Des leçons nécessaires à retenir pour John Herdman
AL RAYYAN, Qatar – La Coupe du monde 2022 allait toujours être une école à ciel ouvert pour les joueurs de la jeune sélection canadienne. Trois matchs sous haute pression, dans l'un des groupes les plus corsés de la compétition, pour prendre la réelle mesure de l'écart qui existe entre la crème de la CONCACAF et le meilleur de ce que le reste du monde a à offrir.
Jonathan David sait maintenant qu'il y a une autre fraction de seconde à aller chercher pour qu'une frappe bloquée devienne une frappe cadrée. Alphonso Davies aura de douloureux souvenirs desquels s'inspirer la prochaine fois qu'il prendra un penalty sous le regard du monde entier. Alistair Johnston aura de nouvelles techniques dans son arsenal la prochaine fois qu'il sera provoqué en duel par un Hazard ou un Perisic.
Une multitude de petits échecs qui pourront être compilés en un précieux ouvrage didactique s'ils sont interprétés et traités correctement.
John Herdman y trouvera son compte aussi.
Le sélectionneur canadien est arrivé au Qatar avec une réputation immaculée. Il en ressort avec quelques bonnes entailles dans son armure. Habitué aux éloges, il sortira probablement de ce tournoi avec le regard perplexe du boxeur qui n'a pas vu venir le coup de poing qui l'a envoyé au plancher.
La saga du mot en « F » qui a connu sa conclusion définitive dimanche n'est pas la raison pour laquelle le Canada a été battu par la Croatie. Cette logique aurait été respectée même si le volubile stratège avait passé quatre jours à chanter des comptines avec des drapeaux à damier rouge et blanc tatoués sur les joues. Mais les remous qu'elle a créés et les remontrances qu'elle lui ont values le pousseront assurément vers une réflexion sur sa gestion du moment et une révision de ses tactiques de motivation.
Ceux qui croient que l'époque où les joueurs s'inspiraient de déclarations de l'adversaires pour donner le petit coup de gaz de plus est révolue n'ont qu'à prendre connaissance des propos d'Andrej Kramaric, auteur d'un doublé dans la cuisante défaite de 4-1 du Canada. « Je veux remercier l'entraîneur du Canada pour la motivation. Ce soir, la Croatie a démontré qui a ‘f---‘ qui », a lâché sans se faire prier l'homme du match.
En conférence de presse, Herdman a confessé en partie ses péchés.
« Pas du tout, a-t-il répondu à un journaliste qui lui demandait s'il regrettait ses paroles. J'ai du respect pour la Croatie. Mais comme je l'ai dit, je devais pousser mes hommes le plus possible et changer la mentalité du groupe. J'aurais pu être en meilleur contrôle de mes émotions en sortant de ce discours, je suis prêt à le concéder. Ça fait partie de mon apprentissage. »
Herdman ne l'a pas demandé, mais il a aussi reçu de petits conseils gratuits de son homologue croate. Zlatko Dalic, qui avait tapissé du mot « respect » sa réponse à une question sur le mot en « f » la veille du match, n'a pas apprécié ce que nos yeux avaient remarqué à partir des hauteurs du Stade international Khalifa : Herdman n'a jamais cherché à aller lui serrer la main après le coup de sifflet final.
« Que je gagne ou que je perde, je vais toujours voir l'autre entraîneur, a dit Dalic. Il n'était pas là et c'est sa façon de faire les choses. C'est évident qu'il est fâché. Il est un bon entraîneur, un professionnel de qualité. Mais il aura besoin de temps pour apprendre certaines choses. »
Confiance aveugle et loyauté excessive
Herdman viendra peut-être aussi à la conclusion qu'il aurait gagné à diriger ses hommes davantage avec la main de fer que le gant de velours.
Dans le match contre la Belgique, sa gestion de son effectif a été placée sous le microscope quand Davies a lui-même pris l'initiative d'amener le ballon au point de penalty plutôt que de le laisser à un tireur plus expérimenté comme David. Des consignes précises ne devraient-elles pas être établies tout en haut de la chaîne de commandement en prévision d'un tel moment?
D'autres questions ont été soulevées contre la Croatie. Reconnu pour sa loyauté envers ses vétérans et ses plus fidèles soldats, Herdman a usé à l'excès cette inclination dans son utilisation du capitaine Atiba Hutchinson. Clairement à la traîne contre le trio vedette au cœur de l'animation croate, le doyen de l'équipe canadienne aurait probablement dû être laissé sur le banc pour le début de la deuxième demie.
Au retour du vestiaire, Herdman a plutôt décidé de sortir Stephen Eustaquio, blessé, et l'attaquant Cyle Larin. Dans une déclaration étonnante, il a confié que le plan était de rappeler Hutchinson vers la 55e minute, mais que ce dernier l'avait convaincu de le laisser un peu plus longtemps sur le terrain. Celui qui faisait sa 100e présence dans le maillot des Rouges a finalement été substitué à la 73e minute.
« J'avais besoin de leadership. Je venais de rentrer [Ismaël] Koné, j'avais besoin de leadership et il voulait continuer », a justifié l'entraîneur, des explications qui n'ont convaincu personne.
Pendant qu'on y est, Canada Soccer au grand complet pourra tirer des leçons de ce retour au Mondial après une absence de 36 ans. Quelqu'un, quelque part, a fait en sorte que Herdman et Hutchinson sont arrivés avec plus d'une demi-heure de retard à leur première conférence de presse d'avant-match.
Alphonso Davies, incontestablement le joueur le plus populaire de l'équipe, n'a toujours accordé aucune entrevue à part quelques brèves apparitions devant les caméras des diffuseurs officiels.
Et la transmission des horaires d'entraînement et autres détails logistiques a été d'une inefficacité qui n'a malheureusement surpris personne qui a moindrement l'habitude de faire affaire avec la fédération.