MONTRÉAL – À l’été 2012, les Beauvillier ont pris la route de Pittsburgh afin d’y voir un rêve se réaliser. Francis, le fils ainé de la famille, allait être repêché par une équipe de la Ligue nationale de hockey.

Un joueur de centre qui venait de compléter sa troisième saison dans la LHJMQ, Francis Beauvillier était avantageusement coté en vue de son passage chez les pros. La Centrale de recrutement de la LNH le classait au 56e rang de sa liste des meilleurs espoirs nord-américains, le projetant donc comme un éventuel choix de troisième ronde.

Assis dans la section 112 du Consol Energy Center, les Beauvillier ont attendu. Et attendu. La troisième ronde est passée, puis la quatrième. Toujours rien. La délivrance n’est survenue qu’en sixième ronde, quand les Panthers de la Floride ont choisi Francis avec le 174e choix de l’encan.

Son frère Anthony, qui venait d’avoir 15 ans à l’époque, s’en souvient encore.   

« Au lieu d’avoir du fun et de relaxer dans les estrades, on était nerveux à l’idée d’entendre son nom. C’est ce qui avait fait que ça nous avait paru long, mais sinon c’était vraiment quelque chose de spécial. Juste de voir mon frère être repêché, j’en avais des frissons. »

Trois ans plus tard, toute la famille se réunira en Floride et cette fois, c’est le plus jeune du clan qui vivra son petit moment de gloire. Anthony Beauvillier, joueur étoile des Cataractes de Shawinigan, devrait être l’un des premiers Québécois sélectionnés lorsque la LNH débarquera à Sunrise pour ses assises annuelles. La Centrale a inscrit son nom au 33e échelon de la version finale de sa liste nord-américaine, mais d’autres observateurs vont jusqu’à lui prédire une sortie dans le top-20.

Vous pouvez donc tout de suite aller à la banque avec cette prophétie : le jeune homme ne se rongera pas les ongles jusqu’à la sixième ronde avant de connaître la couleur de son prochain uniforme. Mais ça ne signifie pas qu’il soit à l’abri d’une déception.

« Parce que mon frère est passé par là, je peux mieux m’imaginer comment je vais réagir, mais en même temps, j’essaie d’aller là avec le moins d’attentes possible, affirmait Beauvillier lors d’un récent entretien avec RDS. C’est sûr que j’aimerais sortir le plus tôt possible, mais ce qui compte, c’est ce que tu fais après le repêchage. Je m’en vais là-bas avec cette mentalité. »

Tous ceux qui le connaissent savent ce qu’Anthony Beauvillier ne fera pas après le repêchage : s’asseoir sur ses lauriers. Qu’il soit fixé dès la première journée de l’événement ou qu’il doive patienter au lendemain pour découvrir ses nouvelles allégeances, il reviendra au domicile familial à St-Hyacinthe et retournera immédiatement au gymnase. Puis arrivera le camp d’entraînement des Cataractes et le petit numéro 91 sera le premier à sauter sur la glace, traçant le chemin aux nouvelles recrues comme aux jeunes vétérans qui le côtoient depuis deux ans.

 « C’est un joueur qu’on peut considérer comme un moteur pour son équipe. C’est un petit gars qui a beaucoup de cœur et qui veut jouer au hockey », affirme le recruteur Denis Fugère en insistant sur chaque syllabe des quatre derniers mots de sa description.

« Anthony, c’est un gars passionné par la game, approuve Martin Bernard, son entraîneur depuis ses débuts dans la LHJMQ. Il est très enthousiaste, il a le bien-être de ses coéquipiers à cœur et va mettre les efforts pour réussir. Ce sont des atouts bien importants au niveau d’une équipe de hockey et il les possède tous. »

Bernard donne en exemple cette fois où il avait donné congé d’entraînement à son meilleur marqueur, seulement pour le voir entrer dans l’aréna au beau milieu d’un exercice. « Il va s’asseoir sur le banc et regarder la pratique parce qu’il ne veut rien manquer. C’est ce genre de joueur-là. Il ne se tanne pas pantoute. »

« Le hockey, ça représente pas mal toute ma vie », acquiesce Beauvillier, qui ne peut s’empêcher de rire quand on lui parle de la redondance des compliments dirigés à son endroit.

« Depuis que je suis né, c’est ce que je fais, c’est ce que j’aime faire. Des fois, le monde peut dire que je suis fou, que je prends trop ça à cœur… Peu importe. Mon but, c’est de jouer dans la LNH et il faut que je fasse les sacrifices nécessaires pour y arriver. »

Progression fulgurante

Les Cataractes n’ont marqué que 163 buts en 2013-2014. Les Foreurs de Val-d’Or, qui possédaient la meilleure attaque du circuit Courteau cette année-là, en avaient réussi 306. On parle d’une différence, en moyenne, de plus de deux buts par match.

Ces chiffres aident à mettre en perspective les statistiques amassées par le plus bel espoir de cette équipe aux ressources limitées. Beauvillier avait terminé sa saison recrue avec 33 points, donc neuf buts, en 64 matchs. Mais cette faible production, compréhensible dans les circonstances, a explosé l’année suivante. L’attaquant de 5 pieds 10 pouces a enchaîné avec une saison de 94 points, dont 42 buts. Vous ne trouverez pas plus jeune joueur dans la liste des 25 meilleurs marqueurs de la Ligue la saison dernière.

