L’occasion ratée du sim-racing
Formule 1 mardi, 12 mai 2020. 08:00 mardi, 12 mai 2020. 10:22Accidents volontaires, manœuvres déloyales, gestes antisportifs, pertes de commanditaires, voire même propos racistes... disons que les courses virtuelles ne retiennent pas toujours l’attention pour les bonnes raisons depuis le début de la crise de la COVID-19.
C’était pourtant une occasion en or pour le sport électronique (eSport) de se faire valoir. Pendant que nous sommes confinés à la maison et que le sport est en pause, la F1, l’Indycar et le Nascar, pour ne nommer que ceux-là, ont vite vu l’opportunité. Ces trois grandes disciplines organisent elles-mêmes des courses virtuelles avec plusieurs « vrais » pilotes. Ces courses sont diffusées sur les plateformes sociales de ces organisations, mais aussi à la télévision, attirant l’attention de millions de spectateurs.
Le problème, du moins de mon point de vue, c’est que le manque de professionnalisme vient ternir l’image du sim-racing plutôt que le populariser.
Disons que ça avait mal commencé. La Formule 1 a organisé sa première épreuve virtuelle avec le jeu F1 2019 sur le circuit de Bahreïn. Les premiers mètres ont vite démontré l’ampleur du travail qu’il y avait à faire. En plus d’accidents survenus avant même d’arriver au premier virage, Johnny Herbert, un ancien pilote de F1 aujourd’hui analyste pour Sky Sports, s’est permis de complètement, et volontairement, court-circuiter le premier virage pour aller s’installer à l’avant du peloton. Il a eu une pénalité, tant mieux... mais pourquoi faire cela? Si tu as envie de prendre volontairement une pénalité dans le premier virage, pourquoi participer?
That start 😮💥😆#VirtualGP #F1Esports pic.twitter.com/f2KJft9fN3
— Formula 1 (@F1) March 23, 2020
Depuis, disons que les choses peinent à s’améliorer. Dimanche dernier, lors de l’épreuve reprenant le Grand Prix d’Espagne, on a eu droit à une belle lutte entre George Russell et Charles Leclerc. Sauf que pour battre Leclerc, Russell a court-circuité, tour après tour, la dernière chicane du tracé. Leclerc s’est donc mis à faire la même chose. Vous aviez donc deux pilotes professionnels qui se fichaient bien des règlements du sport qu’ils aiment et ce, tour après tour.
L’incident qui a le plus retenu l’attention au cours des dernières semaines s’est produit lors d’une épreuve d’Indycar qui reproduisait le mythique Indy 500. Lando Norris, le pilote de Formule 1, a été invité à participer à la course. Lors de l’épreuve précédente, Norris avait d’ailleurs remporté l’événement organisé par l’Indycar.
Norris s’est retrouvé au centre d’une lutte à trois qui s’est mal terminée, malheureusement, pour Simon Pagenaud. Rien de volontaire toutefois. Sauf que Pagenaud l’a mal pris. Dans les puits, il dit clairement qu’il va maintenant tenter de sortir Norris dans la course.
Quelques tours plus tard, alors que Norris se dirigeait vers la victoire, Pagenaud, avec un tour de retard, a ralenti devant le pilote McLaren et est entré en contact avec lui. Pagenaud a ensuite expliqué que ce n’était pas volontaire... mais disons que ça paraissait très, très mal. Norris l’a d’ailleurs traité de menteur, estimant que Pagenaud ne voulait pas laisser un pilote de Formule 1 gagner l’Indy 500. Bref, vous voyez le genre.
Pagenaud and Norris collide! 💥
— Autosport (@autosport) May 4, 2020
Here's the what happened between Lando Norris and Simon Pagenaud in the latest Indycar esports race.
What do you think of Pagenaud's actions?
Read our take on all the fallout! 👉 https://t.co/1gndmxt7b6#Esports #Indycar #LandoNorris pic.twitter.com/WfBMFSSvZN
Puis, dans les derniers mètres de la course, Santino Ferrucci, voyant la victoire lui échapper, a donné un coup de volant afin d’expédier son rival dans le mur dans un geste d’une grande classe (d’ailleurs, le nom de Santino Ferrucci vous dit peut-être quelque chose. Il a été suspendu en Formule 2 pour avoir volontairement heurté son coéquipier et pour avoir texté au volant de sa Formule 2. Oui, oui, je vous le jure!)
