Culture basket à Toronto : l'Athlete Institute, la pépinière de Mono
Basketball vendredi, 12 avr. 2019. 07:00 dimanche, 24 nov. 2024. 09:33MONO, Ontario – Les pâtés de maison viennent de céder la place à de vastes champs de maïs quand la route 10 soudain s’amincit. Une vingtaine de kilomètres passé l’église presbytérienne de la communauté de Claude, un virage à droite mène à un large boulevard austère.
L'inscription à l'entrée de la ville, « Town of Mono », se lit comme un avertissement.
« Mono commence où sont les concessionnaire automobiles, situe cyniquement Jesse Tipping. Après ça, il n'y a plus grand-chose. »
Le jeune homme d’affaires en rit aujourd’hui, mais il fut une époque où l’emplacement géographique de la paisible bourgade était un sujet de conversation plus sérieux.
En 2012, sur un immense terrain qu’il avait racheté de son père avec sa sœur et ses deux frères, Tipping posait les assises d’un rêve complètement fou. L’Athlete Institute, une académie de basketball ultra-moderne, allait devenir, s’était-il juré, l’une des « prep schools » les plus courues en Amérique du Nord, sinon au monde.
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La qualité des installations était à la hauteur de ses ambitions. Un rutilant gymnase digne des plus beaux complexes d’entraînement de la NBA, une salle de gym bien fournie supervisée par un entraîneur privé, trois vestiaires au cachet professionnel, une salle de vidéo, une clinique médicale avec accès à un physiothérapeute et un chiropracticien, un salon d’étude, un nutritionniste et une affiliation avec l’école secondaire de la ville voisine. Éventuellement allaient s’ajouter, dans un bâtiment adjacent, des résidences et un service de restauration.
Son équipe juvénile allait s’incorporer au calendrier de l’Ontario Scholastic Basketball Association (OSBA) et deviendrait après quelques années la seule équipe canadienne à disputer les tournois d’un circuit américain hautement contingenté appelé The Grind Session.
Ne restait plus qu’à attirer des joueurs à Mono, un trou perdu une heure de route au nord de Toronto.
« Je savais que la distance serait un obstacle, admet Tipping au début d’une longue visite guidée. C’en était surtout un avec les parents, qui croyaient que Mono était située au beau milieu du pôle nord alors que ce n’est en fait qu’à 25 minutes de Brampton. Quand on y pense, c’est plus facile de venir ici qu’à Mississauga en partant de Brampton. Et ici, on est loin de toutes les tentations que la ville a à offrir, il n’y a pas de Uber qui peut vous amener au centre-ville en dix minutes. Pour moi, les bénéfices pèsent beaucoup plus lourd dans la balance que les risques. »
L’une des personnes que Tipping a eu le plus de difficulté à convaincre occupe le bureau juste à côté du sien. « C’est vrai, je l’ai envoyé promener! » admet sans aucune résistance Tony McIntyre, qui s’est joint à l’aventure en 2014 à titre de directeur des opérations basket et entraîneur-chef de l’équipe principale de l’académie.
« J’avais étudié l’offre en me mettant dans la peau d’un parent : on ne veut jamais faire partie d’une expérience. Mais j’ai reconsidéré ma position après quelques années. Bien des gens confient leurs jeunes à des institutions américaines qui leur offrent des bourses d’étude, mais cette décision vient avec un certain coût. « Gratuit » n’est pas toujours nécessairement gratuit. Il faut prendre en considération les déplacements, les hôtels, les frais de transport en plus d’un impondérable non-négligeable : vous ne voyez pas grandir vos enfants. Ce que Jesse a créé, c’est un programme d’une aussi bonne qualité que ce qui se fait aux États-Unis et qui vous permet en plus de voir votre jeune à chaque fin de semaine. »
Il en coûte au moins 35 000$ par année pour inscrire un enfant à l’Athlete Institute. Tipping, qui est aussi le propriétaire d’un complexe de soccer intérieur et d’un gymnase de crossfit, avance qu’il n’engrange aucun profit avec son projet d’académie.
« Je sentais qu’il y avait un grand vide à combler au pays. Les jeunes joueurs canadiens sont en demande, mais plusieurs d’entre eux décident de passer les plus importantes années de leur développement aux États-Unis. Je n’aimais pas cette idée qu’il fallait s’expatrier pour réussir. Mon frère et ma sœur ont tous les deux fréquenté une école secondaire en Floride pour jouer au basket. Après mes études, je ne voyais pas ce qui nous empêchait de créer la même chose ici, alors je me suis lancé. Ça prend des reins solides financièrement et un cœur assez gros pour faire fi des moqueries. »
Tipping a dû se battre contre la perception persistante qu’un joueur de niveau secondaire doit absolument converger par les États-Unis s’il veut décrocher une bourse dans un programme universitaire de première division. Même au Canada, un jeune espoir cherchera souvent à aller valider son talent au sud de la frontière.
