Plus que le roi de la terre
Sans égal sur terre battue, Rafael Nadal a étendu sa domination à toutes les surfaces grâce à son inoxydable mental et sa résilience face aux blessures, qui ont fini par avoir raison de lui.
Avec ses 22 sacres majeurs, dont 14 à Roland-Garros, l'Espagnol de 38 ans dont la carrière a pris fin mardi soir à Malaga, est le deuxième homme le plus titré en Grand Chelem derrière Djokovic (24) et devant son grand rival Roger Federer (20).
Rafa a écrasé la concurrence sur l'ocre durant près de vingt ans, depuis ses débuts professionnels en 2001, mais réduire sa palette à cette couleur serait une erreur.
Avec 92 trophées, le trône de no 1 mondial occupé pendant 209 semaines, quatre Coupes Davis et deux médailles d'or olympique, en simple (2008) et en double (2016), il possède l'un des palmarès les plus foisonnants avec ceux de Djokovic et Federer.
« Je l'ai affronté très jeune », s'est remémoré l'ex-no 1 mondial Lleyton Hewitt à Malaga. « Dès qu'il est arrivé, c'était évident qu'il était destiné à réussir de grandes choses », a estimé l'Australien.
Pour l'Américain Tommy Paul (12e), Nadal « a toujours gagné et perdu avec classe (...) Même si ce n'était pas ton joueur favori, tu ne pouvais t'empêcher d'admirer sa manière de faire les choses ».
En janvier 2022, à Melbourne, l'Espagnol est devenu après Djokovic le deuxième joueur de l'ère Open (depuis 1968) à remporter au moins deux fois chacun des quatre tournois du Grand Chelem.
Lui-même place au-dessus ses deux victoires sur le gazon de Wimbledon en 2008 et 2010. Surtout la première, conquise dans un match de légende contre le champion suisse, coauteur avec lui d'un des feuilletons les plus passionnants de l'histoire du sport.
Mais c'est bien sur la terre battue que son art a atteint la perfection. Durant sa carrière, il a été quasiment imbattable d'avril à juin grâce à son lift incontrôlable et ses glissades supersoniques: 484 matches gagnés sur 535 disputés, plus de 90% de succès.
Le clan Nadal
Ses triomphes parisiens, de 2005 à 2008, de 2010 à 2014, de 2017 à 2020 et en 2022, sont ses chefs-d'œuvre. Aucun champion n'a jamais réussi à gagner autant de fois un même tournoi du Grand Chelem... ni d'aucune autre catégorie d'ailleurs.
Personne d'autre non plus n'a jamais remporté 81 matchs de suite sur terre battue, record établi entre avril 2005 et mai 2007, ni empilé 63 titres sur cette surface.
Né d'une mère commerçante et d'un père chef d'entreprise à Manacor, la troisième ville de Majorque, île des Baléares à laquelle il reste viscéralement attaché, Nadal a passé son enfance dans un immeuble où logeait toute sa famille, ou plutôt son clan tant un esprit de corps soudait ses membres. A cet égard, la séparation de ses parents en 2009 a été une rude épreuve.
Dans un hommage publié mardi sur les réseaux sociaux, Roger Federer ne s'y est pas trompé, félicitant la « famille » et « l'équipe » autour de Nadal, « qui ont tous joué un rôle immense dans (son) succès ».
Son oncle Miguel Angel Nadal, ancien footballeur au FC Barcelone, lui a fait prendre conscience très jeune des exigences du sport professionnel.
Mais c'est Toni Nadal, son mentor de l'âge de quatre ans jusqu'à 2018 (quand son compatriote et ami Carlos Moya a pris la relève), qui a eu l'influence la plus décisive.
Sous la férule impitoyable de cet oncle entraîneur, le petit prodige a sué sang et eau au club de tennis juste en face de la résidence familiale. « Il me mettait une pression très forte, usait d'un langage brutal, criait souvent; j'avais peur de lui », raconte le joueur dans son autobiographie « Rafa ».
D'après Toni, c'était le prix à payer pour transformer un garçon plutôt timide et craintif en bête de combat sur le court. Et aussi en gentleman: « Interdiction absolue de jeter sa raquette ».
Son corps, son pire ennemi
Moins doué techniquement que Federer, le gaucher Nadal (mais droitier dans la vie) a triomphé grâce à son mental, cette « capacité à accepter les difficultés et à les surmonter, supérieure à celle de la plupart de (ses) rivaux », selon ses mots, et à son exceptionnel pouvoir de concentration.
Son corps a souvent été son pire ennemi. Dès 2006, Nadal s'est cru perdu à cause d'un mal chronique (syndrome de Müller-Weiss) au pied gauche. Cette douleur qui va et vient sans jamais disparaître est devenue particulièrement handicapante à la toute fin de sa carrière: il a ainsi remporté son quatorzième et dernier Roland-Garros avec un pied anesthésié.
Des problèmes au genou et au poignet l'ont également tenu éloigné des courts pendant de longues périodes, sans compter les déchirures abdominales.
Nadal a tenté un ultime retour en 2024 à Paris: à Roland-Garros d'abord, puis aux Jeux olympiques. Il y a effectivement joué, mais loin de sa meilleure forme.
Cet homme immensément célèbre et riche (près de 135 millions de dollars de gains en tournoi, sans compter les revenus publicitaires) se décrit comme une personne ordinaire qui n'aime rien tant qu'aller à la pêche avec ses amis, regarder des matches de football -- qu'il préférait au tennis étant enfant -- et passer du temps avec son épouse Mery, une Majorquine dont il partage la vie depuis 2005. Ils ont eu un fils en octobre 2022, prénommé Rafael.