LAVAL – L’aréna est pratiquement vide, mais on s’entend à peine penser. À proximité du vestiaire du Crunch de Syracuse, des riffs pesants font vibrer le petit haut-parleur déposé sur le meuble portatif où le préposé à l’équipement s’affaire à aiguiser les patins des espoirs du Lightning de Tampa Bay.

 

« On dirait du Led Zeppelin, hein! », crie le petit barbu, pas peu fier de l’intérêt généré par ses goûts musicaux.

 

Quelques mètres plus loin, de l’autre côté d’une grande porte de garage laissée ouverte, une quinzaine de joueurs s’échangent un ballon de soccer en riant et en gueulant. S’ils sont complètement indifférents au vacarme ambiant, leur entraîneur n’a pas cette patience. Dès que Benoît Groulx émerge d’une pièce adjacente, un simple geste de la main lui suffit pour faire comprendre au DJ du jour qu’il exige le silence.

 

« Moi là, tu pourrais me parler de dix groupes de musique, je ne saurais même pas c’est quoi. J’ai déjà entendu parler de ça, Led Zeppelin, mais ils chantent quoi? Aucune idée. Ce que je sais, c’est que ça ne m’intéresse pas! », s’emporte le pilote québécois en riant, personnifiant à merveille le rôle de sympathique grognon qu’on lui connaît.

Groulx ignore donc que la performance qu’il vient d’interrompre n’est pas celle du légendaire quatuor britannique, mais plutôt celle de Greta Van Fleet, un groupe américain dont l’âge combiné des membres dépasse à peine celui de Robert Plant ou Jimmy Page. Il n’est pas non plus en mesure de comprendre qu’un intéressant parallèle unit ses joueurs à la musique qu’ils écoutaient avant qu’il vienne mettre fin au party.

 

À l’image de Greta Van Fleet, le Crunch est jeune, mais il sonne comme du vieux.

 

Groulx dirige cette année la formation la plus verte de la Ligue américaine de hockey. Le Crunch affiche une moyenne d’âge à peine supérieure à 23 ans. Neuf de ses joueurs ont donné depuis l’automne leurs premiers coups de patin chez les pros. Considérant cette information, sa fiche de 14-10-3 et sa troisième place au classement de la division Nord doivent être vue comme une heureuse anomalie.

 

Le parcours personnel de Groulx illustre bien à quel point il est difficile d’obtenir des résultats positifs avec une équipe sans expérience dans la LAH. À sa première année derrière le banc des Americans de Rochester, en 2008-09, son équipe avait compilé une fiche de 29-43-8 avec une moyenne d’âge inférieure à 23 ans. L’année suivante, l’ajout de vétérans avait fait grimper cette moyenne à près de 25 ans et s’était reflété au classement avec un dossier de 44-33-3.

 

Cette réalité a suivi Groulx à Syracuse la saison dernière. Avec une moyenne d’âge s’approchant de 24 ans, le Crunch a présenté une fiche de 38-24-14 sous les ordres de son nouvel entraîneur. Mais cette année, cette logique a pris le champ. S’il maintient son rythme actuel, le Crunch, malgré toute son inexpérience, arrivera au bout de son calendrier avec une fiche de 39-28-9.

 

Groulx mentionne sans hésiter l’arrivée stabilisatrice de Louis Domingue devant le filet pour expliquer le changement de fortune de sa troupe, qui vient de traverser une séquence de dix victoires consécutives après un début de saison plus ardu. « Je pense que la tenue de nos gardiens expliquait un peu notre position au classement et explique un peu notre remontée aussi », dit-il.

 

Mais il reconnaît également que ses recrues n’étaient pas mûres pour la brutalité de la Ligue américaine. « Nos jeunes, après un mois et demi, étaient beaucoup plus prêts à tourner le coin. Je pense qu’ils ont appris à la dure en début de saison. »

 

Un mur

 

Groulx lance à la blague qu’il a beaucoup aimé l’équipe de vétérans dont il a hérité à son retour dans le hockey professionnel la saison dernière. « Tout ce que je disais, j’avais juste besoin de le répéter une fois! », s’exclame-t-il.

 

« Cette année, on a une équipe plus jeune. C’est juste normal que les gars aient besoin de plus de temps pour accomplir certaines choses. Mais au quotidien, je peux dire qu’on ressemble de plus en plus à une équipe structurée. Ça c’est important et je pense que nos joueurs le comprennent de mieux en mieux. »

 

Pourquoi est-ce si difficile de gagner avec une équipe jeune dans la Ligue américaine?