« Il n’y a pas beaucoup de solidarité dans la communauté du basketball au Canada, réalise amèrement Tipping. Tout le monde, absolument tout le monde, a dit que j’étais fou, que mon projet était impossible, que les meilleurs joueurs voudraient toujours aller aux États-Unis. On doutait que je sois capable d’offrir des conditions qui leur permettraient de maximiser leur potentiel. Ça a été ma plus grande motivation. »
Une feuille de route qui dit tout
L’Athlete Institute est-elle vraiment à la hauteur de ce qui se fait dans les plus gros marchés du continent? Tipping s’arrête devant un mur sur lequel sont accrochées les photos de toutes les équipes qui ont porté les couleurs des Bears.
« Ça, c’est notre toute première équipe, dit-il en pointant un groupe de 13 adolescents dans un uniforme blanc. J’étais le coach, le tuteur académique, le conducteur de l’autobus... je faisais tout à cette époque. C’est l’année où j’ai eu le plus de difficulté à recruter. C’est difficile de vendre quelque chose qui n’existe pas encore. »
Du bout du doigt, il énumère le nom de quelques Ontariens, deux joueurs de la Nouvelle-Écosse et un autre de la Colombie-Britannique. Pour le visiteur montréalais, le seul visage qui a la moindre chance d’être reconnu est celui de Dele Ogundokun, un meneur de 6 pieds 3 pouces qui a connu une carrière de cinq saisons à l’Université McGill avant d’amorcer une carrière professionnelle en Espagne.
Deux ans plus tard débarquait à Mono un jeune homme de Kitchener du nom de Jamal Murray. L’année suivante, l’académie ouvrait ses portes à Thon Maker, un réfugié soudanais de 7 pieds 1 pouce élevé en Australie. Les deux coéquipiers allaient éventuellement devenir les deux premiers joueurs de la NBA à avoir fait leurs classes à l’Athlete Institute.
En 2017 et 2018, la maison a placé douze joueurs dans des équipes de première division en NCAA et Tipping est confiant qu’elle comptera d’autres diplômés dans la NBA après le repêchage de juin prochain. Le Montréalais Luguentz Dort, qui vient de finir sa saison recrue à Arizona State, est celui qui a les meilleures chances de concrétiser cette prophétie. Ignas Brazdeikis (Michigan), Oshae Brissett (Syracuse) et Kyle Alexander (Tennessee) pourraient aussi graduer dans les ligues majeures cet été.
Il s’agit d’un rendement impressionnant pour une institution qui s’était donné comme objectif de former trois joueurs universitaires de première division en trois ans au moment d’embaucher McIntyre.
« Ça aurait été un signal d’alarme si Jesse m’avait demandé d’en développer dix au cours de la même période, réalise-t-il. En partant sur des bases plus modestes, ça m’a permis d’établir un plan à long terme solide plutôt que de chercher à faire un coup d’éclat. Aujourd’hui, je vous mets au défi de trouver une école préparatoire aux États-Unis qui produit des joueurs pour les universités américaines au même rythme que nous le faisons. »
La feuille de route de l’Athlete Institute a commencé à faire rayonner sa réputation à l’international. Cette année, deux Montréalais – Tyrese Samuel et Jefferson Koulibaly – ainsi qu’un Américain y ont disputé leur dernière saison. Des joueurs du Soudan, de Hong Kong, de l’Ouganda, des îles Turks et Caicos, de la Suisse, de la Lituanie et de l’Angleterre ont également été séduits par la proposition.
« Je dirais que ça s’est intensifié dans les deux dernières années, remarque Tipping. Personne ne donne jamais de raison précise pour justifier son désir de venir ici, mais chaque année, notre liste d’accomplissements prend de l’ampleur. J’imagine que ça ne nuit pas. »
Le gestionnaire de 34 ans n’a pas l’intention de s’arrêter là. Après sept ans d’existence, il affirme que seulement 20% de l’Athlete Institute tel qu’il le visualise a été concrétisé. Environ 60% du reste du projet a une forme claire dans sa tête. Le reste est à la merci de sa créativité et de son ambition.
« Notre plus proche compétiteur, en terme de proximité, se trouve probablement en Indiana. À mon avis, aucun endroit plus près ne peut avoir cette prétention. Il y a beaucoup de gens dévoués à la tête de bons programmes, mais je n’ai pas l’impression qu’ils offrent tout ce que nous sommes en mesure d’offrir. »