour prendre soin de la relève de ce club en reconstruction. Néanmoins, sa réputation, écorchée par son passage à Columbus, devait peut-être être redorée. Les résultats qu'il obtient jusqu'ici devraient suffire à apaiser les angoisses de ceux qui doutaient.
Mais les résultats, Vincent n'en a à peu près pas parlé pendant la demi-heure au cours de laquelle il a patiemment réfléchi aux questions des deux journalistes qui s'étaient déplacés pour couvrir son équipe. Rien d'étonnant considérant que le mot a pratiquement été banni du vocabulaire de l'entraîneur moderne.
Dans ses réponses, toutefois, pas de place non plus pour les clichés usuels. Vincent aurait pu lâcher trois ou quatre phrases préparées à l'avance qui parlent de processus et d'imputabilité. Il s'est plutôt épanché sur les méthodes, les convictions et les valeurs au centre de son enseignement.
Les détails de sa rencontre avec Mailloux aident à eux seuls à brosser le portrait de ce lecteur assidu qui a suivi un cours sur le leadership à la prestigieuse Massachusetts Institute of Technology (MIT) et qui se décrit comme « un étudiant pas juste du hockey, mais de l'être humain en général ».
« On commence par la fin et on essaie de bâtir un programme. Qu'est-ce qui fait que Logan Mailloux est un joueur qui peut se démarquer? C'est un processus qui prend du temps, parce qu'on peut dire un paquet de choses, utiliser un paquet de mots, mais ça ne reflète pas nécessairement la réalité. On veut vraiment trouver sa réalité à lui. »
« Un coup que tu l'as fait et que tu sais qui tu es sur la patinoire, que tu sais ce que tu dois amener, tout change, s'enthousiasme Vincent. Parce qu'en sachant ça, ta préparation d'avant match, [...] comment tu vas pratiquer et, encore plus important, ton auto-évaluation [vont changer]. Après un match, au lieu de penser à un million d'affaires, tu focus sur une ou deux choses et c'est là-dessus que tu t'évalues. »
Bien identifier les attentes et départager l'essentiel du superflu. En un mot, « simplifier ». S'il est vrai qu'il faut apprendre à marcher avant de courir, pour Vincent cette étape est l'équivalent de lacer ses chaussures.
«On part de "là" et on s'en va "là" le plus vite possible, mais le résultat final est encore meilleur que si on perd du temps à gauche et à droite. On épluche les couches et on attaque le noyau. Qu'est-ce qui fait que t'es rendu ici pis qu'est-ce qui va t'amener là? »
« Je ne joue pas de game »
Il arrive que la vision de Vincent pour un joueur diffère de l'image que ce joueur se fait de lui-même. « Complètement non, mais ça arrive qu'on n'est pas nécessairement d'accord. Pis c'est parfait de même », précise-t-il.
Dans ses discussions avec ses protégés, l'entraîneur tente de laisser de la place pour le doute, la remise en question, le compromis. « Ce que je vois, si t'es pas d'accord, on va se parler, on va le regarder et on va trouver des solutions », dit-il.
Il cite en exemple une conversation qu'il a eue l'an dernier avec Johnny Gaudreau alors qu'il dirigeait les Blue Jackets de Columbus.
« À la fin de l'année on s'est assis, parce qu'il avait eu une saison ordinaire, et on a eu une conversation très ouverte. Il y a des choses qu'il me disait que je n'avais pas réalisées. Donc l'année qui s'en venait, on allait modifier des affaires pour Johnny, mon coaching pour lui. Ça arrive des fois et c'est correct. C'est ça que je veux. »
Vincent compare le vestiaire d'une équipe de hockey à une « mini-ville ou une mini-société » dans laquelle toutes les individualités sont reliées entre elles et chacune se nourrit des forces des autres. « Quand tu retires un joueur de l'équation, ça change toute la dynamique », remarque-t-il. D'où l'importance de déchirer les filtres. « C'est pour ça que je ne joue pas de game », insiste le pilote du Rocket.
« Il y a un élément qui est important et qu'on veut créer dans notre environnement, c'est la confiance. Si tu ne me fais pas confiance parce que t'es pas certain de mes intentions, on va progresser mais on ne progressera pas aussi vite qu'on le voudrait. Quand un joueur entre dans mon bureau et me dit des affaires auxquelles je ne m'attendais pas ou qu'il est capable de me dire non, je pense qu'on est rendu dans une belle place parce qu'on peut être honnêtes entre nous. »
« Je veux retourner dans la Ligue nationale »
Cette honnêteté qu'il offre et demande à ses joueurs, Vincent ne s'en débarrasse pas comme un manteau qu'on peut accrocher sur un crochet lorsqu'il sort de son bureau.
La question a été soigneusement précédée d'une mise en contexte que nous abrégerons ici. Le Rocket cartonne tandis qu'en haut, son grand frère en arrache. Martin St-Louis est de moins en moins épargné par la critique. Si la haute direction devait juger qu'il n'est plus l'homme pour opérer la suite de la reconstruction du Canadien, Vincent serait probablement identifié comme son successeur logique.
« J'ai passé huit ans dans la Ligue nationale. Oui j'y pense, répond ouvertement l'homme de 53 ans. Je veux retourner dans la LNH. Mais j'ai signé un contrat et ma job, c'est d'aider le Rocket, aider les jeunes [...] et aider le Canadien. Ma job, c'est aider Martin le plus possible. »
« J'ai aucun plaisir à voir les résultats présentement », ajoute-t-il en choisissant ses mots prudemment.
Vincent estime que sa plus grande qualité, « c'est que je suis super loyal » et que sa loyauté est « au-delà de tout ce qui peut se dire. »
« Est-ce que je veux retourner dans la Ligue nationale comme entraîneur-chef un jour? Oui. Comme j'ai dit à Martin, j'espère que je vais l'aider. Et si je vais ailleurs, je vais ailleurs. Mais moi, je ne suis pas venu ici pour voler la job à personne, loin de là. »