MONTRÉAL – À l’approche du grand moment, Laurent Duvernay-Tardif est souriant et calme, comme à son habitude, même s’il a passé la nuit à travailler aux soins intensifs.

Rencontré sur l’avenue des Pins par un rare mercredi après-midi ensoleillé, le joueur de ligne offensive était détendu à une journée de la première ronde du repêchage de la NFL. Duvernay-Tardif devrait recevoir l’appel d’un directeur général vendredi ou samedi, alors que se dérouleront les rondes deux à sept.

Au cours des deux derniers mois, le jeune homme de 23 ans a rencontré plus d’une dizaine d’équipes du circuit Goodell qui connaissent maintenant tout sur lui. Vraiment tout. De sa vie de joueur de football depuis les Pirates du Richelieu, à sa passion pour la médecine en passant par ses deux voyages familiaux sur un voilier pendant un an. Et elles ont aussi un bilan médical complet en raison des examens qu'il a passés lors des visites privées.

Bien que son destin au football ne lui appartienne pas totalement, Duvernay-Tardif a une bonne idée de ce que recherche la formation qui le sélectionnera.

« Je pense que ce sera une équipe avec une ligne offensive très efficace en ce moment et qui aurait besoin d’un peu de polissage en raison de joueurs plus vieux. Je pourrais apprendre beaucoup de ces joueurs-là qui ont énormément d’expérience pour ensuite être à mon plein potentiel dans une ou deux années », explique-t-il en citant les Seahawks et les Packers en exemple.

Mais il y a aussi des équipes comme les Dolphins de Miami, qui ont besoin de revamper presque la totalité de leur ligne à l’attaque.

« Ça ne me dérangerait pas d’aller dans une équipe comme Miami. Par contre, je pense qu’ils vont aller chercher des joueurs de ligne offensive tôt dans le repêchage. Je ne crois pas être ce qu’ils recherchent puisqu’ils ont besoin de partants dès maintenant », relate-t-il.

L’heure des préparatifs tire à sa fin et Duvernay-Tardif est prêt à quitter le Québec, pour très longtemps cette fois. Il a déménagé ses effets personnels de son appartement montréalais dans la nuit de jeudi dernier, tout juste avant son examen de pédiatrie le lendemain.

Il rangera son stéthoscope vendredi, après son court stage aux soins intensifs en néonatalité cette semaine. Duvernay-Tardif pourra achever ses études pendant les saisons mortes en vertu d’une entente qu’il a avec la Faculté de médecine de l’Université McGill.

Ne reste plus qu’à régler la question de permis de travail lorsqu’il connaîtra l’identité de son employeur aux États-Unis.

Des entrevues à la tonne

Duvernay-Tardif a fait son pitch de vente à maintes reprises durant ses entrevues avec les formations de la NFL. Plusieurs d’entre elles l’ont même recontacté plusieurs fois pour tester de nouveau ses connaissances de football, donnant droit à des scènes uniques.

« La semaine dernière, j’étais à l’Hôpital de Montréal pour enfants et les Eagles de Philadelphie m'ont appelé. Le coordonnateur offensif et l’entraîneur de la ligne à l’attaque voulaient me parler pendant 30 minutes pour réviser tout ce qu’ils m’avaient appris. Mon superviseur a gentiment accepté de me libérer. Je suis donc allé m’asseoir dans la salle de bain et j’ai fait l’entrevue pendant 30 minutes. C’est cocasse, ce n’est pas le même chemin que les gars prennent aux États-Unis », raconte-t-il, en ajoutant qu’il a été chanceux d’avoir des patrons compréhensifs.

L’expérience des entrevues a marqué l’étudiant de l’Université McGill qui affirme : « ça me servira dans la vie, peu importe ce qu’il décide je faire ». Mais il a hâte de fouler un terrain de football.

Et lorsqu’il le fera, il ne tiendra rien pour acquis malgré son nouveau statut.

« Je vais arriver là-bas avec la même optique qu’à la Classique Shrine. Il n’y a pas de pitié et pas d’ami. Tu rentres sur le terrain et tu fais ce que tu as à faire. Tu essaies d’apprendre le plus vite possible en espérant que les choses vont bien se dérouler pour toi », martèle-t-il.

Un tournant dans sa vie

Avec le repêchage vient un contrat et un boni, un gros chèque de six chiffres en plus. Plusieurs jeunes joueurs de la NFL ont énormément de difficulté à vivre cette transition entre les rangs universitaires et la vie de professionnel.

Bref, en un instant, Laurent Duvernay-Tardif passera d’étudiant boursier à un joueur professionnel qui touchera la plus grosse somme d’argent de sa vie jusqu’ici. On ne peut prédire l’avenir, mais le natif de Mont-St-Hilaire ne semble pas s’enfler la tête outre mesure.

« Ça va être quelque chose. Mais je ne suis pas le genre de personne qui va commencer à vivre un autre rythme de vie. J’ai mon rythme, ce sera différent, mais mon but c’est que ce le soit le moins possible. Je veux rester terre à terre. D’avoir cette somme d'argent aussi jeune, si tu l’investis logiquement, ça peut être vraiment profitable au lieu d’acheter une auto à 60 000 $ », constate-t-il.

Outre une énorme différence salariale dans sa vie, il sera aussi confronté à un nouvel environnement. Il devra s’établir dans une nouvelle ville et sera dans un monde d’hommes où il sera le plus jeune. Mais Duvernay-Tardif n’est pas intimidé ou inquiet par rapport à ces changements.

« On va voir, mais je pense que j’ai beaucoup à apprendre. Le meilleur scénario que je pourrais avoir, c’est un vétéran qui sait qu’il va prendre sa retraite dans un an ou deux et qui veut transmettre son savoir à un plus jeune, imagine-t-il. À savoir si ça va arriver, ce sera un scénario contextuel et on verra. »

Il est difficile de savoir à quelle ronde Laurent Duvernay-Tardif sera repêché. Mais les experts américains parlent de lui comme un joueur qui a gagné des rangs. Le principal intéressé s’en fait peu avec cet aspect du repêchage. Il connaît ce qu'il vaut et sa motivation ne se résigne pas à son rang de sélection.

« Au bout du compte, si je suis repêché en sixième ronde ou plus, ce sera en raison du contexte et de la politique du sport parce que ça ne fait pas longtemps que je suis sur le radar. Je ne m’en fais vraiment pas. Je connais mon talent, mes forces et mes faiblesses », conclut-il.

(*Photo en sarrau : Christina Moro)