Notre collègue Luc Gélinas a récemment écrit un ouvrage racontant une tranche de vie de huit hockeyeurs québécois, soit Steve Bégin, Francis Bouillon, Martin Brodeur, Simon Gagné, Ian Laperrière, Vincent Lecavalier, Roberto Luongo et André Roy. D'ici au 28 novembre, vous aurez la chance de lire sur le RDS.ca des extraits de chaque chapitre. Aujourd'hui, nous vous proposons un extrait du chapitre de Martin Brodeur.

Martin prend sa retraite
Extrait des pages 237, 238, 239

Lors de cette saison de 1986-1987, Martin Brodeur est venu vraiment très près d'accrocher ses jambières. Dans le monde sérieux et autoritaire du hockey mineur, la victoire passe souvent bien avant les intérêts personnels des enfants et certains adultes comprennent difficilement qu'il existe aussi une vie en dehors de l'aréna.

Après les fêtes, Martin s'absente d'abord pour quelques jours en raison du décès de Simone, sa grand-mère paternelle. Quelques semaines plus tard, toute la famille va rejoindre Denis, qui travaille à West Palm Beach où, chaque printemps, il immortalise sur pellicule le camp d'entraînement des Expos. Pour les Brodeur, quand arrive la semaine de la relâche scolaire, ce périple est un incontournable. Non seulement la famille échappe au dernier souffle des rigueurs de l'hiver québécois, mais en plus, les enfants passent des moments inoubliables à côtoyer les vedettes du baseball majeur.

Par contre, quand Martin est en Floride, il n'est pas avec son équipe de hockey. Frustré par la situation, l'entraîneur se venge à sa manière lorsque le jeune homme revient de voyage. Le système de rotation qui prévalait devant le filet ne tient plus et Martin est cloué au banc. Après s'être contenté d'un rôle d'observateur pendant quatre ou cinq parties, il décide qu'il en a assez. Le plaisir n'est plus au rendez-vous. Il quitte le hockey et profite des derniers soubresauts de l'hiver en s'adonnant au ski alpin avec ses amis.

« Je me souviens très bien de cette histoire-là, raconte Guy Martin, un ami d'enfance de Martin, en levant les yeux au ciel. Je marchais dans la rue avec mon frère Yvan quand on a croisé Martin. On lui a demandé comment ça allait et il nous a dit qu'il avait lâché le hockey. On n'y croyait pas, mais il était très sérieux ! »

Oui, Martin est très sérieux… mais son frère Claude n'est pas d'accord. Si Denis et Mireille comprennent et respectent la décision de leur plus jeune fils, l'aîné des garçons s'objecte et les choses n'en restent pas là.

« J'ai attrapé Martin et je lui ai parlé, relate Claude sur un ton encore assez autoritaire. S'il n'avait pas été un bon gardien, je l'aurais laissé faire et je l'aurais encouragé à faire du ski. Mais je voyais qu'il avait beaucoup de talent. Je lui ai dit de finir son année, que tout allait se replacer la saison prochaine. La pire affaire qui pouvait lui arriver, c'était d'arrêter de jouer au hockey. »

— Dans 20 ans, tu vas te dire « Maudit que j'aurais donc dû continuer à jouer. » Regarde-moi, Martin, je suis l'exemple parfait. J'ai joué dans les filiales des Expos et je me suis déchiré une épaule. Jamais je saurai ce qui aurait pu m'arriver si j'avais pas été blessé. J'aurais peut-être réussi… peut-être pas. Mais je vais toujours avoir un doute. Rappelle ton coach pis tes amis et retourne avec ton équipe.

« Si mon frère Claude n'avait pas été là, je n'aurais peut-être plus jamais joué au hockey, dit Martin. Je n'avais plus de plaisir. Dans la vie, c'est certain qu'à l'occasion, on est obligé de faire certaines choses qui nous intéressent moins, mais quand je décide de m'engager dans une activité, c'est parce que j'en ai envie et que ça m'amuse. C'est encore comme ça aujourd'hui. J'aime jouer au hockey et j'ai du fun. Un jour, ça va me frapper ; je n'aurai plus de fun à jouer au hockey… Je prendrai alors ma retraite. »