Fête dans les rues de Buenos Aires
Joie et démesure, à l'image de l'Argentine. Des millions de personnes ont envahi dimanche après-midi les places, rues du pays, comme les artères de Buenos Aires où une foule immense, incalculable, chavirait ivre de bonheur... et soulagée après tant de souffrance.
Tous veulent être là, vivre ce moment tant rêvé, tant attendu depuis le dernier titre (1986), et qui restera inoubliable, se contera de génération en génération. De tous âges, d'enfants à aïeux, ils crient, sautent, dansent sans fin se forgent des souvenirs à l'unisson.
« J'ai 35 ans. J'ai attendu 35 ans pour vivre ce moment-là. Je n'arrive pas à le croire. 35 ans à attendre ce rêve d'une vie », hurlait Sonia Palacios, le drapeau argentin noué autour du cou.
« On aime le football, on aime l'Argentine. Je suis heureuse, et heureuse de savoir que les gens sont heureux. Heureuse que ce pays avance, que malgré tout, malgré l'économie, tout, nous puissions aller de l'avant », ajoutait-elle transportée d'émotion.
Quelques minutes à peine après le penalty victorieux de Montiel, une surenchère de chansons, pétards, tambours, cornes de brume, klaxons, se disputaient sans fin l'espace sonore de la capitale.
Il est comme ça, ce pays !
Et sans même attendre que Lionel Messi soulève la Coupe à Doha, par milliers, dizaines de milliers, bientôt davantage, ont convergé vers l'Obélisque, monument emblématique de la capitale et lieu traditionnel des célébrations sportives.
« C'est beaucoup de joie pour tout le pays. On le méritait, y répétait Gustavo Barreiro, 29 ans. On est un pays qui a souffert, alors cette joie est bonne à prendre, pour souffler un peu », ajoutait-il, en référence aux mille et un maux de l'Argentine, de l'inflation chronique à une polarisation politique crispée.
« On est nés pour souffrir. On est comme ça, nous les Argentins. Mais on continue d'aller de l'avant. Il est comme ça, ce pays ! », exultait Manuel Erazo, vendeur de bières à la sauvette transportées dans une glacière.
Comme lui, beaucoup avaient anticipé, espéré, une grande fête, pour améliorer l'ordinaire, dans un pays où l'inflation frôlera les 100% en 2022. Des centaines proposaient bières, burgers, saucisses grillées sur des parillas (barbecues) installées à même le trottoir.
Car si les héros de la « Scaloneta » étaient attendus lundi soir vers 19H00 à Buenos Aires, d'ici là la fête, qui se déroulait sans incident à Buenos Aires plus de quatre heures après le match, promettait de s'éterniser.
Le président Alberto Fernandez a félicité l'équipe dans un tweet sitôt le match terminé « Toujours ensemble, toujours unis. NOUS SOMMES CHAMPIONS DU MONDE. Rien à dire de plus ».
Au crépuscule, à perte de vue une foule compacte continuait de s'étirer sur l'Avenue 9 de Julio, l'une des plus larges du monde (140 m). Et qui dit fête et football en Argentine, dit chansons que tous connaissent par coeur.
« Somos campeones ! » s'invitait à présent dans la playlist du supporter au côté du classique « Soooy Argentino, es un sentimiento, no puedo paraaar ! » (« Je suis argentin, c'est un sentiment, je peux pas arrêteeer ! ») chanté à tue-tête pendant le match autour d'écrans géants dans un parc, un stade, sur un front de mer, de Mar del Plata, sur l'Atlantique, à Jujuy au pied des Andes, et dans la Pampa argentine.
Résonnait aussi en boucle la toute dernière, "Muchachos", la chanson de l'année et devenue l'hymne officieux des supporters argentins dans ce Mondial. Invoquant à la fois l'Albiceleste, Maradona, Messi et les Malouines, elle a été hurlée à plein poumons, en début de match, pour couvrir la Marseillaise.
Diego regardait du ciel
« Je suis né en Argentine, le pays de Diego et Lionel », dit le premier couplet, appelant Lionel Messi à soulever le trophée que Diego Maradona avait conquis avant lui, en 1986.
« Lionel Messi l'a mérité. C'était la seule chose qui manquait à Lionel et nous sommes plus qu'heureux (...) C'est pour tout le monde, pour tous ceux qui voulaient la Coupe pour Messi, pas seulement pour les Argentins », dit Gustavo Barreiro.
Messi, désormais lui aussi héros à jamais au côté de Diego, dont l'ombre planait au-dessus de ce Mondial. "Premier Mondial sans toi, merci pour tout !" s'émouvaient les commentateurs de la télévision publique, dans un total lâcher-prise émotionnel.
Dans l'ancienne maison de Maradona, -qu'il avait achetée à ses parents- dans la banlieue de Villa Devoto, quelques dizaines de privilégiés, voisins, amis, avaient été invités à suivre le match dans le jardin, autour de la piscine et de la parilla, a constaté l'AFP.
« A nous Argentins, tout ce qui touche à Maradona rappelle notre enfance: c'est lui qui nous a donné le plus de joies », expliquait le nouveau propriétaire Ariel Fernando Garcia, un avocat de 47 ans. « Ca fait des années que l'Argentine est triste, mais elle a toujours été un pays généreux et solidaire. Et ça, il faut le retrouver », disait-il pour expliquer sa décision « d'ouvrir » la maison.
Parce que Diego « qui nous regarde depuis le ciel », comme dit la chanson « Muchachos », ne pouvait être absent d'un moment d'éternité du football argentin.