Marc Bergevin avait tous les outils
Canadiens mercredi, 22 nov. 2017. 09:13 mercredi, 11 déc. 2024. 15:05Je ne sais trop comment ils en sont venus là. Je parle du manque éhonté de transparence, d’une mentalité de fermeture, de secrets et d’énigmes inutiles par la direction du Canadien.
Quelqu’un a sans doute cru un jour qu’on pouvait bien vivre sans trop en dire aux médias qui représentent pourtant la courroie de transmission entre l’équipe et la population. Tout cela en évaluant plutôt mal le risque de briser des liens étroits avec une clientèle qu’on tient trop souvent pour acquis.
Ça ne s’est pas toujours passé de cette façon. À l’époque de Ronald Corey et de Serge Savard, on témoignait une certaine forme de respect envers tous ceux qui gravitaient autour de l’équipe. Je pense aussi à Pat Burns, un coach qui n’avait pas de filtre; on finissait souvent par connaître le fond de sa pensée dans des termes parfois très crus, mais au moins, il jasait le gros Pat. Je pense aussi à Jacques Demers, le plus humain et le plus cordial de tous les entraîneurs qui sont passés derrière ce banc.
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C’est à l’arrivée de Bob Gainey que la sauce s’est gâtée. Quand il a chassé les médias des vols nolisés du Canadien, il a clairement tracé une ligne de démarcation entre l’équipe et les gens qui en couvraient les activités. On lui reconnaît aussi la paternité de l’expression « en haut et en bas du corps » qui a contribué à créer une loi du silence subtile qui s’est propagée à la grandeur de la ligue.
Son successeur a été Pierre Gauthier, un control freak pour qui la plus anodine des décisions devait être la sienne. On n’aurait jamais pensé pouvoir dire cela de Marc Bergevin, qui est apparu dans le décor comme un vent de fraîcheur à ses premiers jours, mais il est devenu encore plus obsédé de contrôle que son prédécesseur. Ce qu’on entend à l’interne à son sujet nous a dit pas mal sur les véritables traits de sa personnalité. Quand Bergevin tranche, il est préférable de dire comme lui.
Le cas de la blessure supposément mineure à Carey Price est devenu un tel secret d’État qu’il a causé beaucoup de tort à l’organisation. Il y avait longtemps que les médias manifestaient leur mécontentement au sujet du manque de transparence du Canadien, de ses jeux de cache-cache et de ses penchants pas toujours habiles pour la désinformation. Cette affaire a finalement fait déborder le vase. Price est blessé au bas du corps. Que ce soit à l’aine, au genou ou à la cheville, on s’en balance. Le problème, c’est la chasse aux sorcières que cette blessure a inutilement engendrée. Comme si le joueur de concession était menacé d’y passer. Cette opération de camouflage a été un fiasco.
À huit jours de décembre, le Canadien est quasi assuré de ne pas participer aux séries. Si on ne prédit pas à 100 % la seconde exclusion des séries en trois ans, c’est uniquement parce qu’on s’en remet à des probabilités mathématiques pour entretenir un mince filet d’espoir.
Qui faut-il blâmer pour cette dérive? L’architecte de l’équipe, évidemment. Bergevin est richement payé pour voir à ce que ça marche. Si le Canadien filait vers la coupe Stanley, il serait encensé. Quand la formation pique du nez, c’est normal qu’il soit montré du doigt. Comme disent les Anglos, ça vient avec le territoire.
Une transaction par-ci et un échange par-là ne changeront pas grand-chose à l’avenir à court ou à moyen terme du Canadien. Le malaise est beaucoup plus profond. L’organisation a besoin d’un changement de mentalité. Les directeurs généraux et les entraîneurs passent, mais la culture de l’entreprise reste la même. C’est du pareil au même en haut lieu. À l’égalité de la patinoire, le système de jeu qui dénote un manque d’imagination est rarement capable de nous garder sur le bout de notre siège.
Pas trop de compassion
Autres éléments agaçants, le Canadien n’est pas une organisation qui admet ses erreurs et on ne peut pas dire que l’équipe a de la compassion pour ses fans. Il y a deux ans, quand le Canadien a raté une participation aux séries à la suite d’une saison désastreuse, on a frappé le portefeuille d’une clientèle reconnue pour sa fidélité sans la moindre gêne en lui imposant une majoration du prix des billets de 28 %.
