La mission de Laurent Courtois : cultiver la patience dans un contre-la-montre
ORLANDO, Floride – En 2015, alors qu'il apprenait son nouveau métier au centre de formation de l'Olympique lyonnais, Laurent Courtois avait été invité, en entrevue, à décrire l'entraîneur qu'il était en train de devenir. « Pour l'instant, il n'est pas très patient », avait-il répondu d'entrée de jeu.
Près d'une décennie plus tard, la trouvaille étonne. Après tout, le Français a fait de la patience l'un des mots clés de son discours depuis son arrivée comme entraîneur-chef du CF Montréal. Il s'agit d'un prérequis logique quand on doit complètement reprogrammer un groupe relativement jeune qui, de surcroît, compte sept nouveaux visages. Et cette qualité, à prime abord, lui semble innée tellement elle est incarnée dans ses paroles et ses gestes.
Ce n'est pas le cas.
« Je ne le suis toujours pas! C'est le bordel là-dedans, nous apprend Courtois en pointant sa tête de l'index. J'ai envie de tout casser tout le temps. Mais il ne faut pas se laisser prendre par trop d'émotions. Il faut essayer de se parler pour canaliser et bien orienter cette énergie. Mais moi, dans ma tête, c'est le feu! »
Dans sa mission actuelle, Courtois est plus que jamais tiraillé entre sa nature impulsive et son devoir de tolérance. Il doit transmettre une tonne d'informations que ses joueurs, dans le fond ou dans la forme, n'ont jamais entendues. Il doit aussi accepter que ses consignes, une fois mises en application, seront maintes fois bafouées avant d'être bien assimilées.
« C'est ça que j'entends par patience, précise-t-il. Mais en même temps, the clock is ticking [le temps file]. Donc il faut y aller. »
Pour tenter de faciliter l'apprentissage de ses ouailles, Courtois a instauré un système de « codes » qui l'aide à mieux verbaliser ses demandes. « Il faut qu'on l'intègre, il faut qu'on le répète, il faut qu'on s'ajuste. Mais on pense que ça peut aider de coller un petit nom sur une action de jeu plutôt que d'être un peu vague tactiquement des fois », explique-t-il.
La vidéo occupe aussi une grande place dans son enseignement. La veille de chaque entraînement, il convoque ses élèves à l'écran afin qu'ils puissent visualiser ce qu'on leur demandera d'exécuter le lendemain. De cette façon, il souhaite réduire au minimum les demandes d'explications sur le terrain. Chaque minute de chaque séance est précieuse.
Elles sont comment, ces séances? Intenses, bruyantes, rythmées. Courtois bouge sans arrêt autour de ses hommes en action et prend le temps de les replacer un à un quand il remarque ne serait-ce que la moindre petite erreur de positionnement. Ses consignes sont précises et il s'attend à ce qu'elles soient comprises avec le même souci du détail en tête.
Le stratège n'hésite pas à ramener ses joueurs à l'ordre quand il sent qu'on ne l'écoute qu'en apparence. Lors du premier entraînement auquel RDS a assisté en début de semaine, il a haussé le ton entre deux exercices pour faire connaître son mécontentement. « On peut faire 2000 reps, si on ne met pas en application les choses qu'on veut voir, on perd notre temps. » Le lendemain, lors du deuxième entraînement de la journée, il s'est de nouveau impatienté. « Les gars, s'il vous plaît! Je dis quelque chose, vous dites oui, mais vous ne le faites pas! »
Mais chaque reproche est rapidement suivi d'un mot d'encouragement ou d'un cri d'appréciation. « Yes, thank you! », répète-t-il régulièrement après un bon coup. « J'ai adoré ça! » ou « Superbe mise en scène! », l'a-t-on entendu célébrer après une séquence qui lui plaisait.
« Il y a beaucoup d'information, on travaille fort, mais tu vois qu'il y va crescendo avec nous, nous avait dit Mathieu Choinière après nous avoir prévenu que Courtois était "très demandant aux entraînements". Il ne veut pas trop nous garocher ça, nous saturer. »
Courtois et ses adjoints demandent l'imputabilité. Quand un joueur a mis une erreur sur le compte de la mauvaise qualité de la surface, lundi, Laurent Ciman lui a ordonné, devant tout le monde, de ne plus chercher d'excuses. Le chapeau fait toutefois pour tout le monde. Juste avant, Courtois avait interrompu le déroulement d'un exercice pour admettre une erreur et demander des excuses à ses joueurs.