The leaders get wrecked twice on the final lap, and @Smclaughlin93 WINS at @IMS in the @iRacing @IndyCar Challenge! #OneHomeTeam pic.twitter.com/4Nmkx8pBhU
— IndyCar on NBC (@IndyCaronNBC) May 2, 2020
Et en Nascar?
En Nascar, on n’y échappe pas non plus. Parlez-en à Bubba Wallace. Lors d’une épreuve organisée par Nascar, le pilote a été victime d’un incident en début de course. Plutôt que tenter une remontée, il a quitté tout simplement la course, ajoutant qu’il ne prenait pas ce genre d’événement au sérieux.
Le problème, c’est qu’un de ses partenaires, qui le commanditait aussi à l’occasion de cette course virtuelle, n’a pas apprécié. Résultat, la compagnie Blue-Emu a résilié son contrat avec Wallace, ajoutant sur Twitter que la compagnie « est intéressée par des pilotes, pas des lâches. » Ç’a le mérite d’être clair.
GTK where you stand. Bye bye Bubba. We're interested in drivers, not quitters.
— Blue-Emu (@BlueEmu1) April 5, 2020
Il y a aussi le cas Kyle Larson, mais celui-ci est plus particulier. Encore une fois lors d’une course virtuelle, Larson a utilisé un terme raciste en parlant avec un membre de son équipe. Ses commanditaires n’ont évidemment pas apprécié et ont menacé son écurie, Chip Ganassi Racing, de partir. L’équipe a donc pris la décision de résilier son contrat avec Larson.
Il faut dire que cet incident ne touche pas vraiment le sim-racing en tant que tel, dans le sens où Larson aurait bien pu prononcer ces mots au volant de sa vraie voiture ou dans n’importe quel aspect de sa vie. Sauf que pour l’image, ce n’est pas très bon. C’est une autre controverse survenant dans le cadre d’une course virtuelle, et surtout, c’est une vedette du Nascar qui vient de perdre son volant.
Mais c’est juste un jeu!
Laissons de côté le cas Larson, parce que dans cet exemple, l’excuse du jeu n’est pas valable. Dans tous les autres cas énumérés plus tôt, j’ai vu plusieurs commentaires sur les réseaux sociaux qui semblent se soucier bien peu de ces écarts de conduite. Pourquoi? Parce que c’est juste un jeu! Ce n’est pas réel.
On peut leur donner raison. C’est vrai, c’est un jeu fait pour divertir les amateurs en ce temps de crise. Clairement, c’est ce que plusieurs pilotes pensent également. Pagenaud sur Norris, Herbert qui coupe un virage, Ferrucci et Wallace se sont clairement dit, dans leur tête, que les actions n’étaient pas graves dans le contexte d’un jeu.
Dans le cas de Russell et Leclerc dimanche dernier, ils ont quant à eux profiter d’une faiblesse du jeu F1 2019. Pour une raison obscure, le jeu ne décerne pas de pénalités, ou très peu, lorsqu’on court-circuite ce virage en particulier. Ils en ont donc profité des dizaines de fois, ne récoltant chacun que trois secondes de pénalité, une bien mince conséquence. Au bout du compte, ça n’a peut-être rien changé au résultat, mais pour moi, cela enlevait beaucoup de crédibilité à leur autrement très belle lutte. Ceci dit, je nomme ces pilotes, car ils se bagarraient pour la tête et on les voyait souvent à l’écran, mais ils sont loin d’être les seuls à avoir profité de ce « bug » dans le jeu.
Sauf que la question qu’il faut se poser... Est-ce vraiment seulement un jeu? Pour les commanditaires et pour les télédiffuseurs, ce n’est pas qu’un jeu. En fait, des millions de personnes ont regardé ces courses.
Pour la Formule 1, qui tente de faire sa place dans le eSport depuis 2017 et de mettre sur pied une compétition sérieuse, est-ce seulement un jeu également? Ou est-ce une occasion de propulser un de ses nouveaux produits grâce à une visibilité inespérée? C’est déjà difficile d’aller chercher un public pour ces compétitions. Pour certains amateurs de sports, les jeux vidéo ne devraient pas être considérés comme tels. Mais comment les convaincre que le eSport, c’est sérieux et crédible… si les pilotes qui participent à l’épreuve ne semblent pas y croire eux-mêmes!
