Laissez de côté votre amour profond pour P.K. Subban, pour son charisme, ses montées spectaculaires, ses célébrations éclatantes, ses habits excentriques, sa place réservée dans le jet set de Montréal, de Toronto, de Hollywood et aussi sa très noble et plus généreuse encore implication communautaire.

Mettez tout ça sur la glace une seconde ou deux pour vous concentrer sur le hockey; sur le mandat premier de Marc Bergevin à titre de directeur général du Canadien de Montréal : un mandat très simple, mais à la fois immensément compliqué à remplir, qui est, faut-il le rappeler, de faire du Tricolore une meilleure équipe de hockey.

Une fois votre déception, votre peine, votre colère pour ne pas dire votre rage mises de côté, une fois toute votre concentration sur le hockey, posez-vous cette question : le Canadien est-il un meilleur club avec Shea Weber comme pierre angulaire à sa ligne bleue qu’il ne l’était avec P.K. Subban?

La réponse est oui.

Et ce n’est pas parce que P.K. Subban est un ci ou un ça. Ce n’est pas non plus à cause de ses revirements trop nombreux, des chances risquées et souvent coûteuses qu’il multiplie sur la patinoire, du fait qu’il passe troisième dans le vestiaire après Dieu et Carey Price, quand il n’est pas blessé, au point de tomber sur les nerfs du reste de l’équipe incluant joueurs et membres du personnel d’entraîneur ou de l’état-major.

P.K. Subban est un très bon défenseur. Un excellent même. Il a, comme il le prétend lui-même chaque fois qu’il en a l’occasion, sa place parmi les meilleurs arrières de la LNH. Tout ça est vrai. Mais ce qui l’est tout autant, c’est que Shea Weber est meilleur que lui. Et qu’il l’est dans la très grande majorité des aspects du jeu.

Vrai que Weber n’est pas aussi spectaculaire que Subban. Cela dit, est-ce vraiment un défaut?

Mais même sur l’aspect du spectacle, j’ai hâte de voir Weber ramasser Brad Marchand lors de la première visite des Bruins de Boston à Montréal; j’ai hâte de voir Weber marquer des buts avec un tir tout aussi foudroyant que celui de P.K. mais sans doute un brin ou deux plus précis; j’ai hâte de voir Weber trôner à la ligne bleue en affichant un flegme qui fait peur aux adversaires et qui donne confiance à ses coéquipiers. J’ai hâte parce que je me demande si les partisans s’ennuieront alors encore autant du jeu spectaculaire, mais trop souvent inquiétant, que prônait P.K. Subban.

Je vais le réécrire une fois de plus pour être bien compris : je n’enlève rien de rien à P.K. Subban, à son talent, à ses qualités nombreuses, à son charisme. Mais Shea Weber est meilleur que lui. C’est pour cette raison qu’il sera encore sur la patinoire pour défendre les couleurs du Canada lors des moments cruciaux de la prochaine Coupe du monde — comme il l’a fait lors des derniers Jeux olympiques de 2010 et 2014 — alors que P.K. sera contraint à suivre les matchs des gradins ou devant son téléviseur.

En prime, Shea Weber est un vrai leader. Il était le capitaine des Preds jusqu’à hier. Un capitaine reconnu pas seulement au sein de son équipe, mais aussi aux quatre coins de la LNH. Croisé la semaine dernière à Las Vegas, Weber est d’ailleurs sorti du gala annuel de la LNH avec le trophée Mark-Messier entre les mains. Un trophée remis au joueur qui a assumé le plus grand leadership au cours de la dernière saison.

À moins que Max Pacioretty ne décide de lui offrir son titre de capitaine, ce dont je doute fort, Weber pourra l’aider à devenir un meilleur capitaine en l’appuyant sur la glace et dans le vestiaire. En lui servant de guide lorsque les choses iront moins bien. Un guide qui manquait cruellement au jeune capitaine quand la tourmente a fait sombrer son équipe vers la cave du classement.

C’est pour toutes ces raisons que le Canadien a réalisé un bon coup, c’est du moins mon opinion, en acceptant de se défaire de P.K. Subban au profit de Shea Weber.

Le courage de Bergevin

Je ne suis pas toujours d’accord avec Marc Bergevin. Même que son mutisme professionnel me rend parfois malade. Et il lui reste encore beaucoup de travail à faire pour s’assurer que le Canadien marque plus de buts l’an prochain afin de reprendre sa place – et ce n’est pas acquis – parmi les équipes invitées en séries éliminatoires.

Mais il est impératif de saluer le courage de Marc Bergevin dans le dossier Subban. Compte tenu de l’énorme popularité de P.K. Subban, une popularité qui dépasse largement les cadres du hockey au point même de leur faire ombrage, il était périlleux de compléter une telle transaction. Surtout sur le plan des relations publiques. Périlleux, car peu importe les performances de Weber une fois avec le Canadien, les fans très nombreux de P.K. attendront ses rares erreurs, ses rares revirements, ses rares occasions ratées pour miner le bien-fondé de la transaction.

La chose facile aurait été de laisser le premier juillet arriver, de donner à P.K. les clefs de la ville, du Centre Bell et du vestiaire du Canadien pour les huit prochaines années en raison de la clause de non-mouvement qui lui aurait permis d’être plus imperméable encore aux directives de ses coachs et au partage nécessaire des responsabilités positives ou négatives au sein d’une équipe avec ses coéquipiers qu’il ne l’était déjà. Et il l’était beaucoup… La chose facile aurait été de laisser P.K. épater la galerie même si ces coups d’éclat plaçaient son équipe dans le pétrin pour ne pas s’aliéner une majorité de supporteurs.

