Passer au contenu principal

RÉSULTATS

All In : le rendez-vous de la AEW avec l'histoire

La All Elite Wrestling avant All In La All Elite Wrestling avant All In - Getty, RDS
Publié
Mise à jour

Tout a commencé par une boutade. Un affront à l'ordre établi. Un pied de nez à l'établissement.

Avant la All Elite Wrestling (AEW) que l'on connaît aujourd'hui, il y avait l'audace de Cody Rhodes et des frères Jackson (Matt et Nick). Il y avait, en 2018, le rêve fou à l'époque d'organiser une soirée de lutte devant plus de 10 000 personnes sans l'aide, financièrement et structuralement, d'une grande fédération de lutte (la WWE pour ne pas la nommer).  

Avec l'assistance d'alliés rencontrés au fil des ans dans diverses organisations, la présentation de la première édition de All In, à Chicago, a secoué le monde de la lutte. Sans affiliation officielle, c'était la plus grande soirée indépendante de lutte de mémoire récente et un triomphe unilatéral pour une poignée de lutteurs qui en avaient assez de se faire dire « non » et de regarder les portes se fermer devant eux dans une industrie gangrénée par des vieilles pratiques indécrottables et un monopole au sommet depuis trop longtemps.

C'était aussi, comme le temps nous l'enseignera, la genèse d'un rêve encore plus fou : offrir une compétition sérieuse et viable à l'empire de Vince McMahon dans le monde du divertissement sportif après la réponse très forte d'un auditoire réceptif à ce vent de changement.

Entre en scène, la clé qui a permis d'ouvrir cette porte : Tony Khan.

Fils de Shahid Khan, le propriétaire des Jaguars de Jacksonville dans la NFL derrière l'une des fortunes familiales les plus imposantes des États-Unis, Tony et sa passion pour la lutte ont croisé la route des ambitieux lutteurs derrière la présentation de All In et le reste fait partie de la petite histoire du sport-spectacle.

La rencontre a donné naissance à la AEW avec un premier événement payant, Double or Nothing, en mai de l'année suivante (2019). S'en est suivi un partenariat avec TBS pour la présentation d'une émission hebdomadaire en direct (Dynamite), quelques mois plus tard, ainsi que la naissance d'autres programmations à la télé câblée et à la télévision à la carte.

Depuis 2019, la AEW a présenté 21 soirées à la télévision à la carte (PPV) et diffuse, actuellement, deux émissions hebdomadaires en direct à la télé, le mercredi et le samedi soir, ainsi qu'une émission en différée le vendredi en plus d'avoir racheté la librairie et les droits d'utilisation de la marque Ring of Honor (ROH) qui présente aussi ses événements à la télévision.

En un peu plus de quatre ans, et ce malgré une pandémie mondiale et des incertitudes économiques dans tous les secteurs, Tony Khan a construit un joueur majeur dans le monde de la lutte et cette fin de semaine, la consécration se manifestera sous la forme d'un autre rêve fou à l'instar de la boutade initiatique derrière l'entreprise.

Démesure à Wembley

Dimanche, pour son premier périple en Europe, la AEW s'invite au Wembley Stadium de Londres et quand on pose les oreilles au sol, on peut entendre les vibrations.

La réponse des amateurs de lutte du Vieux continent est assourdissante et Tony Khan, lors d'une rencontre médiatique cette semaine, parle déjà d'une soirée historique pour sa jeune entreprise.

Au moment d'écrire ces lignes, la AEW a vendu plus de 80 000 billets pour sa visite au mythique Wembley Stadium. Ce sera, au moment de sonner la cloche du premier combat dimanche, la plus imposante foule pour un spectacle de lutte de toute l'histoire à une exception près et ce n'était pas un événement de la WWE.

En 1995, à Pyongyang en Corée du Nord, Collision in Korea était présenté dans un partenariat historique entre la World Championship Wrestling (WCW) et la New Japan Pro Wrestling (NJPW). Plus de 150 000 personnes étaient présentes à chacune des soirées, mais on ne parle pas ici de billets vendus et même que la participation de la population était fortement encouragée (pour ne pas dire imposée) par le régime dictatorial du pays.

Bref, en excluant cette parenthèse, la deuxième édition de All In sera la meneuse au niveau des billets vendus, devançant ainsi tous les événements présentés par Vince McMahon depuis la relance de la WWF / WWE en 1982.

Même WrestleMania III, en 1987, au Pontiac Silverdome de Detroit, ne comptait pas plus de 78 000 spectateurs malgré la foule annoncée de 93 173 partisans. Même chose lors de WrestleMania 32, en 2016 au AT&T Stadium du Texas, alors que 80 000 personnes étaient réellement à l'intérieur du stade contrairement à la foule annoncée de 101 783 spectateurs.