Je suis aussi déçu pour les vrais pilotes virtuels. Vous savez, ceux qui consacrent leur vie aux courses virtuelles. Qui essaient de gagner leur vie en publiant du contenu lié à ces courses, ou à tout le moins d’arrondir leur fin de mois. Ceux qui investissent des milliers de dollars en équipement pour participer à ces épreuves. Ceux qui prennent cela au sérieux. Je me demande comment ils se sentent lorsqu’ils voient des vedettes, devant de larges auditoires, agir avec un tel manque de professionnalisme.
Et surtout, je me demande pourquoi plusieurs pilotes professionnels ne conservent pas leurs standards habituels. Lorsqu’ils participent aux événements organisés de façon officielle par leur discipline, ils représentent le sport qui les fait vivre et leur équipe. S’ils veulent faire les bouffons dans une course organisée entre eux, grand bien leur fasse! Mais dans une épreuve officielle, il me semble qu’un peu d’esprit sportif et de respect pour le sport est de mise. Ça veut dire que oui, peut-être savez-vous qu’il y une erreur dans le jeu qui vous permet de couper une chicane tour après tour sans conséquence… mais vous êtes assez matures pour savoir que ce n’est pas dans l’esprit sportif de votre discipline d’en profiter, non? N’avez-vous pas assez de respect pour le sport que vous aimez pour le pratiquer dans ses règles?
Ce n’est qu’un jeu. C’est vrai. Mais j’ai envie de tourner l’énoncé autrement. Il n’y a pas de bourses à l’enjeu, pas de trophée, pas de titre mondial. Alors, pourquoi se lancer dans des tactiques déloyales et agir contre l’esprit sportif? Au fond, ce n’est qu’un jeu…
Des solutions?
Il y a pourtant des solutions qui pourraient grandement aider à rendre ces compétitions plus réalistes.
Tout d’abord, la F1 et les autres disciplines devraient sensibiliser ses pilotes et énoncer clairement qu’elles s’attendent à un minimum de professionnalisme et de respect. Ça ne veut pas dire de condamner chaque contact entre les voitures ou chaque fois qu’une voiture met deux roues hors-piste. Ça veut simplement dire que si vous exagérez, si vous défiez volontairement les limites du circuit plusieurs fois (comme Russell) ou de façon totalement exagérée (comme Herbert), ou si vous provoquez volontaire un accident parce que ça vous fait rigoler, et bien vous sauterez votre tour la prochaine fois.
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Dans les épreuves virtuelles de Formule 1, les voitures ne subissent aucun dommage, peu importe ce que vous faites. Vous pouvez donc entrer à toute vitesse dans votre rival et continuer votre course tout bonnement. Je crois que l’idée, c’est que les pilotes invités (il y a plusieurs célébrités qui participent aux épreuves, comme Ian Poulter ou Thibault Courtois, par exemple) puissent avoir une expérience plus permissive.
Mais je crois qu’il est temps d’activer les dommages. Ça évite les gestes loufoques. Allez-vous plonger aveuglément à l’intérieur si vous risquez de briser votre aileron? Allez-vous tasser votre adversaire si cela peut mettre fin à votre course? Oui, ce sera un peu plus difficile pour les pilotes invités... mais ils vivront l’expérience de façon encore plus réaliste!
Aussi, plutôt que de laisser l’intelligence artificielle des jeux dicter les pénalités, on pourrait donner ce rôle à une vraie personne, un vrai commissaire. Ainsi, personne ne serait tenté de profiter d’une zone grise dans le jeu en tant que tel. Les secondes de pénalités seraient ajoutées manuellement, à la fin de l’épreuve.
Mais au fond, tout cela ne serait pas nécessaire si les acteurs s’efforçaient d’avoir un comportement juste et sportif, comme ils le font si bien dans la réalité. Tout ce que je demande, c’est que si vous voulez qu’on vous prenne au sérieux… commencez par le faire vous-même.
Alors, je suis curieux... est-ce que le confinement m’a rendu trop grognon, ou vous aussi êtes un peu déçus de ces courses virtuelles ? Dites-moi ce que vous en pensez! Et si vous avez envie d’avoir un autre point de vue, mes amis du bulletin F1 en ont aussi discuté dans leur balado.