Des enfants jouaient, criaient, gambadaient autour de nous.
Assis dans le parc des Franciscains à quelques pas de sa maison dans un quartier paisible de Québec, je rencontrais Florent Bouguin, l’homme.
Idée préconçue, pas question de m’attarder sur ses médailles, ses podiums, ses réalisations. De toute façon, il s’en fout éperdument. Je veux découvrir l’être humain, la personne qui se cache derrière cet athlète élite de renommée mondiale.
Je m’abreuve de ses paroles. Il me subjugue par ses propos justes, transparents et sa grande simplicité.
Ses deux enfants, sa richesse.
Natif de l’Île de la Réunion, il quitte le nid familial dès 11 ans pour l’école militaire. Déjà, il caresse un rêve : Devenir médecin militaire. Il se voit œuvrer dans les zones de conflit. À 18 ans, il part pour l’Australie, l’Europe dans le but d’étudier et travailler à titre d’ingénieur. Déçu par la tristesse des gens, la violence qu’il côtoie, il s’arrête et réalise que son avenir pourrait se situer ailleurs.
« Je ne me voyais pas m’épanouir en Europe ». Il s’installe à Québec en 2000 afin d’y obtenir une maîtrise en physique à l’Université Laval. Il croyait repartir après trois ans. Toutefois, il rencontre pendant une soirée tango, par l’entremise d’un ami commun, Catherine qui travaillait lors du Sommet des Amériques. « Elle m’a bien eu cette petite brune », dit-il bien simplement, sourire en coin.
Il raconte une anecdote. « Dès nos premières sorties, j’ai voulu lui plaire en planifiant une semaine de canot-camping dans le parc de la Mauricie. Je n’avais jamais sauté dans ce genre d’embarcation. Je me suis installé à l’arrière. Elle a vite compris. Nous avons tellement rigolé. Nous avons surtout appris à se connaître ».
Il lui arrive de se retrouver sur le bitume mais disons que ce n'est pas sa portion préférée.
Florent se livre avec une grande sagesse. « Nous sommes un couple de plein-air. Durant les vacances, nous partons, nourriture déshydratée, avec les enfants en expédition. À Noël, raquettes et ski de fond dans les refuges et le réveillon à la chandelle avec une bonne fondue au chocolat, agrémentent notre périple. »
Sa réputation s’étale mondialement, Ses prouesses époustouflantes attirent l’intérêt. « La nature humaine peut en prendre. On est conçu pour ça. Autrefois, les coureurs des bois adoptaient ce comportement sans médaille au bout ! J’ajouterais que nous avons perdu de cette capacité. La chasse à l’épuisement, tu connais ? Le chevreuil tombait littéralement de fatigue après une escapade de sept ou huit heures et l’homme le ramassait. »
Le Québec peut se compter chanceux de posséder un athlète semblable.
La distance distingue Florent de la masse des coureurs. « Tous les coureurs doivent recevoir du mérite, peu importe le parcours. Je me refuse de croire que les gens croient que je suis un surhomme. Je suis simplement doté d’une motivation honnête, puissante et profonde. Toutefois, je te mentirais si je te disais que je ressens le même désir qu’il y a six ans. Ma vie a changé. Je dois considérer mon équilibre tout en arrivant à m’accomplir. Le balai, je le passe à la maison et la vaisselle, je la lave. Dans notre famille, nous prenons tous notre place ».
Talentueux, oui mais attention ! « Je provoque ma chance par ma saine alimentation, j’écoute mon corps, la prévention, je dors suffisamment, une discipline qui m’incite à vivre sainement. »
Puis, il y a cette pression qui l’indispose parfois. « Elle ne vient pas de moi. Je lis parfois des articles qui traitent de performance. Je n’aime pas. Voilà pourquoi lors de mes compétitions en Amérique du Nord, ma famille reste à la maison ! Je comprends que les gens veulent me démontrer leur générosité mais ils me sautent dessus ! Récemment, j’ai pris 45 minutes pour franchir 50 mètres après le fil d’arrivée. Je suis pris avec cet aspect, je comprends, je l’accepte mais ce n’est pas moi. »
La réputation de Florent n'est plus à faire à travers le monde.
