Canadien-Leafs : il y a 42 ans, un héros inattendu
Canadiens mardi, 18 mai 2021. 07:44 vendredi, 15 nov. 2024. 14:30MONTRÉAL – Les séries éliminatoires sont souvent l’occasion pour des joueurs marginaux de sortir de l’ombre et d’accéder à la gloire éphémère. Dans la dernière confrontation entre le Canadien et les Maple Leafs, il y a 42 ans, ce héros inattendu fut Cam Connor.
Choix de premier tour du Canadien au repêchage de 1974, Connor venait de passer quatre saisons dans l’Association mondiale lorsqu’il a finalement décidé de se rapporter à Montréal. Sa nouvelle équipe formait alors une puissante dynastie propulsée par dix futurs membres du Temple de la renommée. Connor, qui n’avait pas la moitié du talent nécessaire pour rêver ajouter son nom à cette liste, avait en plus été pris en grippe par Scotty Bowman, qui avait déjà fait passer un mauvais quart d’heure à des joueurs bien meilleurs que lui.
La recrue a donc disputé seulement 23 matchs cette saison-là et lorsque le Tricolore s’est officiellement lancé à la défense de son titre, il n’était pas parmi les joueurs en uniforme.
Le Canadien a facilement gagné les deux premières parties de la série, 5-2 et 5-1. « Mais les matchs avaient été plus serrés que le pointage ne l’indiquait et physiquement, les Leafs s’en permettaient pas mal », se souvient Connor, qui a interrompu la tonte de son gazon pour partager ses souvenirs avec RDS la semaine dernière.
Sa version de l’histoire est la suivante : avant le troisième match à Toronto, Ken Dryden est allé voir Bowman pour le convaincre qu’il était temps de donner sa chance à Connor, qui avait amassé plus de 200 minutes de pénalité dans chacune de ses trois dernières saisons dans l’AMH. « Il est fait sur mesure pour ce style de jeu, avait plaidé le futur avocat. Fais-le jouer. »
Selon le site Hockey Reference, Connor avait été utilisé dès le deuxième match au Forum. Il aurait d’ailleurs été sur la glace pour le seul but des Leafs. Mais peu importe : ce qu’on retient, c’est que Bowman a fini par céder devant les arguments de son gardien vedette.
Céder, oui, mais non sans résistance. Dans le troisième match de la série, Connor n’a effectué aucune présence sur la patinoire dans les trois premières périodes, qui se sont soldées avec un pointage égal de 3-3. Ses fesses n’ont pas non plus quitté le banc durant la première prolongation. Il a fallu que Steve Shutt et Mark Napier se retrouvent sur le carreau pour que l’obstination de l’entraîneur trouve son homme.
« Et les Leafs, rappelle Connor, avait roulé à quatre trios durant tout le match. Bowman n’en utilisait que trois. Nos gars étaient brûlés. »
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Avec cinq minutes d’écoulées à la deuxième période supplémentaire, Connor est allé prendre une mise en jeu en zone offensive avec Doug Risebrough et Rick Chartraw. « Ne joue pas à la vedette », lui a crié Bowman en l’envoyant sur la glace. Les Leafs sont parvenus à sortir de leur territoire, mais ont perdu la rondelle en zone neutre. Serge Savard l’a récupérée et a immédiatement opéré la relance. Connor, un gaucher, s’est alors retrouvé dans une descente à 2-contre-1 à la droite de Risebrough, qui l’a envoyé vers le but avec une passe précise sur son revers.
« Cloué au banc pendant les quatre premières périodes, j’avais eu tout le temps au monde pour observer leur gardien, Mike Palmateer, décrit Connor, un raconteur cinq étoiles. Il était petit, il ne couvrait vraiment pas beaucoup d’espace devant son filet. Mais quand on s’approchait de lui, si on avait le malheur de baisser les yeux sur la rondelle, il fonçait vers l’avant pour couper les angles et la plupart du temps, les tirs finissaient par frapper ses jambières. Il faisait ça à chaque fois »
« J’avais pris des notes, poursuit notre bougre. Je me disais que si jamais j’avais ma chance, j’allais baisser la tête, feinter un lancer et le contourner pour me retrouver devant un filet désert. C’était mon plan! »
Entre la conception et l’exécution, il y a eu quelques ratés qui lui ont toutefois vite été pardonnés. Connor a effectivement tenté de ramener la rondelle sur son côté fort tandis que Palmateer l’attendait en haut de son rectangle. Mais dans son geste, la rondelle lui a échappé et a lentement glissé entre les jambières du gardien. Connor était à quatre pattes sur la glace, enfourchant la ligne rouge, quand il a vu son tir accidentel pénétrer le but.
« En toute honnêteté, j’aimerais bien pouvoir dire que j’ai décoché un lancer frappé en plein dans la lucarne, rigole-t-il avec autodérision. C’était un peu chanceux, mais Palmateer avait juste à garder son bâton sur la glace! »
« J’étais au ciel et je sais que mes coéquipiers étaient encore plus heureux que moi. Ils savaient tout ce que j’avais dû endurer et ils étaient contents de me voir savourer mes quinze minutes de gloire. Ils m’ont fait sentir comme le gars le plus chanceux du monde ce soir-là. »
De Howe à Lafleur... à Gretzky
Affecté par une virulente intoxication alimentaire, Connor n’allait disputer que six autres matchs durant ces séries, tous dans l’anonymat auquel il était habitué. Son absence pour la grande finale contre les Rangers de New York a même failli lui coûter sa petite place sur la coupe Stanley.
