Pendant deux périodes jeudi soir au Centre Bell, le Canadien donnait l'impression d'être en bonne posture pour se sortir de sa torpeur et d’enfin récolter deux points au classement. Sans être dominante, la formation de Claude Julien jouait un match propre et discipliné, en plus de générer plus d’occasions de marquer que ses rivaux.

Le capitaine des Oilers d’Edmonton Connor McDavid s’était fait plutôt discret dans les 40 premières après les feux d’artifice du match précédent, lorsqu’il en avait mis plein la vue à Toronto.

Je me souviens d’avoir dit en ondes durant le deuxième entracte que les cinq premières minutes du dernier tiers allaient être cruciales.

Lorsqu’une équipe combat une série d’insuccès semblable à celle que traverse le CH, les joueurs sont toujours dans l’attente que quelque chose de négatif se produise. C'est la nature humaine. Il s'agit d'une réaction qui découle d'un manque de confiance généralisé.

Ce qui devait arriver arriva : il y a eu la pénalité imposée à Phillip Danault, puis le but égalisateur, et soudainement la panique avait regagné le jeu collectif des Montréalais. C’était revirement après revirement à la suite du 2e but des Oilers. Les visiteurs n’en demandaient pas tant; ils ont profité des passes errantes et des jeux sans conviction du Canadien pour s’emparer du rythme et ne jamais le redonner.

C’est donc le mot « fragilité » qui me vient en tête lorsque je tente de résumer en seul mot ce que vit l’équipe depuis une semaine. Un club fragile est un club qui, même en avance au tableau indicateur, ne joue pas avec l’assurance que tout va bien se passer.

Julien a admis en conférence d’après-match qu’il est à court de réponses à ce point-ci. Je crois qu’il ne faut pas chercher de midi à 14 h la réponse : c’est de faire appel à la fierté de ce groupe de hockeyeurs professionnels. S’ils en sont là dans leur carrière, c’est qu’ils ont un niveau de compétition supérieur à la moyenne. Dans le circuit Bettman, même les joueurs ultra-talentueux sont des athlètes déterminés et fiers.

Sauf qu’à un certain moment, la contribution de chacun atteint ses limites. Certains chez le Canadien commettent des erreurs attribuables à l’inexpérience, d’autres jouent simplement trop de minutes pour leur niveau d’habiletés. Il y a une pression qui accompagne le fait de se voir confier de plus grandes responsabilités, et quelques-uns ne sont pas prêts. Mais je veux mettre une chose au clair : on ne peut pas les blâmer ou clamer qu’ils ont abandonné leur entraîneur.

Je donne un exemple parmi d’autres, celui de Nick Suzuki. Il y a environ un mois, il passait une quinzaine de minutes par soir sur la surface de jeu. On le protégeait en lui donnant surtout l’opportunité de faire parler son talent en avantage numérique. La réaction était unanime : « Wow, il est spectaculaire. Il va devenir un joueur étoile! » Maintenant qu’il est utilisé entre 20 et 21 minutes par match, les erreurs commencent à être plus fréquentes. Il met son équipe dans le trouble plus souvent que lors des mois d'octobre et novembre. Ça fait partie du développement d’un jeune joueur et les gens ne doivent pas lui en tenir rigueur. Suzuki n’est simplement pas prêt à prendre des bouchées aussi grandes que celles que le personnel d’instructeurs lui demande de prendre dans le contexte actuel.

Rien ne sert de donner dans l’apitoiement. Oui, la malchance y est pour quelque chose. Le poids des nombreuses blessures est certainement lui aussi une partie importante de l’équation, tout comme le manque de profondeur de l’équipe afin de répondre efficacement à l’absence de plusieurs gros morceaux. Bref, il y a eu l’effet boule de neige; plus le fossé se creuse, plus il est difficile de s’en sortir.

Bergevin doit déjà avoir son idée

Il a eu beau tenter d’aider son entraîneur en greffant récemment Ilya Kovalchuk et Marco Scandella à la formation, Marc Bergevin doit affronter la réalité et reconnaître qu’il est peut-être déjà trop tard pour renverser la tendance. Ce n’est pas dans la situation actuelle qu’il va changer le visage de l’organisation. Ce sera dans l’entre-saison que ça se passera.

De toute façon, c’est de plus en plus difficile d’améliorer son équipe dans le court terme les équipes sont réticentes à offrir de hauts choix. Bergevin est un de ces directeurs généraux qui protègent ces choix de première et de deuxième rondes.

Forcément, il aimerait réaliser d’autres transactions pour aider son groupe à freiner sa glissade. Il doit avoir confiance que ce groupe de patineurs peut accomplir de belles choses. Mais quand tu es à 11 points de l’équipe classée 3e dans ta division et à neuf points de la 2e et dernière place réservée à une équipe repêchée, tu serais fou de ne pas déjà avoir passé quelques coups de téléphone pour connaître l’intérêt potentiel de tes homologues pour certains vétérans.

Une chose qui joue aide Bergevin cet hiver est la place non-négligeable que l’équipe possède vis-à-vis le plafond salarial. Des clubs de l’Est comme de l’Ouest qui aspirent aux grands honneurs voudront se débarrasser de contrats qui les incommodent. On connaît la recette, avec cette pomme pourrie vient souvent un jeune joueur prometteur, ou bien l’offre est assortie d’un choix au repêchage. Il ne faut pas regarder plus loin que l’échange réalisé avec les Jets de Winnipeg pour obtenir Joel Armia à l’été 2018, lorsque le CH avait accepté de payer la somme résiduelle au contrat de Steve Mason.

Il reste encore une autre année avant que le CH ne doive offrir de nouvelles ententes à Danault et à Brendan Gallagher. Théoriquement, c’est une autre saison à pouvoir absorber des sommes provenant de d’autres équipes afin d’ajouter d’autres jeunes talents à la banque d’espoirs. Personne ne se fait de cadeaux dans cette ligue hyper compétitive. Tu dois te servir des atouts à ta disposition. Dans le cas de Bergevin, cette importante marge de manœuvre financière qui doit servir de levier.

Il reste cinq autres matchs au Canadien avant que la LNH ne fasse relâche pour le match des étoiles. Le plateau des 50 matchs sera atteint à ce moment, et si la troupe montréalaise n’a pas réalisé de progrès dans la course éliminatoire, il sera déjà temps pour Bergevin d’identifier les joueurs susceptibles de partir.

D’ici là, voyons si l’équipe peut aller chercher un nouveau souffle à Ottawa samedi. Il est toujours plus facile de jouer avec émotion lorsque c’est contre une équipe rivale. On l’a vu plus tôt cette saison, il y a de l’animosité entre ces deux équipes. Je pense que c’est un environnement propice à ce que le CH renoue avec la victoire.

* propos recueillis par le RDS.ca