« On le voyait déjà à 16 ans qu’il avait de la graine de compétiteur, de leader sur la patinoire, et il a poursuivi dans la même veine à 17 ans, a observé l’un des recruteurs de la Ligue nationale sondés par RDS. C’est un petit gars qui se présente à tous les soirs. Contre une grosse équipe, une petite équipe, une équipe moyenne, tu sais qu’il va être là. »

« Dans l’état où se trouvait notre équipe il y a deux ans, on s’était fait un plan avec Anthony, raconte Martin Bernard. À 16 ans, on l’a placé dans toutes sortes de situations difficiles. Il a joué contre les meilleurs trios adverses, a affronté les plus gros défenseurs de la Ligue, a joué en désavantage numérique. On savait que ça rapporterait éventuellement. Est-ce qu’on croyait que ça arriverait dès l’année suivante? Pas nécessairement. Mais c’est difficile de gager contre un joueur qui a une aussi grande volonté de réussir. »

Anthony Beauvillier« Je pense que c’était juste une question de temps pour moi, lance Beauvillier pour tenter d’expliquer le bond de 61 points entre ses deux premières saisons à Shawinigan. L’an dernier, j’étais plus confiant sur la glace, mais aussi plus à l’aise à l’extérieur de la patinoire, que ce soit à ma pension ou avec les gars. Alors c’était plus facile pour moi d’être performant. Je travaillais aussi fort qu’avant, c’est juste que le déclic s’est fait dans ma tête. Je savais où je m’en allais. »

L’audace de Bernard, qui n’a pas craint d’exposer une verte recrue aux rudiments du métier, lui permet aujourd’hui de compter sur un joueur aux dimensions multiples. Anthony Beauvillier n’est pas qu’un prolifique marqueur. Un entraîneur d’une équipe rivale le décrit notamment comme le meilleur joueur de centre de la LHJMQ à l’intérieur des cercles de mises en jeu, où il a maintenu un taux de réussite de 59 % la saison dernière.

« Au tournoi Ivan Hlinka (où Beauvillier s’est blessé à un poignet, N.D.L.R.), le plan était d’en faire notre principale arme au niveau des mises en jeu et du désavantage numérique, confie l’architecte de l’équipe canadienne des moins de 18 ans, Ryan Jankowski. On avait une telle profondeur en attaque qu’on avait besoin d’un gars fiable dans les missions défensives et Anthony cadrait parfaitement dans ce rôle tout en se voulant une menace constante en attaque. Il est si complet! »

« Il est bon dans les deux sens de la patinoire, confirme un recruteur d’une équipe de l’Association Est de la LNH. C’est le style de joueur qu’un entraîneur va impliquer à toutes les sauces. Tu gagnes 2-1 avec une minute à faire en zone défensive, c’est le gars que tu veux sur la glace. »

Un futur capitaine

Le départ du vétéran Félix-Antoine Bergeron au tout début de la dernière saison a laissé les Cataractes orphelins de capitaine. Par souci de stabilité, le groupe d’entraîneurs a décidé de ne pas recoudre le « C » sur un nouveau chandail et de plutôt s’en remettre à un groupe de leaders dont Beauvillier faisait partie avec les Dylan Labbé, Christophe Lalonde et Olivier Caouette.

Malgré son jeune âge, Beauvillier est identifié comme un rassembleur. Son inépuisable réserve d’énergie et sa discipline à l’ouvrage lui confèrent un magnétisme évident.

« Tous les gars sont attirés vers lui, a remarqué Jankowski. C’est un coéquipier exemplaire qui s’entend bien avec tout le monde. Il est de compagnie agréable, mais en même temps, il est très sérieux quand c’est le temps de l’être. »

« J’aime parler, je suis un leader un peu plus verbal. J’aime ça être proche des gars, dresse Beauvillier comme autoportrait. Mais je mène par l’exemple aussi. Je travaille fort sur la glace et hors glace, je fais les bons sacrifices, alors je pense que je suis facile à suivre. Je suis un bon modèle pour les autres. »

Beauvillier n’est pas étranger au port d’une lettre sur son uniforme. En 2014, il était l’un des assistants d’Équipe Québec au Défi mondial des moins de 17 ans. Il a aussi été nommé capitaine de l’équipe dirigée par Don Cherry lors du Défi des espoirs de la LCH en janvier dernier, un honneur qu’il a partagé avec nul autre que Connor McDavid.

Martin Bernard confirme que les Cataractes auront un capitaine avant d’amorcer leur troisième saison sous ses ordres l’automne prochain et il est tout à fait logique de penser que Beauvillier sera l’heureux élu. Mais l’entraîneur refuse de vendre la mèche.

« Pour le savoir, il faudra attendre la conférence de presse! Notre gars de marketing ne serait pas content si je le disais tout de suite », s’excuse-t-il.

Voilà toutefois une autre prophétie que vous pouvez amener à la banque. Comme le dit lui-même Bernard, Anthony Beauvillier n’est pas le genre de joueur contre qui il faut parier.