Marc Bergevin a décidé de vivre dangereusement. De prendre une décision qui sera saluée par une très grande majorité de ses joueurs et aussi par ses entraîneurs bien qu’elle fera de lui un DG dont la tête et le jugement sont mis à prix. Et le seront pour un bon bout de temps.

Lapidé de critiques aussitôt la transaction confirmée, Bergevin vivra avec cette transaction jusqu’à la fin de sa carrière. De fait, il sera à la retraite depuis des années qu’il aura encore à commenter sa transaction. À expliquer ce qui l’a poussé à réaliser pareil coup d’éclat. Et même si les prochaines années lui donnent raison, Bergevin sera toujours identifié comme celui qui a chassé P.K. Subban de Montréal.

Plusieurs lui en veulent aujourd’hui. Ils lui en voudront encore demain. Ils lui en voudront encore longtemps, et ce même si cette transaction s’inscrit dans les bons coups réalisés par Tricolore.

Trois ou quatre ans de sursis

Au fait, est-ce que cette transaction est vraiment un bon coup? On le saura dans six ou sept ans. Et ça ne dépendra pas seulement des bons et moins bons coups réalisés par Weber et Subban. Cela dépendra aussi, et surtout, des bons et moins bons coups des deux équipes.

Si le Canadien retourne parmi les prétendants à la coupe Stanley, qu’il effectue une 25e conquête et que Weber et un acteur de premier plan avec les Price. Galchenyuk, Gallagher et Pacioretty, le Canadien aura réussi son coup et la réputation de Bergevin sera sauve.

Si P.K. conduit les Predators jusqu’aux grands honneurs? Eh bien ce sera la pagaille à Montréal et Bergevin quittera le Centre Bell couvert de goudron et de plumes. Aux sens propres comme aux sens figurés.

Mais attendons avant de sauter trop vite à des conclusions qui pourraient être grossièrement exagérées. Après tout, le Canadien, traîné dans la vase lorsqu’il a décidé de miser sur Carey Price plutôt que sur Jaroslav Halak après ses séries sensationnelles en 2010, a finalement effectué le bon choix. Tous ceux, et ils étaient très nombreux, qui décriaient le choix de Price aux dépens de Halak sont loin de s’en vanter aujourd’hui.

Remarquez que P.K. pourrait aussi rejoindre Patrick Roy et Mike Ribeiro dans la catégorie des transactions néfastes conclues par le Tricolore. C’est vrai. Mais j’en doute. Je suis vraiment d’avis que cette transaction sera un très bon coup pour le Tricolore au cours des trois, quatre, peut-être cinq prochaines années.

Shea Weber aura 31 ans en début de saison prochaine. P.K. en aura alors 27.

Weber est à son apogée. À moins qu’il ne soit victime d’une blessure, il sera au sommet de sa carrière au cours des trois ou quatre prochaines saisons. Une fois à 36 ans, il amorcera sa descente qui lui permettra de se rendre jusqu’à la retraite.

P.K. sera alors à son apogée.

C’est une fois les deux courbes complétées que l’on saura vraiment qui a gagné et qui a perdu. Remarquez que les deux clubs pourraient sortir gagnants de cette transaction impliquant deux très bons défenseurs. Weber est meilleur que Subban en ce moment, mais Subban le sera peut-être au fil des prochaines années.

Parce que Subban est plus jeune de plus de trois ans, j’aurais aimé voir Bergevin soutirer un jeune ou un choix au repêchage aux Predators en plus de Weber.

Mais il tenait vraiment à conclure cette transaction. Et comme il avait un client de l’association ouest, ce qui assure de voir Subban affronter le Canadien au maximum deux fois par année, Marc Bergevin ne pouvait être trop gourmand au risque de faire tomber le « deal ».

Légère économie à court terme

Sur le plan financier, le Canadien économise 1,145 million $ annuellement sur sa masse salariale à compter de maintenant puisque le salaire de Weber compte pour 7,855 millions $ alors que celui de Subban compte pour 9 millions $ sous le plafond.

Après avoir touché 14 millions $ pendant quatre ans, Weber amorce deux saisons à 12 millions. Il tombera ensuite à 6 millions $ alors que les Price, Galchenyuk et Pacioretty s’apprêteront à passer à la caisse. Ça ne changera rien au calcul de la masse, mais ça aidera Geoff Molson à affronter les fins de mois…

Le hic, et sur ce point je partage les préoccupations des fans de Subban qui ont dénoncé la transaction, Shea Weber est sous contrat jusqu’en 2025-2026. Son contrat prendra donc fin quatre ans plus tard que l’actuel contrat de P.K. Subban.

Oui c’est risqué. Car oui, au-delà du fait qu’il soit une force de la nature et un monstre de l’entraînement et de la bonne forme, Weber pourrait devenir un boulet financier à la toute fin de sa carrière.

Mais comme il ne touchera alors qu’un million $ par saison, lors des trois dernières de son contrat de 14 ans qui lui aura alors rapporté 111 millions $, peut-être sera-t-il enclin à prendre une retraite hâtive. Retraite qui ferait épargner un million par an en saison, mais un gros 7,855 millions $ sous le plafond.

Mais bon, on est loin d’être rendu là.

Et d’ici à ce que ce sujet devienne un sujet de discussion, Shea Weber aura donné tellement de gros et bon hockey au Canadien et à ses partisans, qu’ils seront sans doute prêts à lui pardonner une baisse de régime.

Peut-être même qu’il aura alors réussi à leur faire oublier P.K. Subban. Ce dont je doute.

Mais ça reste pour aujourd’hui, pour l’an prochain et sans doute trois, quatre, voire cinq ans, une très bonne transaction pour le Canadien. Sur le plan hockey. Sur le plan des relations entre Marc Bergevin, le Canadien et les fans de P.K. Subban? Seul le temps arrangera, peut-être, les choses…