Dans le cadre de l'émission "Le Journal des Canadiens", notre collègue Sylvain Pedneault a eu la chance de rencontrer le directeur-gérant du Canadien, André Savard. Voici donc le contenu original de cette entrevue.

SP- André Savard, vous vous êtes préparé pendant plusieurs années pour être directeur-gérant. Le poste vous est tombé dessus du jour au lendemain. Avez-vous quand même été surpris?

AS- Surpris certain. Cela s'est fait très vite. Je m'attendais à travailler avec Réjean comme directeur du personnel des joueurs de trois à cinq ans. J'ai vraiment été surpris de la façon dont cela est arrivé.

SP- Vous êtes à la tête d'une des équipes les plus célèbres du sport professionnel. L'équipe a présentement des problèmes. Vous êtes dans une ville où les médias sont impatients et où les partisans sont très durs. Est-ce que ça fait peur parfois ? Est-ce que c'est angoissant ?

AS- Oui, c'est certain qu'il ne faut pas que tu y penses trop longtemps. Il faut que tu te concentres sur ton travail et sur tes fonctions. Il ne faut pas s'attarder sur ce que représente le Canadien, sa tradition et son histoire. Tu essaies de penser à autre chose et tu te concentres uniquement sur le travail ce que tu dois faire.

SP- André, vous avez une solide réputation pour détecter le talent. Comment avez-vous développé cette habilité à détecter le talent?

AS- Premièrement, il faut y croire. Lorsque tu vas aux parties juniors, il faut réellement que tu crois qu'il y a des joueurs qui ont une chance d'évoluer dans la LNH. Il faut que tu sois plus positif que négatif. Mais il faut aussi être réaliste et comprendre que la plupart des jeunes n'aboutiront pas dans la LNH.

Chose certaine, il faut que tu ailles aux parties pour bien connaître les joueurs parce que tu changes d'idée quand même assez souvent au courant de la saison. C'est surprenant comme on change d'idée souvent pendant une saison. Il ne faut pas avoir peur de changer d'opinion. Si tu pensais qu'un joueur était bon et que soudainement, tu te rendes compte qu'il ne s'est pas amélioré, il faut que tu sois capable d'admettre que finalement, il ne s'en va pas dans la bonne direction.

C'est toujours d'essayer d'analyser. Personnellement, mon «background» de joueur de hockey m'aide beaucoup. Je peux réellement détecter la façon dont tel joueur peut penser, son approche avec la partie et s'il a des chances de s'améliorer ou non.

Il y a de très bons dépisteurs. Chacun a sa façon bien à lui. Mais il faut premièrement aller assez souvent aux parties pour bien
connaître la valeur du joueur.

SP- Qu'est-ce que vous regardez en premier chez un joueur?

AS- La première chose que je regarde, c'est toujours le patin. Tu peux éliminer très vite. Si le patin est médiocre. Même si le joueur a de bonnes mains, il a une limite.

On recherche donc une qualité dominante qui va peut-être faire de ce jeune un joueur de la LNH. Par contre, il y a un autre joueur qui va être bon dans toutes les facettes sans exceller dans aucun domaine, que ce soit le patin, les mains ou le caractère. Peut-être que ce joueur là n'aboutira même pas dans la LNH.

Il faut réellement que le joueur ait une qualité dominante et que cette qualité soit assez forte pour équilibrer, même si le joueur a des lacunes.

SP- Bob Hartley a déjà dit que pour lui, une équipe de hockey, c'était comme un coffre d'outils et qu'on se servait des outils ou bien on les remplaçait selon les besoins. Michel Therrien dit que pour lui, une équipe de hockey c'est comme une famille qu'on rallie autour du même but : gagner. Pour vous, à quoi ça peut ressembler une équipe de hockey ?

AS- Présentement, je dirais un casse-tête qui s'en vient bien. Surtout avec les salaires, l'âge, les joueurs autonomes. Tu regardes ton casse-tête et tu l'analyses. C'est de cette façon-là que je vois les choses.

SP- Quel genre d'équipe André Savard veut-il offrir à ses partisans ?

AS- Actuellement, je suis très content de Saku. C'est le genre de joueur que les partisans veulent voir. Un joueur qui amène des jeux avec la qualité de ses passes, qui a du caractère et qui donne un 2e et un 3e effort. C'est de valeur qu'on ne l'ait pas toute la saison.

Je pense qu'il faut amener un petit peu plus d'offensive. Les partisans aiment l'offensive, ils aiment voir l'équipe compter des buts et chose certaine, on veut s'améliorer sur ce point-là.

SP- André, vous avez vécu la progression des Nordiques jusqu'au Colorado et l'émergence des Sénateurs d'Ottawa. Voyez-vous une ressemblance entre les Nordiques et les Sénateurs de l'époque et le Canadien d'aujourd'hui que vous devez relancer ?

AS- Je pense que quand les Nordiques sont descendus, l'équipe était plus faible que le Canadien d'aujourd'hui. Même chose pour les Sénateurs qui étaient une équipe d'expansion.

Le problème majeur du Canadien depuis l'année passée, ce sont les blessures. Koivu et Rucinsky n'ont joué qu'une partie ensemble cette année. C'est le problème majeur du Canadien depuis 2 ans. Le club n'est peut-être pas au niveau des équipes comme Détroit, Colorado ou New Jersey. Par contre, nous avons une équipe qui pourrait être capable de se battre pour une place en séries. Ce n'est pas un club aussi faible que les gens le pensent.

SP- Donc, la base est meilleure.

AS- Oui, la base est plus solide. On n'a qu'à regarder les gardiens de but. On a trois gardiens de but du calibre de la LNH. Ça va bien aussi à la défense. Stéphane Robidas et Andrei Markov jouent sur une base régulière, sur le jeu de puissance et en désavantage numérique. Deux jeunes et bons défenseurs.

SP- André, depuis que vous êtes en poste, il y a eu beaucoup d'éloges à votre endroit. Toutes ces fleurs sont évidemment agréables, mais est-ce que ça ne vous fait pas un peu peur parce que le pot va peut-être suivre à un moment donné ?

AS- Oui, car il faut être conscient de la situation.

Quand j'entends dire ou que je lis qu'il faut rebâtir le Canadien, je pense qu'il faut faire attention. Rebâtir le Canadien, donner des joueurs ou échanger des choix, je pense que ça peut être long parce que le choix au repêchage, il ne sera pas sur la glace l'an
prochain tandis que le joueur lui, il va l'être. C'est pour cela qu'il faut faire attention. Je ne crois pas au mot reconstruction, c'est plus une transition parce que nous sommes encore dans une position où on peut faire les séries. C'est pour ça qu'il faut faire attention.

De simplement faire des changements pour dire que j'ai fait des transactions, je ne me mettrai pas dans cette position. Je ne crois pas qu'on puisse s'embarquer dans une situation où ça peut prendre 5 ans et c'est dans ce sens-là qu'il faut faire attention.

SP- Merci beaucoup André et Bonne chance !