Quand les Québécois prennent pour Toronto
NBA lundi, 27 mai 2019. 17:55 dimanche, 24 nov. 2024. 18:35MONTRÉAL - Les équipes de sport professionnel montréalaises auraient intérêt à prendre note : les Québécois aiment les équipes gagnantes, quelle que soit leur ville d'origine, au point où ils sont prêts à commettre ce qui aurait été impensable il n'y a pas si longtemps, soit de se ranger derrière une équipe de Toronto!
Les succès des Raptors, qui ont atteint la finale de la NBA, provoquent en effet un engouement inédit qui se mesure directement à la caisse dans les établissements licenciés spécialisés en sport.
« Samedi soir, j'avais plusieurs établissements qui étaient complets pour le sixième match (des Raptors) », raconte le président-directeur général des restos-bars sportifs La Cage, Jean Bédard.
« Ça fait 25 ans que je suis président de la Cage et, pour le basketball, je n'ai jamais vu ça », a-t-il raconté en entrevue avec La Presse canadienne.
Il précise que l'achalandage est en hausse les soirs de match des Raptors depuis que leur parcours inattendu se transforme en succès inédit, eux qui ont atteint la finale de la NBA pour la première fois de leur histoire.
Cette augmentation s'est surtout manifestée dans la grande région de Montréal, mais « on sent que ça commence à s'étendre. Je ne peux pas dire que le basketball va remplir tous nos établissements, même dans des villes comme Québec, mais les gens s'y intéressent de plus en plus et je pense que l'intérêt va grandir au cours de la semaine si les Raptors peuvent bien débuter la série avec une victoire ou deux. »
Répétition de 2015-2016
Or, ce phénomène n'est pas une première, rapporte Jean Bédard, qui a vu les Québécois se ranger encore une fois derrière une équipe gagnante de Toronto lors des séries de baseball de 2015 et 2016, alors que les Blue Jays avaient vu leurs efforts les mener jusqu'au championnat de la ligue américaine du baseball majeur.
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« Quand les Blue Jays se sont rendus en finale d'association, on a eu des soirées extraordinaires », se rappelle-t-il.
« La dernière fois que j'avais vu une hausse d'achalandage pour le baseball, c'était en 1994 quand les Expos avaient une équipe de rêve et qu'on s'en allait en Série mondiale avant la grève. On avait senti l'effet baseball à l'époque et on ne l'avait pas eu depuis ce temps-là jusqu'à il y a trois ans avec les Blue Jays. »
En fait, l'« effet gagnant » est tellement fort qu'il permet au restaurateur de planifier en fonction des résultats et non en fonction de l'engouement pour le sport comme tel, si on se fie à ses propos pour le basketball.
« L'achalandage va dépendre beaucoup de la manière dont la série va se passer. Si (les Warriors de) Golden State mènent 3-0, je ne pense pas que le quatrième match va attirer beaucoup », admet-il candidement.
Hockey : changement de comportement
Malgré l'arrivée de la nouvelle coqueluche du basketball, le hockey demeure roi et maître dans le paysage, explique Jean Bédard.
« Le basket, ce n'est quand même pas encore comme les séries de la coupe Stanley; un samedi soir de Boston contre St Louis, le hockey va encore l'emporter et il va y avoir une grosse différence. »
Par contre, il souligne un nouveau développement significatif dans le comportement du consommateur sportif, encore là mesurable à la caisse.
« Chez nous, le sport, il n'y a pas si longtemps ça se limitait au Canadien. Quand le Canadien jouait, il y avait du sport et quand le Canadien était éliminé, il n'y avait plus de sport, mais depuis deux ou trois ans, les gens suivent les séries quand même, la nouvelle génération s'intéresse beaucoup plus aux autres équipes.
« On a depuis le début des séries un très bel achalandage », confie l'homme d'affaires qui explique que, contrairement aux années où le Tricolore est en séries et où il y a foule les soirs de matchs et peu d'achalandage les soirs où il n'est pas sur la glace, la clientèle se répartit de manière plus stable, surtout durant les trois premières rondes des séries éliminatoires, alors qu'il y avait des matchs tous les soirs.
« Je compare nos ventes comparativement à il y a deux ans quand les Canadiens étaient dans les séries et il n'y a pas beaucoup de différence. On n'a plus cet effet marqué de l'élimination. »
Un avertissement
Les propos de Jean Bédard sur l'évolution du consommateur devraient allumer quelques lumières rouges dans les bureaux de la direction de la Sainte-Flanelle ainsi que dans les bureaux de l'Impact, des Alouettes et des gens d'affaires montréalais qui veulent ramener le baseball majeur dans la métropole ou encore ceux qui rêvent d'une franchise de la NBA.
Ces propos pointent tous dans la même direction: les amateurs de sport ne veulent pas que voir leur équipe locale, ils veulent voir des gagnants.
Sinon, pourquoi regarder les Raptors de la bien-aimée Toronto? Ou les Blue Jays? Ou encore, comment expliquer qu'on s'attende à d'excellentes ventes pour une finale de la coupe Stanley mettant en vedette l'adorable Brad Marchand et les Bruins de Boston, club qui a réussi à prendre la place des Nordiques comme rivaux détestés dans le coeur des amateurs du Canadien?
« Les jeunes sont plus ouverts. Ils aiment les événements sportifs. Ils aiment suivre les autres équipes. Les jeunes sont plus portés vers les autres équipes que nous on l'était autrefois. Avant, c'était les Canadiens ou les Nordiques et ça finissait là », dit Jean Bédard.
Les amateurs ont particulièrement boudé les pauvres Alouettes depuis quelques années et même le Canadien a ressenti leur dépit après sa désastreuse saison 2017-2018, un désengagement qui s'explique dans les deux cas par des performances décevantes. Le fait de voir ces mêmes amateurs se présenter dans les bars sportifs pour des matchs des Raptors, des Blue Jays ou, incroyable anathème, une finale de la coupe Stanley mettant en vedette les Bruins de Boston envoie un message on ne peut plus clair: donnez-leur des équipes gagnantes et ils y seront.