On a eu droit à une première historique vendredi soir dans le match entre les Alouettes et les Roughriders de la Saskatchewan.

Une première dans l’histoire de la LCF, oui. Mais au-delà de cet aspect, entendons-nous que ce n’est pas le dénouement que l’on espérait, autant du côté des joueurs que des partisans des Als présents au Stade Percival-Molson. C’est toujours plus frustrant du côté de l’équipe perdante, surtout lorsque l’écart de points n’est pas bien grand avant l’annulation du match.

Dans le cas qui nous intéresse, les Oiseaux ne perdaient que par sept points (17-10) avec un peu plus de 17 minutes à jouer dans la rencontre. C’était un duel chaudement disputé qui était à la portée des hommes de Khari Jones. C’est donc difficile à accepter pour bien du monde. Pour les entraîneurs et les joueurs, en passant par les fans, les maniaques de paris sportifs, les amateurs de « fantasy football » et j’en passe.

Même du côté des Riders, je suis persuadé qu’on aurait préféré terminer la rencontre plutôt que de l’emporter en raison du nouveau protocole mis en place par la ligue.

Je vous avouerai que ce règlement relatif aux orages et à la possibilité d’éclairs une fois passée la moitié du troisième quart, je ne le connaissais pas avant qu’on m’en informe vendredi soir. Je crois d'ailleurs qu’on est plusieurs à l’avoir appris hier.

Si on souhaite comprendre les raisons de son implantation, je crois qu’il ne faut pas chercher plus loin que la semaine no 1 de la saison 2018. Les Eskimos d’Edmonton jouaient contre les Blue Bombers, à Winnipeg. Il y avait eu plusieurs délais, pour un total de trois heures, en raison d’orages. L’affrontement était été retardé pendant 2 heures 55 minutes, ce qui avait donné un match de 5 heures 42 minutes. Je suis convaincu qu’on a reconnu l’importance de se pencher là-dessus, de sorte que ça ne se reproduise pas.

On en est donc arrivé à un protocole qui a été négocié, approuvé par l’ensemble des équipes, et qui a finalement fait son entrée dans la nouvelle convention collective.

Je vous avoue que pour ma part, à première vue, je trouvais qu’une heure d’attente avant de déclarer la rencontre terminée, ce n’était pas assez. Parce qu’il faut mettre les choses en perspective; au football, ce n’est pas comme au baseball. Tu as 18 matchs pour te bâtir une fiche, et non 162. Pas besoin de vous dire que les 18 matchs sont très importants.

On ne peut que souhaiter que le résultat du match d’hier ne vienne pas affecter de façon importante le classement des Alouettes à la fin de la saison. Même chose dans l’Ouest. Les rivaux des Riders doivent espérer que ce n’est pas ce qui décidera d’une présence ou d’une exclusion des éliminatoires.

En conclusion, personne n’a nécessairement apprécié que le match se termine ainsi, autant chez ceux qui ont dû prendre la décision que ceux qui l’ont subie. Mais ça ne change rien au fait que c’est un règlement dont on avait convenu et qu’il faut respecter.

La défense n’a pas grand-chose à se reprocher

Comme c’est souvent le cas chez les Alouettes, l’unité défensive a offert une performance satisfaisante chez aux Riders.

Un dénouement décevant pour les Alouettes

L’attaque adverse n’a récolté que 211 verges de gains durant les 42 minutes qui ont été jouées. Le front défensif a obtenu deux sacs du quart aux dépens de Cody Fajardo.

Le seul élément qui clochait, c’est que pour la première fois en 2019, la défense n’a pas provoqué de revirement. Et malheureusement, c’était le genre de rencontre, en raison de l’anémie de l’attaque des Alouettes, où la défense avait pratiquement l’obligation de marquer elle-même des points, imitant ainsi celle des Riders.

C’est bête à dire, j’en suis conscient, mais on en était rendu là. On ne veut pas demander la lune à la défense, mais l’attaque était tellement exécrable qu’il aurait fallu des revirements et des points défensifs.