Pourquoi a-t-on agi ainsi? Parce que les clients sont fidèles, justement. Parce qu’ils acceptent tout sans rechigner. Parce qu’ils achètent des chandails à 250 $ en criant « Go Habs Go ». Parce qu’ils boivent joyeusement de la bière à 12 $ et qu’ils déboursent 32 $ sans se plaindre pour stationner leur voiture à l’intérieur de l’édifice. Bref, ils acceptent tout, y compris un quart de siècle sans coupe.
Geoff Molson a accordé à Bergevin tous les outils pour gagner : des conseillers à n’en plus finir, des salaires démesurés à des athlètes qui ne le valaient pas, un coûteux changement d’entraîneur qui n’a rien donné, etc. Tout ce que le directeur général a demandé depuis qu’il est en poste lui a été généreusement accordé. En retour, Molson n’a exigé qu’une chose : une équipe gagnante. Il était tellement convaincu que son homme livrerait la marchandise qu’il s’est lui-même peinturé dans le coin en lui accordant un contrat que le petit gars de Pointe-Saint-Charles n’aurait jamais osé imaginer. Le propriétaire affirme régulièrement que son homme de confiance est l’un des meilleurs DG de la ligue, sinon le meilleur. A-t-il vraiment le choix de le dire quand le remplacer lui coûterait des millions de dollars?
La vérité, c’est que le Canadien ne gagne pas parce qu’il manque atrocement de talent. On ne reviendra pas sur la façon dont les départs d’Andrei Markov et d’Alexander Radulov ont été gérés. Intransigeant, Bergevin a cru les deux joueurs si en amour avec Montréal qu’il pouvait mener les discussions à sa manière. Il s’est trompé dans les deux cas.
On a cédé un trésor de talent en Mikhail Sergachev pour obtenir l’attaquant de l’avenir, Jonathan Drouin, mais on n’a pas été foutu de lui dénicher un joueur de centre à sa mesure, de sorte que la question qui hante la situation d’Alex Galchenyuk depuis six ans s’applique maintenant à celle de Drouin : « Est-il un centre ou un ailier? » Incroyable quand on y pense.
Dans divers milieux, on se demande s’il serait préférable que le Canadien amorce une reconstruction en baissant actuellement les bras afin de pouvoir profiter d’une perle rare au prochain repêchage. Entre vous et moi, l’équipe n’a nullement besoin de se laisser glisser intentionnellement au classement pour y arriver. Elle y parvient déjà assez facilement en se comportant comme elle le fait en ce moment.
Le Canadien ne le fera pas, bien sûr. On va continuer de rapiécer l’équipe morceau par morceau en espérant qu’il n’y ait pas trop de nids-de-poule comme Karl Alzner, Ales Hemsky et Mark Streit sur la route de Bergevin. Faudra accepter de patienter encore et encore. Peut-être durant un autre quart de siècle, qui sait?
Faudra trancher dans le cas de Price un jour
On aura peut-être besoin de poser un geste courageux éventuellement, celui de trancher dans le cas de Price. Que fera-t-on de son outrageux contrat quand la fenêtre d’opportunité, qui est actuellement fermée, le sera sans doute encore davantage dans trois ans? Weber aura alors 35 ans, Pacioretty, Petry et Alzner 32 et Price 33. Quelle sera alors l’utilité de payer un gardien de but 10,5 millions par année pendant sept autres saisons quand les chances de gagner la coupe Stanley seront quasi inexistantes? Ne serait-il pas préférable de faire route avec un Charlie Lindgren coûtant le quart du prix, mais avec une défense améliorée devant lui?
Depuis des années, le Canadien tente de se maintenir à flot en s’appliquant notamment à réparer ses propres erreurs. Ça ne suffit plus. Il faut nettoyer tout ça. Or, peut-on logiquement confier à Bergevin la mission de tout recommencer? Si vous êtes insatisfait de la maison qu’un constructeur vous a bâtie, allez-vous lui demander de vous en construire une autre?
Un seul homme peut répondre à cette question. Celui qui signe allègrement les chèques depuis plus de cinq ans. Malgré ses votes de confiance répétés à l’endroit de ses hommes de hockey et malgré son calme désarmant dans la tempête, on a du mal à croire que Molson ne soit pas amèrement écoeuré de dépenser tant de millions pour si peu de résultats.