Rocket : une année charnière que Jean-François Houle aborde « sans pression »
LAVAL – Depuis qu'ils ont pris possession de leur nouveau bureau au Centre Bell, Jeff Gorton et Kent Hughes ont posé une multitude de gestes pour façonner à leur image l'équipe dont ils ont hérité.
Ils ont sorti un lapin de leur chapeau en nommant Martin St-Louis au poste d'entraîneur-chef et ont greffé Vincent Lecavalier au département des opérations hockey. Nick Bobrov a été engagé pour venir épauler Martin Lapointe au sommet de la pyramide du recrutement amateur. Une équipe de développement a été formée avec Adam Nicholas à sa tête. Une autre, concentrée sur la compilation et l'analyse des statistiques avancées, a été confiée à Christopher Boucher. Cet été, le thérapeute du sport en chef, Graham Rynbend, a été remercié et remplacé par Jim Ramsay.
Au milieu de tous ces bouleversements, Jean-François Houle et ses adjoints sont encore debout. À un moment qui s'annonce charnière pour la progression de la relève tricolore, ils s'apprêtent à amorcer leur troisième saison aux commandes du Rocket de Laval.
Devrait-on s'en étonner? Pas nécessairement.
Il est vrai que, tout récemment, Pat Verbeek a demandé le départ Joël Bouchard lorsqu'il a été embauché comme directeur général des Ducks d'Anaheim. Mike Grier a aussi fait le grand ménage dès son arrivée à San Jose. Mais en élargissant l'échantillon, on constate qu'un changement de garde dans l'équipe-mère ne signifie pas systématiquement un remaniement dans le club-école.
Entre l'embauche de Brian MacLellan par les Capitals de Washington en 2014 et celle de Chris Drury chez les Rangers de New York en 2021, 16 équipes de la Ligue nationale ont remplacé leur DG. Seulement cinq de ces réorganisations ont mené au congédiement de l'entraîneur-chef de l'équipe réserve dans l'année suivante. Rob Blake, Julien BriseBois et Steve Yzerman ont gardé le personnel en place pendant au moins trois ans à Ontario, Syracuse et Grand Rapids. En Iowa, à Charlotte et à Hartford, rien n'a encore changé sous la gouverne de Bill Guerin, Bill Zito et Drury.
Chez les Oilers, Ken Holland a non seulement gardé Jay Woodcroft à Bakersfield, mais il en a fait son entraîneur dans la LNH trois ans après son arrivée.
À la lumière de ces données, il n'y a rien d'exceptionnel dans le fait de voir Houle poursuivre son mandat à Laval. D'autant plus que sous ses ordres, le Rocket n'a jamais raté les séries éliminatoires et que de manière générale, les joueurs dont il avait la responsabilité se sont bien tiré d'affaire lorsqu'ils ont été rappelés par le grand club. La réussite de Rafaël Harvey-Pinard en est le plus bel exemple.
N'empêche que Houle, dont le contrat expire à la fin de la présente saison, aimerait sans doute commencer cette année cruciale avec une meilleure sécurité d'emploi. La semaine dernière, Jeff Gorton affirmait au confrère Guillaume Lefrançois de La Presse que Houle faisait « du très bon travail » et que le plan était de lui parler « bientôt, je l'espère. »
Houle confirme n'avoir eu « aucune discussion » avec ses patrons, mais assure être « très confortable » avec la situation. « Ça fait plusieurs années que je suis dans le hockey professionnel. Toutes les organisations sont différentes quand ça vient à la négociation de contrats. Je ne m'inquiète pas avec ça. »
« C'est normal, dans une organisation, que les dirigeants veuillent emmener leur propre monde, qu'ils s'entourent de gens avec qui ils ont des affinités, en qui ils ont confiance, a ensuite reconnu Houle au fil d'une longue conversation avec RDS dans les coulisses de la Place Bell. Mais ce n'est pas quelque chose qui nous inquiète ici à Laval. »
Vivre avec la défaite
Houle dirigera assurément la plus jeune mouture du Rocket depuis qu'il a pris la barre de l'équipe. En 2021-2022, l'âge moyen des joueurs en uniforme pour le match inaugural s'élevait à 23,6 ans. Gianni Fairbrother était alors celui qui ressemblait le plus à un espoir au sein de la brigade défensive. L'année suivante, cette moyenne s'est élevée à 24,4 ans même si elle prenait en compte la présence éphémère de Filip Mesar, un attaquant d'âge junior, dans l'alignement.