Avec plus de 80 000 billets vendus, pour le moment, la AEW s'inscrira dans la riche histoire du monde de la lutte en plus de celle du Wembley Stadium lui-même, théâtre d'événements grandioses depuis son ouverture en 2007 en remplacement de l'ancienne version du stade démolie après environ 80 ans de loyaux services.

L'imposant amphithéâtre de Londres a déjà accueilli 98 000 personnes pour un spectacle de la chanteuse Adele en 2017, 94 000 personnes pour le combat opposant Tyson Fury à Dillian Whyte en 2022, 90 000 personnes pour un match opposant Cardiff City à Portsmouth et même 86 215 personnes pour la visite de la NFL en 2022.

L'ambitieuse AEW n'a pas a plié l'échine devant ces grands événements, surtout qu'elle a vendu le gros de ses billets avant même d'annoncer un seul combat pour cette soirée. Sans compter sur l'aide d'un héros local comme Tyson Fury ou d'une icône britannique comme Adele, Tony Khan a relevé le pari audacieux de battre à son jeu la WWE de Vince McMahon au Royaume-Uni en pulvérisant l'auditoire de 62 296 personnes en 2022 à Cardiff, au pays de Galles, pour la présentation de Clash at the Castle.

L'importance de la perception

Les billets vendus et les foules enregistrées, ça ne fait pas foi de tout dans le monde du divertissement sportif, mais ça ajoute énormément de poids au niveau de la crédibilité et de l'opinion publique.

Financièrement, la AEW de Tony Khan n'avait sans doute pas besoin de cette soirée record pour survivre à court terme. Sauf qu'avec les ambitions de s'installer pour de bon sur l'échiquier mondial de la lutte, Khan a besoin de toute la bonne publicité qu'il peut recevoir et c'est le tour de magie qu'il est en train d'effectuer cette semaine à quelques jours de All In.

Il y a aussi le fait que la All Elite Wrestling n'est plus une petite coopérative naissante. On parle d'une compagnie d'envergure à l'internationale et le rôle de Tony Khan n'est pas seulement financier.

Par la force des choses, la AEW s'est structurée et les lutteurs n'ont plus forcément la main mise sur les décisions de l'organisation. D'ailleurs, Cody Rhodes est retournée à la WWE à la fin de son premier contrat avec Khan et la AEW. Même s'il était derrière la création de l'entreprise, Rhodes voyait sa carrière ailleurs en tant que lutteurs entre les câbles, signe que l'envergure de l'entreprise de Khan dépassait la simple présentation un peu juvénile de spectacle de lutte à contre-courant.

Même son de cloche pour les Young Bucks, Matt et Nick Jackson, ainsi que pour Kenny Omega. Les trois hommes portent toujours les titres de vice-présidents exécutifs, mais on sent une structure autour d'eux et une filiation vers le haut alors que Tony Khan, et son enthousiasme très bon enfant, se présente au centre des annonces de l'organisation, autant à l'écran dans le cadre du spectacle qu'à l'extérieur lors des présentations officielles.

Tony Khan, qui amorce sa quarantaine, n'est peut-être pas le Vince McMahon de sa génération, mais il a certainement appris quelques trucs du créateur de WrestleMania alors qu'il ne lésine pas sur les superlatifs quand vient le temps de présenter la AEW aux médias.

C'est à la fois sa force et sa faiblesse.

D'un côté, les amateurs affichent une certaine fatigue quand il abuse des formules consacrées pour faire des annonces sans envergures d'une semaine à l'autre. De l'autre, il a aidé à la croissance de la AEW dans le regard du grand public en s'affichant très tôt comme un joueur majeur alors qu'il n'était pas forcément à ce stade avant son expansion internationale en 2022.

« Fake it until you make it » est une expression bien connue qui résume adéquatement l'approche de Khan dans son rôle de promoteur de lutte.

À quelques jours de All In à Wembley, on peut suggérer à Khan qu'il tempère son syndrome de l'imposteur puisqu'il a réussi un tour de force qui fera taire ses plus ardents détracteurs.

Après une croissance fulgurante lors de ses premières années, la AEW doit garder le cap et apprendre à naviguer au quotidien dans le monde de la lutte. Ça vient avec son lot de maux de tête, comme la saga CM Punk ou encore les démêlés avec la justice de certains lutteurs récemment. Ça vient aussi avec de grandes ivresses, comme All In à Wembley, et des ajustements quand les choses vont moins bien.

Sans oublier ses modestes origines et les fanfaronneries des premières heures, la All Elite Wrestling est devenue une compagnie aux reins solides sur laquelle on pourra compter lors des prochaines années et l'auditoire semble suivre les projets de Khan et de son entourage.

C'est peut-être moins punk rock au goût des premiers adeptes, moins rebelle, voire moins baveux, mais une chose est certaine, l'alternative à la WWE est concrète et la lutte professionnelle n'a jamais été plus lucrative que maintenant.

Ne nous reste qu'à savourer le spectacle, car une compétition saine, en fin de compte, élève les productions et c'est le public qui en bénéficie directement.