MONTRÉAL – De 2002 à 2006, les Ducs de Longueuil formaient une puissance de la Ligue de baseball junior élite du Québec. Pourtant, personne n’aurait pensé que leur meilleur joueur était... leur bat boy, le jeune Abraham Toro.

 

C’est en voyant l’ascension, à la fois fulgurante et tardive, du joueur québécois que Dominic Simard, un ancien des Ducs de cette époque et qui est devenu leur entraîneur par la suite, a écrit une publication amusante dans ce sens sur Facebook.

 

Au baseball, le bat boy est une tradition charmante. Les yeux du jeune garçon ou de la jeune fille brillent au moment de récupérer un bâton ou une balle pour donner un coup de main à ses héros qui s’illustrent sur le terrain.

 

Mais aucune boule de cristal n’aurait pu prédire que ce bat boy, haut comme trois pommes à l’époque, cognerait maintenant aux portes du baseball majeur avec les Astros de Houston.

« C’est spécial de voir qu’il est rendu là parce qu’il était un petit cul quand il venait ! Il était très souvent avec l’un de ses cousins. Il se débrouillait bien pour son âge, mais c’était difficile de dire qu’il serait un top et qu’il allait jouer pro un jour. C’est fascinant », a confié Simard.

 

« Par contre, je connais bien Russell Martin et ils ont une chose en commun : quand ils arrivent sur le terrain, ils jouent à la balle. Ce sont des gars qui en mangent ! »

  

Cette dynastie des Ducs a notamment produit des joueurs comme Patrice Lepage et Ivan Naccarata qui ont chacun été repêchés dans le baseball majeur. Il y avait également Douglas, son grand frère, qui a connu une belle carrière sur le losange. Grâce à lui, le « petit Toro » a rapidement été accepté dans la famille des Ducs.

 

« Il venait presque toujours aux matchs. Il se promenait dans le vestiaire, il a vraiment grandi là-dedans avec moi. Abraham, il ne connaît rien d’autre que le baseball », a lancé Douglas.

 

Le petit Abraham a occupé cette « fonction » surtout de 6 à 10 ans et personne ne devait lui tordre un bras.

 

« Il voulait vraiment y aller. Il aimait l’ambiance, regarder la pratique, la préparation des joueurs et les matchs. Ce n’est pas juste un joueur de balle, c’est un amateur aussi. Il y a des joueurs qui n’aiment pas regarder le baseball et qui ne connaissent pas les autres joueurs », a-t-il précisé.

 

« J’aimais le feeling d’être avec les plus vieux. Pour moi, c’était vraiment un haut calibre et ça me permettait d’être avec mon frère », a expliqué Abraham qui se rappelle qu’un entraîneur l’avait chicané, une fois, parce qu’il s’élançait avec un bâton pendant un match.

 

Étant son aîné de plus de 10 ans, Douglas était dans les meilleurs souliers de baseball pour évaluer le potentiel de son jeune frère. Toutefois, la mission était aussi périlleuse que de frapper une offrande de Randy Johnson.

 

« Pour être bien franc, oui, il était meilleur que la plupart des jeunes, mais c’est difficile de voir plus loin. Quand t’es au Québec, on a toujours le doute du style ‘Est-ce que c’est le meilleur niveau?’ ou ‘Est-ce qu’il est bon, mais juste au Québec?’ La plupart des meilleurs passent par cette étape, mais tu ne le sais jamais tant que tu n’as pas essayé ailleurs », a répondu Douglas.

 

« Depuis que je suis petit, c’est avec mon frère que ça se passe pour le baseball. C’est un peu pour ça que j’aime autant le baseball. Je lui en dois beaucoup », a admis Abraham après une partie du camp des Astros.

 

La clé dans le cas de Toro, c’est que sa progression n’a pas été freinée.  