« Je n’en avais aucune idée à l’époque, mais il fallait avoir joué un certain nombre de matchs en saison régulière ou avoir participé à la finale pour avoir son nom sur la Coupe. J’ai su 15 ou 20 ans plus tard que Bob Gainey, Doug Risebrough et Ken Dryden avaient fait des pressions à la Ligue pour que mon nom et celui d’Yvan Cournoyer soient ajoutés sur la Coupe cette année-là. C’était ça où aucun joueur ne donnerait la permission d’y graver le sien. Ça m’a touché droit au cœur quand j’ai appris ça. »
Au terme de ce qui fut son unique saison avec le Canadien, Connor a été sélectionné par les Oilers d’Edmonton au repêchage d’expansion de 1979. Après avoir joué avec Gordie Howe et Guy Lafleur, il allait désormais avoir comme coéquipier un jeune du nom de Wayne Gretzky.
« J’avais joué contre Glenn Sather dans l’AMH et il savait ce dont j’étais capable. Le jour du repêchage, il m’a appelé pour m’annoncer la nouvelle et me demander si je voulais m’occuper d’un de nos joueurs qui était seul dans sa chambre d’hôtel à Montréal. Ce joueur, c’était Wayne. Je suis donc passé le chercher et on est allés boire quelques bières ensemble. Comme moi, Wayne avait joué dans l’Association mondiale et il m’avait demandé à quoi il devait s’attendre en faisant le saut dans la Ligue nationale. Je venais de passer l’année avec la meilleure équipe au monde, une équipe dont tous les adversaires avaient le couteau entre les dents. Malgré nos succès, chaque match était dur. Je lui avais donc répondu : ‘Wayne, je sais que tu as eu beaucoup de succès dans l’AMH, mais tu vas avoir besoin d’une ou deux saisons pour t’ajuster à la LNH.’ Celle-là, ça n’a pas été ma meilleure! »
Connor n’a fait que passer à Edmonton et a terminé sa carrière avec les Rangers de New York. Une vilaine blessure au dos l’a forcé à accrocher ses patins à 28 ans. Il est revenu s’installer en Alberta et s’est recyclé en consultant informatique, un métier qu’il a exercé pendant un quart de siècle. Jusqu’à tout récemment, il était représentant pour une compagnie qui fournit l’hébergement et le service de traiteur aux travailleurs de l’industrie du pétrole.
À 66 ans, il est plus présent que bien des milléniaux sur les réseaux sociaux et anime même sa propre émission en baladodiffusion, View From The Penalty Box, où il commente l’actualité dans le monde du hockey avec son fils Kristofer. Dans le plus récent épisode, Connor réagit aux comparaisons qui ont été faites entre son histoire et celle de... Cole Caufield. On peut sortir l’ancien Canadien de Montréal, mais Montréal décroche rarement de l’ancien Canadien.
Retour vers le futur
Connor n’a pas eu besoin de jouer plus longtemps pour le Canadien pour comprendre ce que signifiait la rivalité qui l’unit aux Maple Leafs.
« L’animosité remonte à l’époque des six équipes originales. Ça a toujours été les deux équipes canadiennes les plus populaires, les plus suivies. La rivalité était naturelle. Qu’il y ait seulement six équipes ou 18, comme à mon époque, ça ne changeait rien. C’était toujours chaud contre ces gars-là et il fallait absolument les battre. C’était important pour nous. Historiquement, le Canadien avait pas mal toujours botté le cul des Leafs et il n’était pas question que ça change pendant qu’on était là. »
Plus de quatre décennies après son caméo en bleu-blanc-rouge, Connor remarque que cette dynamique est demeurée inchangée, mais que le rapport de force a été renversé. En 1979, le Canadien était une équipe bourrée de talent, rapide et toute en finesse. Pour lui tenir tête, les Leafs n’avaient d’autre choix que de frapper, accrocher, déranger.
« Aujourd’hui, c’est exactement le contraire, note-t-il. Maintenant, les Maple Leafs sont à l’image des Canadiens de l’époque et ce sont ces derniers qui devront sortir un truc de leur chapeau pour espérer causer la surprise. Je ne suis pas leur entraîneur, c’est juste mon opinion, mais s’ils décident de jouer une partie de ‘ne me frappe pas et je ne te frapperai pas’, s’ils tentent de s’en sortir sans trop se salir, ils vont perdre. Les Habs vont perdre. »
Connor parle ici avec sa tête. Son cœur souhaite une victoire de son ancien club. L’ancien numéro 20 n’a peut-être fait que passer à Montréal, mais son attachement pour la ville est indéfectible.
« Je crois objectivement que les Leafs ont trop de talent pour se faire surprendre, mais si le Canadien joue bien ses cartes, qu’il ne déroge pas de ce qu’il doit faire et que son gardien fait les arrêts, ça pourrait devenir très intéressant. Je ne veux pas voir de balayage en tout cas. J’espère en tout cas que la série se rendra en six ou sept. Ça serait merveilleux. »