Abus dans le sport : pression maintenue pour le déclenchement d'une enquête
OTTAWA - La juge américaine qui a condamné Larry Nassar pour agression sexuelle envers de nombreuses gymnastes, Rosemarie Aquilina, a pressé lundi le Canada de déclencher une « enquête judiciaire » sur les abus dans le sport, les bloquistes et néo-démocrates saisissant la balle au bond pour demander à la ministre responsable du dossier, Pascale St-Onge, de donner suite à ses paroles.
Il y a un peu plus d'un mois, la ministre fédérale des Sports a indiqué qu'une enquête publique aura lieu et elle travaille depuis sur la forme que celle-ci pourra prendre. Si la juge Aquilina demande que celle-ci soit « judiciaire », les athlètes canadiens et les partis d'opposition aux Communes n'ont pas toujours été aussi spécifiques.
« Je pense que ça prend quelqu'un qui est juste et impartial (...) pour mener l'enquête et écouter équitablement chacun, puis arriver avec des décisions, un plan ainsi que des rencontres qui ont du sens pour tout le monde afin de bâtir la confiance, pas le traumatisme », a dit la magistrate américaine dans le foyer de la Chambre des communes, aux côtés d'élus du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique (NPD).
Un peu plus tôt, elle a affirmé en témoignant devant le comité du patrimoine que le Canada a l'occasion d'être à l'avant-scène mondiale en matière de protection des jeunes dans les milieux sportifs.
« Je pense que les autres pays vont emboîter le pas s'ils sont forcés de faire la bonne chose », a-t-elle soutenu durant sa comparution. Elle a fait valoir qu'Ottawa pourrait être un "leader" et « catapulter le monde entier » dans la bonne direction.
Le leader parlementaire du NPD, Peter Julian, et le porte-parole bloquiste en matière de sports, Sébastien Lemire, ont tous deux relevé que la Chambre des communes a adopté, il y a près d'un an, une motion demandant une « enquête indépendante » sur les abus dans le sport.
Depuis, le comité du patrimoine et celui de la condition féminine ont entendu une foule de témoignages d'athlètes.
"On dit au premier ministre que maintenant c'est à votre tour. On demande une enquête publique pour la sécurité, la santé sportive au Canada immédiatement", a lancé M. Julian.
La demande venue des Communes était, au départ, spécifique à Hockey Canada, mais ratisse depuis plus large.
La semaine dernière, le comité de la condition féminine a exhorté le gouvernement à avoir "comme priorité de mettre sur pied une enquête publique nationale indépendante visant à faire la lumière sur la façon dont le monde du sport a permis que des athlètes à tous les niveaux soient maltraités sans que des actions aient été prises pour y mettre fin".
Ce comité a remis le rapport concluant son étude sur les abus en milieux sportifs et demandé que l'enquête soit la première de ses recommandations à être mise en application.
« On est là pour faire une pression supplémentaire et pour dire (de) passer des intentions (à la mise) en application », a insisté la porte-parole bloquiste en matière de condition féminine, Andréanne Larouche.
Dans une déclaration écrite transmise à La Presse Canadienne, la ministre St-Onge a signalé qu'elle aura « bientôt plus d'informations à partager » quant à la réponse gouvernementale aux demandes d'enquête.
« L'objectif est d'offrir un espace sécuritaire pour les survivants qui désirent partager leur expérience et identifier, à tous les niveaux du sport, les améliorations à apporter », a-t-elle ajouté.
Le dossier s'est retrouvé à l'avant-plan l'an dernier, quand Hockey Canada a fait la manchette pour avoir conclu une entente à l'amiable avec une femme qui a ensuite abandonné une poursuite dans laquelle elle alléguait avoir été violée par huit joueurs après un gala de l'organisation sportive.
Dans la foulée, la ministre St-Onge a annoncé l'été dernier le gel des fonds fédéraux versés à Hockey Canada, lesquels ont été rétablis en avril dernier. Un audit a déterminé qu'aucun financement d'Ottawa n'a servi « à payer des règlements juridiques ou des frais juridiques connexes ».
Le porte-parole conservateur en matière de sports, Richard Martel, a critiqué lundi le rétablissement des fonds fédéraux qui, selon lui, est survenu sans que de réels changements s'opèrent.
La juge Aquilina a d'ailleurs beaucoup insisté sur l'importance à ses yeux de couper les vivres aux organisations sportives fautives afin d'assurer un changement.
En mai dernier, Mme St-Onge a annoncé une réforme pour doter Sports Canada de nouveaux outils, comme celui d'avoir le pouvoir de suspendre du financement sans avoir à attendre une directive de la ministre.
Une « unité de conformité » est mise sur pied et sanctionnera ainsi des organisations si elles s'inscrivent en porte-à-faux des principes d'un environnement sain et sécuritaire.
Les organismes sportifs devront présenter des plans pour répondre à des indicateurs d'ici avril 2024 afin de pouvoir toucher du financement fédéral. Toutes les mesures de la réforme mise de l'avant par Mme St-Onge doivent ensuite pleinement entrer en vigueur d'ici avril 2025.
« Il y a peut-être moyen de revoir les échéanciers quand il est question de gouvernance », croit M. Lemire.
Du côté du gouvernement, on a laissé entendre que le temps imparti vise à assurer un bon cadre d'intervention où la suspension des fonds ne se fera pas « sans nuances », ce qui pourrait avoir un effet négatif et non désiré sur les athlètes.