 

« Tu te demandes aussi s’il va continuer de se développer. Il s’améliorait à chaque niveau, mais il y avait d’autres joueurs aussi bons que lui et même d’autres meilleurs. Je pense à Louis-Philippe Pelletier, je croyais qu’il allait tuer un jeune chaque fois qu’il frappait. Il cognait comme un homme à 12-13 ans. Abraham devenait juste bon année après année, mais rien de wow. Il n’était jamais la personne que les disaient ‘Wow, Abraham Toro !’ Il y avait toujours LP Pelletier ou Charles Leblanc comme joueurs de position », a relativisé son frère.

 

Et à un certain point, le coup de circuit s’est produit quand son physique a subi une transformation digne de l’ampleur du Monstre vert du Fenway Park.

 

« Il y a un côté que tu ne peux acheter ou travailler, c’est un late bloomer. Tout à coup, quand il est allé jouer à Seminole (Seminole State College), je commençais à le voir se développer physiquement, à prendre de la masse, à grandir, à devenir un homme. Il a eu besoin de plus de temps. C’est simple, il est passé de frapper un ou deux circuits par année à 20 circuits », a exposé Douglas.

 

Même s’il n’était qu’aux abords de la vingtaine, cette hausse vertigineuse a soulevé des doutes.

 

« Quand je voyais ça, je me demandais ce qui se passait. C’est arrivé au point qu’il se faisait tester (pour les produits dopants) tout le temps ! Les gens ne comprenaient pas. Il était rendu à 215 livres et il frappait des balles à 400 pieds. Le portrait a complètement changé en un an et demi », a avoué Douglas.

 

Un camp ? Plus une Série mondiale

 

Rien ne garantissait pour autant qu’il suivrait cette tangente. Les Astros ont décidé que ça valait le coup de le repêcher dès la cinquième ronde, bien avant la plupart des prévisions, et ils passent pour des génies présentement.

 

Son année 2018 a été particulièrement productive le menant jusqu’au niveau AA et il a conclu le tout avec des prestations spectaculaires dans la Ligue d’automne de l’Arizona qui regroupe plusieurs des meilleurs espoirs. Il s’est d’ailleurs classé au quatrième rang pour la moyenne au bâton derrière un certain Vladimir Guerrero fils.

 

Les Astros lui ont donc ouvert les portes pour le camp principal du club et il répond avec le même aplomb. Comme bien des amateurs au Québec, il épie les sommaires des matchs de son frangin tout en s’assurant de discuter presque quotidiennement avec lui. Abraham Toro

 

« C’est un environnement de séries pour lui présentement : chaque présence compte, chaque présence est un stress. Pour les réguliers, c’est vraiment une façon de se remettre en forme tranquillement. Pour les jeunes comme Abraham, c’est l’équivalent de la septième partie de la Série mondiale chaque fois. Je peux voir son sérieux pour chacune de ses présences au bâton. C’est cool pour lui et c’est un beau signe de confiance du club », a exposé Douglas.

 

Un premier camp d’entraînement officiel n’implique pas juste ce qui se passe sur le terrain. C’est aussi l’occasion de se familiariser avec l’univers bien particulier du baseball majeur.  

 

« Tout le monde le sait, le baseball des ligues mineures, c’est un peu cruel. Tu as des gars qui font 300$ par mois et ils sont dans le même vestiaire que Justin Verlander qui fait près de 30 millions par année. Le salaire est tellement incomparable que ça fait une différence même s’ils travaillent pour la même entreprise et qu’ils vont se côtoyer. On dirait qu’ils sont dans un autre monde même si le niveau n’est pas si loin parce qu’ils sont déjà passés par les mêmes niveaux. Certains joueurs, on dirait que ce sont des Dieux tellement qu’ils font de l’argent. Pendant ce temps, les autres essaient de sauver de l’argent à gauche et à droite », a admis Douglas.

 

Ce n’est pas l’important, Abraham et Douglas le savent. Ce qui compte, c’est qu’Abraham conserve sa passion qui l’animait comme bat boy tout en investissant le sérieux nécessaire dans son développement. S’il poursuit dans la même veine, le baseball majeur pourrait devenir aussi familier qu’une partie des Ducs à ses yeux.