Les folles expériences qui ont blindé Tom Pearce
MONTRÉAL – Un propriétaire qui s'engueule avec son entraîneur devant un journaliste, un directeur sportif et son adjoint qui quittent leur poste au beau milieu de la saison, des décisions qui sont prises on ne sait trop où par on ne sait trop qui. Rien de tout ça ne va émouvoir Tom Pearce.
Pendant les cinq années qu'il a passées au Wigan Athletic Football Club, le nouveau défenseur du CF Montréal a vu et vécu des choses qui, en comparaison, rendent l'intrigue de l'intarissable roman-savon de l'Impact aussi exaltante que la diffusion du tirage des loteries de fin de soirée.
Pearce est arrivé à Wigan en 2019 après un bref passage avec l'équipe première de Leeds United. L'année suivante, le club a été vendu à un homme d'affaires de Hong Kong qui, aussitôt la transaction conclue, a décidé qu'il n'y injecterait pas un sous de plus. Devant ce revirement invraisemblable, le club a été placé sous administration judiciaire.
« Un beau jour, j'ai appris ça en allant sur Twitter, racontait Pearce mercredi pendant un brin de causette avec RDS. Personne n'avait aucune idée de ce qui se passait. On s'est fait appeler par le staff – c'était aussi la pandémie dans ce temps-là – et on s'est fait dire que les propriétaires étaient introuvables. Le centre d'entraînement a dû être vendu, on ne savait pas ce qui allait arriver avec nos contrats. C'était fou, mais on avait pu revenir et finir la saison. »
L'équipe avait terminé cette année-là en force, mais une pénalité de 12 points lui ayant été imposée pour ses mésaventures administratives avait mené à sa relégation de la deuxième à la troisième division du soccer anglais.
Wigan a passé les deux saisons suivantes en League One. Affecté par quelques blessures, Pearce a disputé 39 matchs au cours de cette période, amassant notamment un total de neuf passes décisives. L'équipe a regagné sa promotion en Championship en 2022, seulement pour être de nouveau punie pour sa gestion digne d'une ligue de garage la saison suivante.
En effet, en mai 2023, Wigan a été amputé de huit points au classement parce que ses nouveaux propriétaires n'avaient pas déposé les sommes nécessaires dans le fonds de roulement de l'équipe et avaient de surcroit négligé de payer les joueurs et le personnel technique.
« Je crois qu'on n'a pas reçu nos salaires pendant trois bons mois, relate Pearce sans gêne. Disons qu'on devait être payés le vendredi, on se faisait dire que ça rentrerait le lendemain, puis on se faisait dire que ça irait au vendredi prochain, puis au lundi suivant. À un certain moment, on recevait notre salaire, puis ça se répétait. Ça a été un cycle comme ça pendant trois mois. »
« Quand on était sur le terrain, c'est comme si on arrivait à oublier ça. Ça arrivait que des gars demandent pourquoi on continuait à jouer pour eux s'ils ne nous payaient pas. Dans n'importe quel autre métier, les gens auraient juste arrêté de se pointer au boulot. Mais au football, je crois qu'on a enduré ça en se disant qu'on le faisait tous chacun pour soi, pour nos familles et pour les supporteurs. »
« Que tout ça me soit arrivé à l'intérieur de trois ou quatre ans, c'est vraiment inexplicable, conclut Pearce avec un sourire encore teinté d'incrédulité. Je ne vois pas comment je pourrais tomber sur pire. »
En mai dernier, Pearce a été libéré de ses obligations contractuelles avec Wigan. Il dit avoir été courtisé par quelques clubs en Europe, mais l'approche de Montréal l'a tout de suite intéressé. Il a été séduit par les idées de jeu de l'entraîneur, puis convaincu par une visite éclair de la ville, qui lui rappelle sa Liverpool chérie.
Le miroir Leeds
À Wigan, Pearce a toujours été reconnaissable par le numéro 3 estampé sur ses shorts et son maillot. Quand il est débarqué à Montréal, il a eu l'idée de demander si le 46 était libre.
La combinaison de chiffres n'est pas sortie de sa tête par hasard. C'est celle qui ornait son uniforme blanc et bleu lorsqu'il a signé son premier contrat professionnel avec l'emblématique club Leeds United en 2018.
« Je voyais cette transition comme un tout nouveau départ pour moi et je voulais apporter un petit quelque chose du bon vieux temps, de l'époque où les choses allaient bien pour moi. J'ai fait mes débuts pros et j'ai marqué mon premier but avec ce numéro, alors j'ai pensé que ça pourrait être bien de le reprendre. »
On ne peut en vouloir à Pearce de chercher à revivre cette époque de sa vie. Il avait 19 ans quand il a mis sa signature sur le plus important bout de papier qu'il n'avait alors jamais touché, 20 ans quand, à son troisième match seulement, il a enflammé Elland Road avec le premier but de sa carrière. Il a terminé cette saison-là parmi les titulaires. Il a été appelé par la sélection des moins de 21 ans de l'Angleterre. Les journaux de l'époque rapportaient que deux équipes de Premier League s'intéressaient à ses services.
Mais durant la saison morte, l'entraîneur Paul Heckingbottom a été congédié et remplacé par Marcelo Bielsa. Ce changement de garde n'a pas souri au jeune latéral gauche.
« Ça a été intéressant... ouais ça a été dur, admet-il après avoir réfléchi à son choix de mots. On a tous dû changer notre façon de jouer parce que [Bielsa] demandait des choses que personne n'avait vues avant. Personnellement, ce n'était pas le style de jeu que je souhaitais jouer. C'est une réalité qui touche tous les joueurs. Ça fonctionne avec certains entraîneurs, ça ne fonctionne pas avec d'autres. Je me suis retrouvé sur le banc, je ne jouais plus autant que j'aurais voulu. »
Pearce a fini par être prêté à un club de League One. À son retour, il est parti pour de bon à Wigan. Vous connaissez la suite.
Ses débuts à Montréal ressemblent à s'y méprendre à ce qu'il avait fait en Angleterre. Un but, une passe décisive, le titre d'homme du match à sa deuxième apparition en bleu-blanc-noir. Même son but contre San Luis fait penser à celui, inoubliable, qu'il a célébré dans ce derby du Yorkshire il y a six ans.
« Le tir provenait probablement de la même distance, se remémore-t-il. Mais celui à Leeds, j'avais intercepté le ballon à la ligne centrale et j'avais filé seul vers le gardien. »
Aujourd'hui, le souvenir de cette journée magique et de tout ce qui a suivi le protège contre les charmes du succès instantané. Il sait qu'au soccer, la réussite d'aujourd'hui n'apporte que très peu de garanties pour demain.
« Un jour vous êtes là et le jour suivant, vous pouvez aussi bien être parti », résume-t-il.
Pour l'instant, toutefois, Tom Pearce semble avoir trouvé un club qui lui sied bien. Et l'inverse est tout aussi vrai.