À ses deux derniers matchs, elle a alloué 19 points. C’est une moyenne de 9,5 points par match. Entendons-nous pour dire que c’est difficile de faire mieux.

Mais le football est un sport d’équipe. Et je suis convaincu que si vous demandez aux vétérans de la défense montréalaise, ils vous diront qu’ils sont contents de leurs prestations, mais pas 100 % satisfaits. Il y a beaucoup d’athlètes fiers dans ce groupe. Ils vous diront qu’ils sont déçus de ne pas avoir su provoquer eux aussi des revirements. C’est de cette attitude qu’une équipe de football a besoin.

Du côté des unités spéciales, c’était plaisant de voir de la production après la catastrophe qu’a été le match face au Rouge et Noir d’Ottawa la semaine précédente. Le retour de botté de dégagement de Shakeir Ryan sur 101 verges était de toute beauté.

Pour les amateurs de statistiques, sachez que c’était le premier retour ramené pour le majeur par un joueur des Als depuis septembre 2018. Stefan Logan avait alors réussi l’exploit à domicile… comme par hasard, face à ces mêmes Roughriders.

C’était les unités spéciales qui avaient mené à la perte des Montréalais contre Ottawa. Ça a fait du bien d’avoir une contribution significative dès les premiers moments du match vendredi.

L’attaque ne fait rien qui vaille

J’ai mentionné l’anémie de l’attaque plus tôt dans la chronique. Voici une statistique peu flatteuse qui illustre bien mon point : les 101 verges obtenues par Ryan sur son spectaculaire retour étaient deux de plus que le total des verges offensives (99) engrangées par l’attaque durant la première demie.

Il faut parler de la performance aussi difficile que décevante d’Antonio Pipkin. C’est dommage à dire, mais on note une régression bien réelle dans son jeu. On dirait qu’il a perdu son mojo, sa confiance. Il est hésitant et affiche une mauvaise mécanique. Il veut tellement bien faire qu’il essaie de ralentir le jeu et de tout analyser. Résultat : Pipkin a l’air paralysé et il tient le ballon trop longtemps dans ses mains.

Les Als lui avaient donné la chance durant le camp d’entraînement de bâtir sur une fin de saison 2018 plutôt intéressante. Il avait obtenu les répétitions en tant que quart partant. Malheureusement pour l’équipe, il commence à ressembler pas mal plus au quart qui avait été libéré après le camp de 2018 qu’à celui qui s’était imposé après qu’on l’ait éventuellement rapatrié.

Si on dressait une liste rapide d’items à cocher pour un quart, j’en choisirais trois en particulier. Le premier serait la protection du ballon. En ce sens, ç’a été un échec pour Pipkin contre la Saskatchewan. Il a échappé un ballon qui a été ramené jusqu’à la zone des buts.

Deuxièmement, la prise de décisions. Échec à ce chapitre aussi. Pipkin a lancé deux ballons qui ont été des interceptions faciles pour les Riders. L’une a été annulée en raison d’une pénalité, l’autre a été bêtement échappée par un joueur adverse qui avait les mains pleines de pouces. Tant mieux pour Pipkin et les Als, mais ces deux décisions étaient atroces. Il ne devait pas lancer le ballon à cet endroit.

Et le troisième item que Pipkin n’a pas réussi à cocher : la précision de ses passes. Un nombre trop important de ses passes sont trop basses. Ça vient notamment d’un manque d’efficacité dans son jeu de pieds.

Globalement, c’est tellement difficile pour Pipkin que Vernon Adams Jr. a confirmé son emprise sur l’attaque sans même avoir eu à jouer. À partir des lignes de côté, il a cimenté sa place comme quart no 1 à son retour au jeu. Ça ne fait plus aucun doute.

Pipkin, lui, est passé à côté d’une opportunité. Je ne sais pas comment son dossier sera géré par Jones et ses adjoints. Mais chose certaine, je lui souhaite de retrouver un tant soit peu de confiance.