 

« Je crois que les joueurs qui sortent du junior pensent que c’est la même chose que de passer du midget au junior majeur, que ça va juste être la continuation normale de leur parcours, avance Groulx. Finalement, ils réalisent que oups! Ça va plus vite, les joueurs sont meilleurs et quand ils vont dans les coins, c’est un mur qu’ils frappent, un mur sous la forme d’un gars de 28 ans qui est là depuis six ans et qui en a vu d’autres. Avant qu’ils réalisent tout ça, ils se réveillent avec 25 ou 26 matchs de joués et seulement sept ou huit points à leur fiche. Pour un joueur habitué à produire, ça joue sur le mental. Il y en a qui vont avoir besoin de deux ou trois mois pour s’y habituer, d’autres vont avoir besoin d’un an. Je crois que le saut du junior à la Ligue américaine et plus difficile que celui entre la Ligue américaine et la Ligue nationale. »

 

Anthony Cirelli, qui est actuellement le meilleur marqueur de l’équipe, semble être le seul à avoir échappé à cette guigne. Mathieu Joseph a débuté sa saison avec un seul point à ses neuf premiers matchs. Alexander Volkov a été blanchi dans ses sept premières parties. Mitchell Stephens, après un départ intéressant, a été écarté de la feuille de pointage dans onze matchs consécutifs.

 

« Ils ont tous eu des débuts modestes et je crois que ça nous a aidés à avoir leur attention rapidement. Mais ils ont tous une qualité commune, c’est qu’ils veulent bien faire. Ils veulent ‘performer’, ils veulent progresser et je crois qu’aujourd’hui, ils comprennent très bien que le chemin de la Ligue nationale passe par Syracuse. Ils comprennent que c’est un processus et ils sont extrêmement motivés par le fait que Tampa Bay est l’une des meilleures équipes de la Ligue nationale. Nos joueurs sont motivés parce qu’ils voient que c’est possible pour eux. Quand tu regardes en haut, il  y en a une méchante gang qui sont passés par les mineures!  Pour eux, c’est un chemin logique. »

 

Deux organisations, deux mondes

 

Il est tentant de comparer les récentes décisions organisationnelles du Lightning à celles du Canadien.

 

L’été dernier, les premières acquisitions de Marc Bergevin à l’ouverture du marché des joueurs autonomes ont été celles des attaquants Peter Holland et Byron Froese et des défenseurs Matt Taormina et Joe Morrow. Les quatre joueurs étaient âgés entre 24 et 30 ans, avaient surtout de l’expérience dans la Ligue américaine et étaient considérés comme du renfort d’urgence pour un club-école qui avait raté les séries quatre fois lors des cinq années précédentes.

 

Pendant ce temps, le Crunch de Syracuse s’apprêtait à amorcer sa saison avec huit joueurs de 20 ans et deux autres de 21 ans. De ces dix joueurs, neuf avaient été repêchés par le Lightning.

 

D’ailleurs, au moment d’affronter le Rocket mercredi soir, le Crunch alignait onze choix au repêchage de l’équipe-mère. Ses hôtes, en comparaison, comptaient sept choix du Canadien en excluant Zachary Fucale, qui est présentement réduit au rôle de troisième gardien à Laval.

 

« Pour nous, dans la Ligue américaine, notre objectif numéro 1 est de développer nos joueurs et essayer de faire les séries pour leur donner du millage. C’est ce qu’on a fait l’année passée avec une équipe un peu plus vieille et cette année, notre objectif n’a pas changé. Je ne sais pas ce qui se fait ailleurs, mais il n’y a aucun doute dans mon esprit que notre objectif est que nos joueurs progressent, soient compétitifs et qu’on ait du succès. Mais en haut de la liste, c’est sûr qu’on priorise le développement de nos jeunes. »

 

Le discours de Groulx ne diffère pas de celui de n’importe lequel de ses compères. Sa chance, c’est de travailler avec une équipe qui sait comment s’y prendre pour atteindre ses objectifs. Neuf des dix premiers marqueurs du Lightning ont été repêchés et/ou développés par l’organisation. Ironiquement, l’intrus du lot est Mikhaïl Sergachev, acquis dans une transaction avec le Canadien en retour de Jonathan Drouin.

 

« Ça part d’en haut, réalise Groulx. Steve [Yzerman] et Julien [BriseBois] ont leur philosophie sur la façon de bâtir cette équipe. Quand tu regardes l’équipe en haut, tu vois les jeunes joueurs qu’on a, mais moi je pense aussi à ceux qui s’en viennent. On en a encore cinq, six ou sept autres qui vont être au Championnat du monde junior, que ça soit avec le Canada ou d’autres équipes. Ces joueurs-là, on a tous eu l’occasion de les côtoyer au camp de développement et je me dis que si je garde mon club l’année prochaine, j’en recevrai encore pas mal qui sont intéressants. Ce sont des bons joueurs et je sais qu’ils sont faits dans le même moule. Pour nous, les entraîneurs, c’est intéressant parce qu’on travaille avec des joueurs qui ont une chance de jouer dans la LNH. »

 

Ça, c’est une partie du discours que Sylvain Lefebvre ne peut malheureusement pas emprunter.