Il fuit l’abandon. Une fois lors de l’Harricana, il y a deux ans, il a frôlé l’épuisement. « J’ai eu peur de me blesser le crâne ! J’éprouvais un sentiment de honte. J’étais en train d’apprendre l’échec. Terrible ! Mais avec le recul, qu’est-ce que j’ai bien fait ! » Le mois suivant, il partait pour la Diagonale des Fous, un rêve. Un périple familial de six mois avec des visites dans plusieurs pays. « Vous verrez où papa est né », avait-il souligné à ses enfants. La planification d’un tel voyage lui avait grugé beaucoup d’énergie.
« J’apprécie d’être cité en exemple car je veux, sans aucune prétention, servir de modèle. Je préfère le mot ambassadeur mais tu sais, je fais pipi debout comme tout l’monde ! »
Les obstacles, il les affronte un par un, avec une grande sagesse et beaucoup d'expérience.
À ses yeux, la culture de l’échec, c’est terrible. Chacun sa motivation et bravo ! « Nous devons ressentir de la fierté lorsque nous allons au bout de nos capacités sans nécessairement viser un podium. » Alors, peu importe le rendement, Florent ne rejettera jamais son dossard et franchira toujours la ligne d’arrivée.
Il court au feeling, se basant sur son héritage. Un calendrier de sept ultras en 2017 avec l’Inde, la Virginie, l’Irlande, l’Ontario, Harricana, le Chili et la Californie. Longtemps à ce rythme ? « Je ne veux pas me mentir. Oui, j’ai envie de maintenir cette cadence mais on verra. Viendra sûrement un jour le plaisir de courir avec mes enfants. »
Je lui ai parlé du docteur Juneau, des fibrillations du cœur pour ceux qui font des ultras. « À mon avis, on ne retrouve pas assez d’études qui viennent le démontrer scientifiquement, pas assez d’espoir pour tout généraliser. Pour parvenir à faire ce que je réalise aujourd’hui, ma condition mentale et physique m’éloigne des maladies et je gère mon stress. Je dispose de plusieurs avantages malgré ce risque de fibrillation. Par conséquent, je suis prêt à jouer le jeu. »
Le sourire...même lors des périodes difficiles.
Invité dans les quatre coins du monde, Florent lutte contre le compromis. « Je galère ! Ça me gruge mentalement. J’ai dû refuser de joindre un circuit professionnel, je dois parfois louper des événements. Je veux donner des bises à mes enfants le matin, assister à leurs événements, tu comprends, purée. » Purée, son patois qu’il place souvent à chaque bout de phrase !
« J’ai créé cette rigueur. J’ai déjà fait stresser Catherine lors d’une épreuve en continuant après avoir tombé inconscient. Je dois me ressaisir, m’arrêter et faire le point parfois ».
Bénévolement, il raconte souvent ses aventures à des étudiants, des prisonniers, des malades. Il ne veut pas un sou mais lorsqu’il en reçoit, il s’empresse de les remettre à des organismes.
En compagnie de son grand ami Blaise Dubois.
Afin d’imager un peu ce qu’il peut vivre, il se revoit en Inde récemment après son ultra où il est arrivé près de la frontière avec le Pakistan. « Les gens me voyaient comme une machine. C’était hallucinant. J’ai même dû accepter de faire un selfie avec le général des forces armées qui surveillait le site ! »
Avant de terminer, j’ai voulu connaître ses impressions sur le retrait de son compatriote Joan Roch. « Je lui dis bravo, chapeau «! Il s’agit d’une décision qui est tout en son honneur. Personnellement, elle ne m’a pas étonné. Nous en avions déjà discuté. Tu sais, il a influencé plusieurs personnes. »
Un privilège que de rencontrer ce grand athlète aux aspects humains exceptionnels.
Un privilège que de me retrouver avec cet athlète hors du commun mais combien extraordinaire. Nous aurions pu bavarder encore des heures mais déjà, après plus de 90 minutes, je me comptais chanceux qu’il m’accorde son temps.
Après une poignée de mains sincère et un câlin chaleureux, je l’ai remercié et lui ai souhaité bonne chance.
Une entrevue que je conserverai précieusement dans mes plus beaux souvenirs.
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