Par Rolland Ouellette, collaboration spéciale - Si vos amis déclarent, au cours d'une discussion sur le hockey, que Jacques Plante est l'un des trois meilleurs gardiens de tous les temps, vous seriez bien mal venu de les contredire. Certains experts vont même beaucoup plus loin et affirment qu'il est le plus grand de l'histoire. Je l'avoue d'emblée: je suis entièrement d'accord avec eux.

Pour plusieurs, c'est l'as des as. Pour ses coéquipiers, c'est un roi. Pour son entraîneur, Toe Blake, c'est une source d'ennuis. Son esprit inventif et son innovation en matière de hockey lui attirent en effet les foudres de l'entraîneur. Son endurance lui vaut toutefois le trophée Hart en 1962, à titre de joueur le plus utile à son équipe dans la Ligue nationale de hockey et le trophée Vézina, de 1956 à 1960. Pour couronner le tout, il inscrit à chacune de ses cinq saisons son nom sur la coupe Stanley, en plus de dominer la ligue pour la moyenne de buts alloués en séries éliminatoires.

Né le 17 janvier 1929 à Shawinigan Falls, Jacques Plante se distrait en tricotant des tuques semblables à celle de ses ancêtres. Un journaliste sportif se rappelle l'avoir vu, à l'âge de 22 ans, garder les filets du Royal de Montréal vêtu d'une tuque et d'une camisole de laine de sa confection. Au début des années cinquante, il est indiscutablement un excellent gardien de but. Les Canadiens décident toutefois de ne pas retenir ses services puisqu'ils ont dans leurs rangs un cerbère efficace et de talent en la personne de Gerry McNeil. En 1953, Dick Irvin décide de risquer le coup et de faire confiance à Jacques. C'est le début d'une très longue carrière pour Plante...et la fin tragique et prématurée de celle de McNeil. Il joue brièvement avec le grand club en 1952-53, puis en 1953-54. Il fait ses débuts officiels la saison suivante et devient la pierre angulaire d'une tradition qui allait marquer le monde du sport professionnel.

Jacques Plante a influencé le hockey à plusieurs niveaux. Il est, tout d'abord, le précurseur des gardiens de buts qui viennent en aide à leurs défenseurs en immobilisant la rondelle derrière le filet pour permettre à ceux-ci de relancer l'attaque. Il décide d'expérimenter cette technique lors des séries éliminatoires de 1953 contre Chicago. Le style offensif de Plante permet aux Canadiens de vaincre les Blackhawks en première ronde. Il parvient ainsi à s'assurer un poste au sein de l'équipe malgré son jeu audacieux.

En 1955-56, Toe Blake fait son apparition derrière le banc de l'équipe, remplaçant ainsi Dick Irvin. Le froid entre l'énigmatique Plante et le très déterminé Blake est immédiat. En effet, l'entraîneur n'apprécie aucunement le style de son gardien. Les méthodes d'enseignement de Blake sont des plus conventionnelles et les techniques innovatrices de Plante l'exaspèrent au plus haut point. Bien qu'il soit au sommet de sa forme et qu'il domine les autres cerbères du circuit, Plante irrite la foule avec ses longues sorties pour aller chercher la rondelle derrière son filet. Et vient le jour où il se fait prendre au piège: il manque la rondelle et un joueur adverse s'en empare pour la loger dans un filet totalement abandonné. Il ne possède pas encore la maîtrise parfaite de son art et sa moyenne se met à monter en flèche.

Blake ne se contient plus. L'entraîneur s'en prend de plus en plus à son gardien décidément mal aimé. Au fil des ans, les conflits s'intensifient et deviennent insurmontables. Devant les victoires de son équipe, Blake ne peut qu'encaisser, tandis que Plante jouit pleinement de son talent et de sa popularité. Les réactions de Blake ne l'inquiètent nullement, car il sait très bien qu'il a le calibre nécessaire pour se joindre à n'importe quelle équipe du circuit.

Un événement inattendu viendra envenimer davantage les rapports entre gardien et entraîneur. Lors d'un match au Madison Square Garden, le premier novembre 1959, un tir puissant d'Andy Bathgate des Rangers de New York frappe Plante directement sur le nez et le gardien tombe sur la patinoire. Les coéquipiers aident Plante, le visage ensanglanté, à se rendre à l'infirmerie où on lui fait une dizaine de points de suture.

À plusieurs reprises, Plante avait essayé de porter un masque durant les séances d'entraînemenr, mais Blake refusait de permettre à son gardien de le porter régulièrement durant la saison. Ce soir-là, toutefois, les Canadiens n'ont pas de gardien de réserve et Plante refuse catégoriquement de participer au match sans son masque. Blake est obligé de lui accorder la permission, pour éviter que les Canadiens ne perdent la rencontre par défaut. Plante revient en force et surtout en confiance, et aide les Canadiens à battre les Rangers. Il jure de continuer à porter le masque tant qu'il jouera. Blake déclare: "Il pourra le porter tant qu'il ne sera pas complètement guéri et devra l'enlever par la suite." Plante vient pourtant de faire la preuve que le port du masque ne nuit en rien à la visibilité, contrairement à ce qu'affirme son entraîneur, car l'équipe remporte onze autres matchs consécutifs.

Blake est difficile à convaincre et dissimule mal son embarras au sujet de son gardien. Il déclare un jour à un journaliste : "J'aurais aimé que Plante manifeste de l'intransigeance envers le hockey et surtout ses coéquipiers." De toute évidence, Blake ne s'efforce pas vraiment de comprendre les idées de Plante.

