Le « Big Three » du tennis masculin a marqué Eugène Lapierre et Valérie Tétreault
Pendant 16 ans, en alternance lors des années impaires, trois Européens ont foulé la surface du court central du plus prestigieux stade de tennis à Montréal. L'un avec la grâce d'un danseur; un autre avec l'acharnement d'un fauve qui voit, en son rival, une proie à dominer; le troisième, avec la résilience d'un cycliste qui cherche à atteindre les plus hauts sommets, parfois dans des conditions adverses. Mais depuis cinq ans, on est devant la tendance opposée. Une tendance qui semble irrémédiable.
Depuis que l'Espagnol Rafael Nadal a dominé Daniil Medvedev en finale de l'édition de 2019, aucun des illustres membres du « Big Three » du tennis masculin n'a étalé son grand talent au bénéfice des amateurs montréalais et québécois.
Le Suisse Roger Federer a joué son dernier match à Montréal lors de la finale de 2017.
Quant au Serbe Novak Djokovic, sa dernière sortie sur le court central de ce qui s'appelait alors le « Stade Uniprix » remonte au match ultime du tournoi de 2015.
Pendant quelques jours, la semaine dernière, les dirigeants montréalais ont espéré voir Djokovic et Nadal à l'Omnium Banque Nationale en 2024.
Nadal a finalement choisi de reposer son corps meurtri après les Jeux olympiques de Paris, même si l'attendait un laissez-passer au tableau principal. Djokovic faisait partie des inscrits au tournoi jusqu'à lundi dernier, quand il a annoncé son forfait.
Il est maintenant clair qu'une ère s'achève au tennis masculin, et que le flambeau a déjà commencé à changer de main.
Federer a pris sa retraite du tennis par une journée chargée d'émotion, en 2022, lors de la Coupe Laver. Celle de Nadal semble imminente et celle de Djokovic viendra peut-être plus vite que d'abord anticipée, maintenant qu'il est un médaillé d'or olympique et qu'il a tout gagné ce qu'il y a à gagner dans le tennis.
Une chose est sûre : il s'agit d'une époque incomparable dans l'histoire du tennis qui, pourtant, en a vu d'autres, note Eugène Lapierre.
« On aurait pu dire ça quand c'était Rod Laver, Ken Rosewall, et (John) Newcombe et les Australiens (dans les années 1960). Après ça, il y a eu l'ère de (Bjorn) Borg, (John) McEnroe, (Jimmy) Connors et compagnie (dans les années 70, principalement) », fait remarquer celui qui a été le directeur du tournoi montréalais pendant la suprématie de Federer, Nadal et Djokovic.
Cela dit, Lapierre reconnaît qu'il a été le témoin de performances exceptionnelles de la part d'un trio de joueurs qui a gagné 66 tournois du Grand Chelem sur 81 entre l'édition de Wimbledon de 2003 (Federer) et celle des Internationaux des États-Unis de 2023 (Djokovic).
« Et chacun d'eux peut dire : "Qu'est-ce que ç'aurait été, si je ne les avais pas eus, ces gars-là?" », souligne Lapierre.
Valérie Tétreault, qui a remplacé Lapierre à la direction du tournoi avant l'édition de 2023, est du même avis.
« Je pense qu'ils seront les premiers à dire que parce qu'ils ont évolué sur le circuit en même temps, on pourrait se demander combien ils auraient eu de titres supplémentaires s'il y en avait eu que deux, par exemple, ou s'ils avaient été seuls. C'est énorme l'impact qu'ils ont eu, tous les trois, sur le tennis », a-t-elle mentionné.
Ces trois joueurs ont aussi laissé leur marque à Montréal. Entre 2003 et 2019, Federer (cinq fois), Nadal (huit) et Djokovic (cinq) ont adhéré au tableau principal en 18 occasions. Au fil de toutes ces années, ils ont participé à huit finales et en ont gagné cinq (Nadal, trois en trois, Djokovic, deux en trois).
L'édition 2009 a été particulièrement heureuse pour les organisateurs montréalais, puisque l'Écossais Andy Murray, alors troisième joueur mondial et qui avait réussi à s'intégrer au groupe pour en faire un « Big Four », s'était joint à Federer (numéro 1), Nadal (2) et Djokovic (4) à Montréal.
Leur présence a sans doute contribué au fait que, pour la première fois de son histoire, cette année-là, le volet masculin du tournoi montréalais a accueilli plus de 200 000 spectateurs lors d'une même édition, la norme maintenant à Montréal chez les hommes.
« En 2009, nous avions les huit premiers joueurs du monde dans les quarts de finale. Selon l'ATP, dans l'ère des professionnels, depuis la venue du classement de l'ATP, c'était la première fois que ça arrivait, autant en Grand Chelem qu'en Masters 1000 », relève Lapierre qui conserve, encore aujourd'hui, de précieux souvenirs de cette édition particulière.
En plus de les voir briller sur les courts avec leurs styles incomparables, Lapierre et Tétreault ont aussi côtoyé trois hommes aux personnalités tout aussi différentes, mais qui n'étaient pas difficiles à satisfaire et qui savaient se montrer reconnaissants.
Dans son rôle de directrice des communications chez Tennis Canada en 2017, Tétreault a vu un bel exemple de ce côté reconnaissant, quand le jeune Canadien Denis Shapovalov a causé une gigantesque surprise en éliminant Nadal en huitièmes de finale du tournoi montréalais.
L'Espagnol, qui comptait alors 15 titres du Grand Chelem, avait fort mal digéré ce revers, se souvient Tétreault. Mais ça n'avait pas empêché Nadal de s'acquitter de ses responsabilités avec les médias et d'afficher toute sa classe.
« (Nadal) s'était dirigé dans la salle de conférence de presse immédiatement après la fin du match, si bien que les journalistes n'avaient pas encore eu le temps de se rendre. Donc, il a quand même été quelques minutes seul dans cette salle, et pour y avoir été, on sentait la tension », relate-t-elle.
« Il a terminé sa conférence de presse et malgré le fait qu'il était frustré, qu'il voulait juste s'en aller, je me souviens qu'il a pris la peine de serrer la main aux préposés aux transcriptions des conférences de presse. Il m'a remerciée pour ma collaboration tout au long de la semaine et il a remercié tous les gens impliqués auprès de lui dans le salon des joueurs. »
En voyant des jeunes comme Carlos Alcaraz et Jannik Sinner, qu'elle qualifie de beaux diamants, Tétreault est confiante de voir réussir la transition au tennis masculin. Ce qui ne l'empêche pas de ressentir un brin de nostalgie.
« Ce sont les joueurs avec qui j'ai grandi moi aussi, et ce n'est pas facile de les laisser aller », dit-elle en parlant du « Big Three ».
« Ils me manquent et ça va me manquer de ne pas les voir, les trois, dans les gros tournois en même temps. »