Cette année, elle sera assurément revue à la baisse. Lorsque Logan Mailloux a été renvoyé au Rocket mardi, il est devenu le dixième joueur de moins de 22 ans à tomber sous la supervision de Houle et de ses adjoints Martin Laperrière et Kelly Buchberger.
Aux collègues qui ont couvert la première journée du camp du Rocket, Houle a dit s'attendre à un début de saison « rock and roll » en raison de la quantité de jeunes joueurs qui composeront son effectif. Avant même que l'équipe ne parte sur la route pour disputer ses deux matchs préparatoires, il a eu un avant-goût du défi qui l'attend.
« Dans les deux dernières pratiques, il a fallu que j'arrête deux fois pour l'exécution. C'est des jeunes, c'est normal. Ils doivent apprendre à travailler, à devenir des pros à chaque jour. Ce n'est pas juste d'avoir une bonne pratique et ensuite deux mauvaises. C'est important, à chaque jour, de pratiquer pour devenir meilleur. On l'a vu dans les premières journées, ce n'est pas toujours évident. Mais je m'attendais à ça et je suis prêt à vivre avec ça. »
Houle n'a pas l'intention de changer son approche pour la modeler à sa nouvelle clientèle. « J'ai tout le temps été un coach qui prône l'éthique de travail et ça, ça ne changera jamais. Pour moi c'est important que les jeunes apprennent à travailler avec acharnement », dit-il.
Il apporte toutefois cette nuance : ses recrues seront davantage exposées à des situations sous pression – une avance à protéger ou une mise en jeu importante à gagner – qu'elles ne l'ont été dans le passé. En d'autres mots, assignations qui étaient jadis réservées à des vétérans comme Belzile, Ouellet ou Schueneman reviendront plus souvent aux Roy, Trudeau et Struble.
« Si tu veux que le jeune se développe comme il faut, tu dois le mettre dans ces situations. Oui, des fois, on va peut-être perdre un match à cause de ça, mais le jeune va en retirer une leçon importante. Des fois, comme instructeur, tu as des choix déchirants à faire, mais c'est important de mettre les joueurs dans ces situations. »
Il reste à voir si Houle bénéficiera de la patience de la haute direction si les défaites devaient s'accumuler. Quand on lui demande s'il a l'impression d'être assis sur un siège un peu plus chaud, il décoche sa réponse avec la vitesse d'un tir sur réception : « Absolument pas. Zéro. »
« Ils ne passeront pas tous »
La stratégie de développement mise de l'avant cette saison à Laval n'est pas une première dans l'histoire de la Ligue américaine. D'autres clubs avant le Canadien ont laissé toute la place aux jeunes au sein de leur club-école dans l'espoir de voir la crème remonter à la surface.
Durant la saison altérée par la Covid, en 2020-2021, les Kings de Los Angeles ont fait jouer les recrues sans retenue avec le Reign d'Ontario. L'équipe a gagné près de la moitié de ses matchs et ses sept meilleurs pointeurs à la conclusion du calendrier étaient âgés de 21 ans ou moins quand la saison a commencé. Quatre d'entre eux – Arthur Kaliyev, Rasmus Kupari, Quinton Byfield et Sean Durzi – sont aujourd'hui bien implantés dans la LNH.
L'année suivante, les Americans de Rochester se sont qualifiés pour les séries avec trois joueurs de 20 ans, John-Jason Peterka, Jack Quinn et Peyton Krebs, comme principaux ténors offensifs. Les trois font maintenant partie de la relance des Sabres avec l'entraîneur Don Granato.
Houle cite ces deux cas en exemple et conclut que le Rocket « aimerait être quelque part là-dedans ». C'est-à-dire donner non seulement beaucoup de glace à ses jeunes, mais le faire dans un contexte compétitif. À Laval, les séries seront un objectif assumé.
Ça veut aussi dire qu'au-delà des victoires et des défaites, le succès se mesurera dans la quantité de joueurs qui seront en mesure de contribuer aux succès du grand club plus tôt que tard.
« Ils ne passeront pas tous! », prévient Jean-François Houle. « C'est rare que tous les joueurs passent. Il y en a qui vont plafonner, il y en a qui ne s'amélioreront pas. Il n'y a pas de place pour tout le monde non plus. Il y en a qui vont se faire échanger, il y en a qui vont aller ailleurs. Mais si on est capable d'en développer trois ou quatre, ça peut faire une énorme différence pour le Canadien de Montréal. »