Le réputé Howie Meeker déclare: "C'est assez, il avait raison. Sérieusement, je ne peux croire que nos gardiens aient joué sans masque, ils étaient très braves." Même si Plante est passé à l'histoire, il n'était pas le premier gardien de la Ligue nationale de hockey à vouloir se protéger des blessures au visage. En 1930, Clint Benedict, victime d'une fracture du nez et de la mâchoire, avait porté temporairement un masque rudimentaire en cuir. Le masque de Plante, plus léger et plus résistant, allait révolutionner le monde du hockey.

La détermination de Plante lui permet de jouer tout au long de sa carrière même s'il souffre d'asthme. Il s'est d'ailleurs absenté de treize rencontres durant la saison 1957-58 pour une opération aux sinus. Jacques est un produit des Canadiens de Montréal, qui évoluaient dans un système de jeu hermétique en défense et rapide en attaque. Son talent est reconnu même au sein de la Ligue de hockey junior majeur du Québec, puisque le trophée remis au meilleur gardien de but de la ligue porte son nom.

En 1962, il remporte encore une fois le trophée Vézina, son sixième. Il devient alors le quatrième gardien de l'histoire à mériter ce trophée à six reprises, en compagnie des gardiens Roy Worters, Chuck Rayner et Al Rollins.

Le 4 juin 1963, il est échangé aux Rangers de New York au cours d'une très importante transaction impliquant plusieurs joueurs. Il quitte les Canadiens en compagnie de Don Marshall et Phil Goyette, en retour de Lorne Worsley, Dave Ballon, et Léon Rochefort. Il se retire deux ans plus tard. Toujours aussi passionné, Plante décide de prouver à tous les experts qu'après trois ans de retraite, il peut effectuer un retour au jeu. Il le fait dans l'uniforme des Blues de St. Louis lors de la saison 1968-69. Glenn Hall et lui forment une excellente paire de gardiens de but. Son retour est fulgurant: il gagne à nouveau le trophée Vézina, en compagnie de Hall cette fois.

À la différence de Terry Sawchuck, dont l'adresse s'est finalement atténuée, Plante demeure, à l'âge de quarante ans, en parfaite condition physique et ses réflexes font l'envie des autres cerbères de la ligue. Avec son septième trophée Vézina, il devance Bill Durnan à ce chapitre. Le 18 mai 1970, il est échangé aux Maple Leafs de Toronto. Il y remporte un certain succès lors de sa première saison, mais les deux suivantes sont parsemées de difficultés. Après quelques saisons avec les Leafs, il se retrouve à Boston contre un choix au repêchage de 1973. Il ne dispute que huit rencontres, remportant beaucoup de succès avec sept victoires et une défaite et conservant une moyenne impressionnante de 2.00.

Il devient par la suite entraîneur et directeur général des Nordiques de Québec de l'Association mondiale de hockey. Comme il arrive souvent aux grandes vedettes, il s'avère incapable d'accomplir derrière le banc ce qui lui était si naturel sur la glace. La saison suivante, à l'âge de quarante-cinq ans, il effectue un autre retour au jeu lorsqu'il signe avec les Oilers d'Edmonton de l'AMH. Après une saison très inégale, il se retire définitivement de la compétition pour se retrouver avec les Flyers de Philadelphie de la LNH à titre d'entraîneur des gardiens de but, un poste qu'il occupe jusqu'en 1980.

Surnommé "Jake The Snake" à cause de son agilité autour de ses filets et son habileté à anticiper le jeu, il aura été un gardien de but au style inimitable dont le talent n'avait d'égal que son assurance et sa détermination. Plante a été l'un des plus grands gardiens de but de la Ligue nationale de hockey, mais ne s'est jamais reposé sur ses lauriers, osant même un style tout à fait personnel devant, derrière et hors de son filet. On sait, entre autres, qu'il fabriquait lui-même ses masques.

Le fait de porter un masque n'altérait en rien le style libre et mobile de Jacques Plante dans la zone des buts. Plus confiant, le gardien masqué redoublait d'audace et de finesse lors des matchs cruciaux. Il a toujours eu une façon bien à lui de sortir du rectangle et d'aller directement à la rondelle pour l'intercepter, l'immobiliser ou la remettre à un coéquipier.

Aujourd'hui, les jeunes qui débutent dans le domaine du hockey doivent se contenter de films le montrant à l'oeuvre puisque que le plus grand cerbère de l'histoire est décédé d'un cancer le 27 février 1986, à Genève, en Suisse.

De toute évidence, Jacques "Jake The Snake" Plante a su transformer et améliorer le rôle du gardien de but par son audace et son esprit innovateur. Il a été élu au Temple de la renommée du hockey en 1978. Comment ne pas inclure dans les 100 plus grands Québécois du hockey celui qui a littéralement changé le visage du hockey moderne ?

Quelques faits marquants de sa carrière:

-Réussir 40 victoires et plus en une saison à 3 reprises.
-82 blanchissages en carrière dans la LNH.
-Participation à 8 matchs d'étoiles.
-6 coupes Stanley en 10 participations à la grande finale.
-Remporte, en 1956, 1957, 1958, 1959, 1960, 1962 et 1969, le trophée Vézina.
-Remporte, en 1962, le trophée Hart.
-Son chandail numéro 1 est retiré par les Canadiens de Montréal.
-A porté le numéro 1 avec les Canadiens.
-Intronisé au Temple de la renommée du hockey en 1978.
-Décédé le 27 février 1986...

PLANTE, Jacques "Jake The Snake"
Gardien, gaucher 6'0", 175 lb
Né à Shawinigan Falls, Qc, le 17 janvier 1929; décédé le 26 février 1986
Temple de la renommée: 1978
Dernier club amateur 1952-53: le Royal de Montéal

*Ce texte est tiré du livre "Les 100 plus grands Québécois du hockey", écrit par Rolland Ouellette et paru aux éditions Stanké en 2000.