Pour l'haltérophile Maude Charron, l'or n'est pas un objectif ultime à Paris
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Médaillée d'or en titre chez les 64 kilogrammes, on pourrait penser que Maude Charron s'amène à Paris avec la pression de répéter son exploit réussi le 2 août 2021, au Forum international de Tokyo.
« Oui et non, a-t-elle laissé tomber au cours d'un entretien avec La Presse Canadienne. J'ai changé d'entraîneur et ç'a été clair avec Spencer (Arnold) : je veux aller à Paris, mais je ne veux pas une autre médaille.
« Je l'ai ma médaille et je suis satisfaite, poursuit-elle. Je n'ai pas ce désir de me battre pour garder mon titre. »
Un titre que, de toute façon, personne ne pourra lui prendre : le Comité international olympique (CIO) a décidé d'abolir les 64 kg. Les choix de Charron étaient simples et complexes à la fois : descendre à 59 kg ou grimper à 71. Elle a choisi de descendre de division de poids.
« Dans mon quotidien, quand je m'entraînais pour 64 kg, je pesais déjà 64, 64,5 kg. Je coupais à peine de poids. Dans le jargon, je n'étais pas une ‘grosse' 64. Avec mon entraîneur, on a décidé d'essayer de perdre du poids. Si on voyait que je ne perdais pas d'énergie, de force et que la coupe de poids se faisait tranquillement, alors on allait prendre cette voie. Sinon, on monterait à 71 kg. On s'est dit que ce serait plus facile de perdre du poids pour en reprendre que de prendre du poids et tout reperdre ensuite.
« Ç'a bien été. Les premiers mois, je n'ai changé que mes portions de nourriture. Le poids s'en allait graduellement. Je me tiens dans la vie de tous les jours à 62 kg environ. Il me reste toujours un 2 kg, 2,5 kg à perdre et ça va bien. C'est toujours le dernier kilo qui ne veut pas partir! »
Le fait qu'elle n'ait pas énormément de poids à perdre a fait en sorte que la transition s'est passée en douceur pour la Rimouskoise de 31 ans.
« On n'a pas eu à changer mon entraînement. Ce qui me limitait le plus (l'hiver dernier), c'était ma blessure au genou. On a géré la charge de travail. C'est certain que je lève moins lourd qu'à 64 kg, mais en compétition, ça se traduit par 3 kg de moins. On a calculé mon Sinclair (qui permet de calculer, peu importe la division, la quantité de poids levée par un athlète). Avec mes meilleures performances à 64 et à 59, je suis une meilleure athlète dans les 59 kg, malgré mes quatre ans de plus! »
Les résultats parlent d'eux-mêmes. À sa première compétition une fois la transition amorcée, aux Jeux du Commonwealth de 2022, elle a remporté sa deuxième médaille d'or consécutive dans ce tournoi, établissant au passage des records à l'arraché (101 kg), à l'épaulé-jeté (130 kg) et au total (231 kg) pour les 64 kg, même si son poids de compétition était de 62 kg.
Toujours en 2022, elle a participé à ses premiers Mondiaux d'haltérophilie chez les 59 kg. Elle en a profité pour y rafler sa première médaille, de bronze, grâce à un poids combiné de 231 kg (103-128). Quelques mois plus tard, elle a remporté l'or aux Championnats panaméricains de 2023. En avril dernier, elle a pris la troisième place de la Coupe du monde de Phuket, en Thaïlande, soulevant 236 kg — le même total qu'à Tokyo — établissant au passage des marques canadiennes et panaméricaines dans la division des 59 kg.
Des résultats qui devraient normalement la placer en tête de liste des favorites pour Paris 2024. Mais Charron apporte un bémol.
« Chez les 59 kg, nous sommes maintenant trois championnes olympiques dans la même catégorie. La championne à 55 kg à Tokyo (la Philippine Hidilyn Diaz) est montée à 59; moi, je suis descendue à 59, mais la championne à 59 kg (la Taïwanaise Hsing-Chun Kuo) est toujours là! Peut-être que certaines stresseraient avec ça, mais moi ça me motive tellement! Je trouve ça hyper intéressant qu'on soit trois championnes dans la même division.
« Qui va gagner? Ma médaille à Tokyo est un acquis, c'est un titre que j'ai eu. Paris, ce sera complètement autre chose, une nouvelle compétition, de nouvelles adversaires, une nouvelle catégorie. Les gens vont peut-être penser que je veux encore l'or, alors que je veux leur faire prendre conscience que c'est une autre compétition », a-t-elle résumé.
Le plus dur : le matin!
Pour Charron, la coupe de poids n'est pas un problème. Mais comme la pesée se fait deux heures avant la compétition, il faut bien la gérer dans le temps.
« On ne peut donc pas faire de grosses coupes de poids, comme ils le font à la boxe par exemple. Et ce ne sont pas les mêmes efforts. À la boxe, c'est beaucoup en explosion et en endurance; nous, c'est en force pure. On ne peut donc pas se déshydrater ou se sous-alimenter : ça ne fonctionnera pas », a-t-elle expliqué.
« On réduit donc les portions, je vais être sous calorique, donc perdre du poids graduellement. On fait aussi du ‘water-loading': pendant une semaine, je bois le double de quantité d'eau que je bois habituellement. Mon corps comprend que je lui donne beaucoup de fluides et en expulse beaucoup. La veille de la compétition, je coupe ça de moitié. Mon corps en expulse toujours autant. C'est comme une déshydratation, mais la quantité d'eau dans mon corps fait que je ne suis pas déshydratée.
« Le pire, c'est le matin de la compétition. Je n'ai presque plus de glucides dans le corps et mon cerveau manque d'énergie. Je le sens qu'il ne fonctionne pas comme d'habitude. J'oublie des trucs; aux Panam, je suis partie avec deux souliers différents. Je deviens comme un bébé dont il faut s'occuper! Je dois donc faire mon sac de compétition la veille, sinon, c'est certain que j'oublie des choses. Dès que je mange, ça revient », a-t-elle conclu.
Charron s'exécutera chez les 59 kg le 8 août.