Des chiffres qui en disent long

Mettons l’inaptitude de l’attaque des Alouettes en perspective. Seulement 29 jeux tentés pour un total de 117 verges obtenues. Douze courses et 15 passes tentées (17 si on y ajoute les deux sacs, qui étaient des jeux aériens). Seulement neuf passes complétées par la voie des airs. Un sommet de 13 verges récoltées sur des jeux de passes.

Seules deux passes ont été réussies vers des receveurs; une de 13 verges à Quan Bray, une de 13 verges à Jake Wieneke.

Je ne veux rien enlever à Spencer Moore, qui fait du travail honnête comme centre-arrière, mais ce n’est pas normal qu’il soit la cible qui a connu le plus de succès vendredi : quatre attrapés pour 42 verges.

Sur les 15 tentatives de passes, il y en a eu neuf à un porteur de ballon (ou à un centre-arrière). Ç’a été absolument pénible pour l’exécution, la distribution du ballon, l’utilisation du personnel, etc.

Et à travers tout ça, il y a eu les deux bévues qui ont mené à des touchés défensifs des Riders. Ces jeux ont fait mal, et pas à peu près.

Ça me permet de ramener un dicton souvent utilisé par des entraîneurs défensifs : « La pression fait éclater les tuyaux ». Et quand les tuyaux éclatent, ça fait des dégâts. C’est ce qu’on a vu de manière assez frappante vendredi.

Les Riders ont présenté aux Alouettes des blitz avec une couverture « zéro ».  Il s’agit d’un blitz à l’état pur, et le fonctionnement est assez simple : si l’attaque déploie cinq bloqueurs, tu délègues six joueurs prêts à appliquer de la pression. Si l’attaque déploie six protecteurs, tu ripostes avec sept joueurs défensifs, et ainsi de suite. Les coordonnateurs défensifs appellent généralement ce schéma « plus 1 ». C’est un principe facile à comprendre, et qui devrait être simple pour un quart à déceler.

Lorsque les Riders ont déjoué Pipkin et l’ont plaqué au sol pour lui faire perdre ce ballon, un blitz à sept a réussi à se défaire de la protection de six bloqueurs montréalais.

Ça prenait une prise de décision instantanée de Pipkin dans une telle instance. Il faut que ta lecture soit faite instantanément. Sa réaction doit être de se dire que s’il conserve le ballon entre ses mains, il va se brûler. Pipkin a plutôt figé et l’équipe a payé cher pour son inertie.

Les deux fois que les Riders ont réussi ce jeu – la deuxième fois aux dépens de Matthew Shiltz – la défense est passée du côté droit de la ligne, celui où se retrouve une recrue des Als. Était-ce un hasard? Peut-être. Mais il faut dire qu’un joueur de ligne vétéran va être en mesure de reconnaître assez rapidement la situation et de lancer l’alerte à ses coéquipiers en communiquant.

Il reste néanmoins que le joueur-clé dans ces situations reste le quart-arrière. C’est à lui de détecter le type de pression auquel il fait face. C’est sa responsabilité d’agir en conséquence. Et on n’a pas vu ça ni pour Pipkin, ni pour Shiltz lors de ces deux jeux très coûteux.

Le pire, c’est que la défense envoie des indices puissants de ses intentions. Je vous en soumets deux qui m’apparaissent assez évidents :

  1. D’une part, il n’y a plus de deuxième niveau. On parle souvent des trois niveaux de la défense (le front, les secondeurs et la tertiaire). Eh bien si la deuxième n’est plus identifiable, c’est qu’un blitz est en préparation.
     
  2. Si on observe la structure des demis défensifs en couverture, ils ont tous sur la même ligne à environ 10 verges. C’est ce qu’on appelle dans le jargon le « flat top ».  Si on relie des points entre les demis défensifs, on peut avoir une idée de la couverture de passe. Quand ils sont tous à la même hauteur, une alerte devrait résonner dans la tête du quart.

