Un « Borjan polonais » pour surprendre la France?
DOHA, Qatar – Dans un article paru sur le site The Athletic juste avant le début de la Coupe du monde, le journaliste Joshua Kloke dresse un portrait de Milan Borjan dans lequel le gardien canadien est dépeint comme un athlète intense et compétitif, mais aussi complètement déjanté. Un joueur de tour professionnel qui n'a pas peur de se couvrir de ridicule, Borjan a apparemment l'habitude de décompresser dans le vestiaire en fumant une bonne cigarette.
C'est le genre de personnage dont le monde du sport a parfois la bonté de nous faire cadeau.
Les Polonais ont aussi leur portier excentrique. Il s'appelle Wojciech Szczesny et il pourrait bien être la seule chance de son équipe de causer une improbable surprise dimanche en huitième de finale contre la France (10h, RDS).
Szczesny fait parler de lui pour les bonnes et d'encore meilleures raisons depuis le début du Mondial.
Les bonnes : ses entrevues s'écoutent comme un nouvel opus de votre groupe favori, c'est-à-dire en boucle et avec un irrépressible sourire de satisfaction.
Après un match contre l'Argentine dans lequel il a arrêté un penalty de Lionel Messi, Szczesny a déclaré qu'il avait auparavant parié 100 euros avec l'attaquant vedette que l'arbitre ne décernerait pas de faute sur la séquence dans laquelle ses propres actions étaient en cause. « Je ne crois pas que ça soit permis à la Coupe du monde, a-t-il rigolé après la rencontre. Je vais probablement me faire bannir pour avoir dit ça, mais je m'en fous bien en ce moment! »
Szczesny a aussi fait le bonheur des titreurs français en déclarant en amont du duel de dimanche : « la clé pour stopper [Kylian] Mbappé? Moi-même! ». Les plus rigoureux auront vite noté que Mbappé a eu le dessus sur le natif de Varsovie il y a à peine un mois en Ligue des champions, mais n'empêche. À mi-chemin dans le tournoi, ce genre de boutade en a fait l'une des coqueluches des médias.
Et pour la petite histoire, il s'adonne que Szczesny a lui aussi a une relation conflictuelle avec la nicotine. En 2015, il s'est fait surprendre à chasser la nervosité clope au bec dans le vestiaire des Gunners. Cet entorse à un règlement d'équipe lui a valu une amende et la perte de son poste de titulaire.
Voilà donc pour les bonnes raisons. Les meilleures : entre ses poteaux, Szczesny est dans une autre stratosphère que Borjan. Les comparaisons entre les deux hommes, clairement, s'arrêtent à leur sens de l'humour et leurs bouffonneries.
Durant la phase de groupes, le cerbère de la Juventus s'est distingué en stoppant pas un, mais deux tirs de pénalité. En plus de Messi, il a ajouté à la liste de ses victimes le nom du Saoudien Salem Aldawsari. Il est ainsi devenu le troisième gardien de l'histoire de la Coupe du monde à arrêter plus d'un penalty – excluant les séances de tirs de barrage – dans un même tournoi. Les autres sont l'Américain Brad Friedel et son compatriote Jan Tomaszewski.
Derrière un groupe qui « aime défendre et souffrir », comme l'a remarqué le gardien français Hugo Lloris, Szczesny a réalisé un total de 18 arrêts dans ses trois premiers matchs du tournoi. Il a accordé deux buts alors que son équipe, selon la firme de statistiques avancées Opta, aurait dû en concéder 6,4. Cet écart entre les estimations de l'algorithme et la réalité est le plus grand, et de loin, enregistré depuis le début du tournoi.
Lloris, qui rejoindra dimanche l'ancien défenseur Lilian Thuram comme le joueur ayant le plus souvent porté le maillot des Bleus, s'est fait poser une question sur la menace que représente chez les Polonais l'attaquant Robert Lewandowski. Après un bref hommage au vénérable buteur, il a surtout réservé ses louanges à son homologue.
« Il réalise un tournoi fantastique. Je pense que si la Pologne aujourd'hui est en huitième de finale, elle le doit en grande partie à son gardien de but. »
Le sélectionneur polonais Czeslaw Michniewicz s'est défendu d'avoir préconisé une approche ennuyante et conservatrice depuis le début du tournoi. Il a plaidé que son objectif premier était de qualifier son équipe pour les rondes éliminatoires et que rien ne garantissait que son plan d'attaque serait le même pour la suite.
Malgré tout, plusieurs croient que la seule chance de la Pologne contre la France est de défendre en bloc dans l'espoir de pousser le match aux tirs de barrage. Dans cet aspect du jeu, les succès de Szczesny ne datent pas d'hier. Il a paré 26 des 87 tirs de pénalité qu'il a affrontés dans sa carrière, un taux de réussite de 30%.
« On a vu qu'il était bon à cet exercice, mais il ne nous impressionne pas non plus », a réagi le défenseur William Salbia avant d'ajouter qu'« on va tout faire pour gagner le match avant les tirs au but. »
L'histoire ne dit pas si Szczesny aime encore en griller une de temps en temps, mais on serait prêt à parier que son entraîneur sera le premier à lui tendre un briquet s'il devait permettre à son équipe de causer pareille surprise.