« Un peu à la Wilfried »
Avec Laurent Courtois, on est en pleine lune de miel. L'homme de 45 ans est arrivé à Montréal sans tache connue à son dossier et fait jusqu'ici honneur à la réputation qu'il s'est bâtie depuis sa reconversion comme entraîneur, notamment lors de son passage dans l'organisation du Crew de Columbus. Son discours est accrocheur, son énergie semble contagieuse et ses idées de jeu sont accueillies avec enthousiasme.
« Je ne dis pas ça pas parce qu'Hernán ne l'était pas, mais c'est quelqu'un qui comprend très bien l'humain, souligne Samuel Piette. On dirait que plus je vieillis, moins je juge les joueurs ou les personnes en général sur leur talent footballistique. C'est vraiment sur la personne et c'est la première chose qui m'a marqué avec Laurent. C'est quelqu'un qui pose des questions sur la vie en général. J'ai eu un tête-à-tête avec lui et parmi les premières choses qu'il m'a demandées, c'est si j'étais marié, si j'avais des enfants. »
« Il va être proche de ses joueurs, il va être à l'écoute de ses joueurs, prédit Choinière. Je pense que ça va être un point clé à un moment donné de la saison. On ne le souhaite pas, mais si ça va moins bien, je sens qu'il va être là pour nous, il va nous backer. »
Ces déclarations ne surprendront pas celui ou celle qui a prêté une oreille attentive à la toute première conférence de presse de Courtois à Montréal, dans laquelle il avait énuméré ses priorités dans cet ordre : l'humain, le joueur, l'équipe.
« Je trouve que dans le foot d'aujourd'hui, il faut beaucoup plus que tu gères l'humain que le joueur, approuve Piette. Et c'est quelque chose que je pense que lui, il veut faire. C'est sa valeur première, son objectif premier. C'est pour ça que je pense qu'on va beaucoup progresser collectivement parce que lui, il va prendre le pouls du vestiaire, il va être capable d'avoir des discussions, capable d'écouter, de recevoir, de faire des ajustements. »
Bryce Duke déplore que l'année dernière, il n'a pas reçu la moindre explication de la part d'Hernán Losada pour les nombreuses fois où il a été sorti d'un match à la mi-temps. Le jeune Américain reconnaît qu'il n'a jamais lui-même fait les premiers pas pour obtenir les réponses qu'il cherchait, mais il voit déjà chez Courtois une invitation à la transparence et au dialogue qui jure avec l'opacité de son prédécesseur.
Quant à ce qui commence à prendre forme entre les lignes blanches, Piette confirme le retour au style que la direction du club a tenté, sans y parvenir, d'imposer à Losada.
« On va être une équipe qui va vouloir créer des trucs et non attendre que les choses se passent. Il parle d'aller vers l'avant, mais l'idée n'est pas de le faire à tout prix, de balancer les yeux fermés. C'est de se créer des chances, pas juste en bottant ou en dégageant, mais de construire. Comment on construit ? En toute honnêteté, un peu à la Wilfried. Il y a des trucs différents, mais on va être une équipe qui veut avoir la balle, qui joue avec l'adversaire, qui le fatigue au niveau physique, mais mental surtout avec le ballon. C'est vraiment un style de jeu qui nous plait et qui nous colle à la peau parce qu'on l'a déjà vécu. »
Pendant les trois derniers jours, à l'entraînement, Courtois a placé ses joueurs sous pression profondément dans le tiers défensif et leur a montré la façon dont il voulait les voir s'en sortir. Sa vision exige de ses joueurs qu'ils soient allumés, courageux et imperméables au stress. « Intensité maximale, niveau minimal de panique! », l'a-t-on entendu leur demander.
Sans surprise, le match qu'ils ont joué mercredi soir contre Atlanta a démontré que cette fameuse patience sera de mise. Mais clairement, ses joueurs adhèrent au projet sans réserve.
« On s'est fait punir, mais on est audacieux. On est audacieux et j'adore ça », a dit Joel Waterman.
« Dans des soirées comme celle-ci où il y a eu non seulement une grosse erreur, mais aussi plusieurs erreurs, c'est tout simplement d'essayer d'apprendre le plus rapidement possible, a ajouté le gardien Jonathan Sirois, dont une mauvaise sortie a directement coûté un but. En ce moment, je suis dans un état d'esprit où les erreurs sont attendues et respectées, mais doivent aussi être corrigées. »
« On espère que tout le monde aura de bonnes indications sur les comportements attendus et l'expérimentation des quelques concepts qu'on a essayé de mettre en place, a conclu Courtois. Un petit peu dans l'excès aujourd'hui, mais tant mieux. Qu'ils expérimentent, qu'on jauge et qu'on règle petit à petit. Je suis presque content des erreurs qu'on a faites aujourd'hui. »