Juste avec des deux indices, le quart devrait avoir assez d’informations à sa disposition pour agir en conséquence. Il n’y avait aucun déguisement, et pourtant, les Alouettes se sont quand même fait battre, et deux fois plutôt qu’une. L’ajustement n’a pas eu lieu, et c’est un œil au beurre noir autant pour les joueurs que le personnel d’instructeurs.

Et c’est dommage, car c’est assurément là que le match s’est joué. Les Als ont causé leur propre perte.

Les entraîneurs des Riders ont créé l’effet de surprise

C’est toujours un peu facile d’analyser froidement tout ça lorsqu’on a le bénéfice de prendre du recul. Un de mes entraîneurs préférés, Don Matthews, les appelait les « After the facts specialists ».

Mais je me permets quand même de poser la question : est-ce que les entraîneurs des Als ont perdu la bataille de la préparation?

Les Riders n’auraient-ils pas déjoué leurs rivaux en adoptant cette façon d’attaquer le quart après plusieurs semaines sans l’utiliser?

Lors de la semaine no 1, contre les Eskimos, Antonio Pipkin en a arraché face à la couverture « zéro». C’est d’ailleurs sur un tel jeu que l’Américain s’est blessé à une cheville en tentant d’échapper à la pression accrue qu’Edmonton exerçait sur lui. Il avait bien mal réagi à cette stratégie.

Tout ça mis ensemble rend la chose encore plus surprenante, que les Als n’aient pas anticipé que ça allait être une stratégie déployée par l’unité défensive des Riders.

Un des objectifs recherchés par un entraîneur-chef est de réussir à surprendre son vis-à-vis avec quelque chose d’inattendu. Clairement, Craig Dickenson a pris Khari Jones par surprise par moments vendredi.

Maintenant, les énergies des entraîneurs des Als doivent servir à trouver des solutions.

Une de ces solutions est d’élargir le coin de la ligne offensive. Tu peux ajouter des ailiers rapprochés par exemple. Avec sept bloqueurs, la défense adverse va amener huit joueurs sur le blitz. Mais puisque le joueur défensif qui n’est pas bloqué se retrouve au coin de la ligne, celui-ci a plus de distance à parcourir pour exercer de la pression sur le quart. Ça donne une fraction de seconde supplémentaire à ce dernier.

Et si tu n’utilises pas l’ailier rapproché, tu peux aussi demander à un receveur de revenir sur le coin de la ligne.

Une autre façon d’éviter d’être battu par la couverture « zéro », si tu es le quart, est de modifier ta cadence. Si tu reçois  toujours le ballon du centre sur la même cadence, à la longue, les joueurs défensifs adverses vont se synchroniser et voler le compte. Il faut varier le tout.

Finalement, si tu perçois que la pression viendra de la gauche, pourquoi ne pas rouler avec tes bloqueurs vers le côté droit?

Bref, il y a des moyens de combattre ça, mais les Alouettes ne les ont pas utilisés souvent.

Il faudra être prêt pour les Stampeders de Calgary samedi prochain, car ils auront étudié les bandes vidéo, prêts à imposer eux aussi leur « blitz du jour » aux Alouettes. Je dis ça car tant qu’une stratégie de blitz fonctionne dans un match, une défense continuera de l’utiliser.

Je vous avouerai en terminant que je trouve ça dommage pour les Alouettes, ces deux défaites consécutives suivant une séquence de trois victoires.

Il y avait une belle énergie qui s'était créée. Je crois qu’elle est encore là, mais il y a certainement une frustration attribuable à la défaite subie en prolongation contre Ottawa en raison des déboires des unités spéciales, et à celle de vendredi dans des circonstances jamais vues.

Vendredi, l’attaque a directement coûté 13 points à l’équipe. On espère que ça ne dégonflera pas trop la « balloune » des Oiseaux à l’approche du match à Calgary, un endroit où il est toujours très difficile de gagner.

La bonne nouvelle cependant, c’est que Vernon Adams Jr. semble en voie d’effectuer un retour au jeu. Si c’était le cas, il aiderait à insuffler un vent d’optimisme à l’équipe.

* propos recueillis par Maxime Desroches