MONTRÉAL – Marc-Olivier Roy a eu une bonne discussion avec son entraîneur peu après son arrivée en Finlande. Pekka Virta, lui aussi nouvellement arrivé au club Saipa, l’a assuré qu’il ferait tout en son pouvoir pour faire progresser sa carrière. « Je veux te placer en KHL », s’est fait dire avec satisfaction l’attaquant québécois.

Pour un gars qui a fait la navette entre la Ligue américaine et l’ECHL depuis sa sortie des rangs juniors il y a plus de six ans, une telle promotion serait un bel accomplissement. Roy, qui a notamment joué dix matchs avec le Rocket de Laval en 2019, ne veut pas mettre la charrue devant les bœufs, mais il se permet de rêver.

Bâtir un avenir meilleur pour lui, sa conjointe et leur fille de 10 mois, c’est précisément la raison pour laquelle il est venu en Finlande. Mais la vérité, c’est qu’il n’y serait pas si une innommable tragédie n’était venue marquer sa première saison en Europe.

Oublier. C’est aussi ce que Roy espère arriver à faire en se posant à Lappeenranta, une petite ville qui caresse la frontière séparant son nouveau pays d’adoption de la Russie.

***

L’été dernier, Marc-Olivier Roy a reçu l’appel de Dusan Pasek. Le directeur général des Capitals de Bratislava avait été dirigé vers son profil par le défenseur montréalais Ryan Culkin. Il avait étudié sa candidature sur vidéo. « On veut que tu sois une pièce importante de notre équipe », lui avait-il finalement fait savoir.

Roy s’est donc envolé pour la Slovaquie. Les Capitals, qui évoluaient dans le championnat autrichien, comptaient sur une dizaine de joueurs étrangers et la forte présence de l’anglais dans leurs opérations quotidiennes avaient facilité l’adaptation du Québécois. Après 14 matchs, il était le meilleur marqueur de l’équipe avec 13 points. Il se réjouissait d’avoir enfin trouvé un peu de stabilité.  

Le malheur a frappé le 29 octobre. À la toute fin de la première période d’un match contre les Bulldogs de Dornbirn, Roy a vu son compagnon de trio Boris Sadecky s’agenouiller sans raison apparente sur la patinoire.

« Je m’en vais le voir avec mon autre ailier, on lui demande si ça va. On ne comprenait pas trop. Il nous dit qu’il ne se sent pas bien et tout d’un coup, il se met sur le côté et perd connaissance. Ses jambes tremblaient. Il revenait à nous, mais il ne parlait plus, ses yeux étaient vitreux. »

Un médecin est arrivé avec ses deux mains comme seul instrument. « L’ambulance était à l’autre bout de la glace et ça a pris un peu de temps avant qu’elle arrive. On n’avait accès à rien pour l’aider, on avait juste la civière. Ça fait qu’on était juste là à regarder Boris et à se demander ce qui se passait. Est-ce qu’il avait fait une commotion? Est-ce qu’il était correct? À moment donné, on a vu qu’il ne respirait plus, on s’est mis à crier. Il fallait faire de quoi. »

Le jeune homme de 24 ans a finalement été transporté sous les gradins où des manœuvres de réanimation ont été entreprises.

« On s’est rapprochés et on a pu voir ce qui se passait. On était tous à genoux, on pleurait, on le regardait se faire réanimer. Ça a duré comme 30 minutes, c’était vraiment dur. On se disait que ça ne se pouvait pas. C’est dur à expliquer, c’est un moment marquant. On ne voulait pas s’imaginer le pire, mais on voyait le pire arriver. On se tenait par la main. Il y en a qui priaient, il y en a qui n’étaient pas capables de regarder. À la fin, il est parti en ambulance. On s’est fait dire qu’il avait un pouls. »

Quelques jours plus tard, les joueurs des Capitals ont appris que leur coéquipier avait été héliporté à Innsbruck pour y recevoir des soins liés à un problème cardiaque. Son décès a été annoncé le 3 novembre.

***

Encore sonné par l’incompréhensible départ de son ami, Roy a reçu un autre coup de massue quand, le 5 novembre, il a appris que Dusan Pasek avait été retrouvé mort. L’homme de 36 ans s’était lui-même enlevé la vie.

« Dusan faisait tout dans l’équipe, il était comme notre père. Il faisait tout, tout, tout. Je suis arrivé pour le camp d’entraînement, j’allais au resto avec lui, on se parlait tout le temps, il m’écrivait à tous les jours. C’était comme un ami pour nous autres. On a eu du COVID à un moment donné, il était venu coacher pendant deux semaines. Il pratiquait avec nous, il mettait son équipement des fois. Ce n’était pas juste un DG que tu ne vois pas pendant trois mois, il faisait partie de l’équipe. Ça a été dur. Et on se demande toujours pourquoi il a fait ça. Est-ce que c’est à cause de Boris? Quand quelqu’un se suicide, tu ne sais jamais ce qui s’est passé dans sa tête... »

Le drame a paralysé toute l’organisation des Capitals.

« À ce moment-là, on ne pensait même plus au hockey, on ne pensait plus à rien. On n’avait plus de mots. On voulait juste être ensemble, essayer de vivre notre deuil ensemble. Moi, c’est un des premiers deuils que j’ai eu à vivre dans ma vie. J’ai quand même trouvé ça difficile. J’ai essayé de mettre ça de côté. C’est sûr qu’à chaque jour, je pense à eux. »

La direction des Capitals a finalement demandé et obtenu une suspension de ses activités pour le reste de la saison. Les joueurs ont été invités à se trouver une autre équipe ailleurs en Europe. Ceux qui le désiraient pouvaient aussi rester s’entraîner à Bratislava et continuer de toucher leur salaire. « Mais tous les gars veulent jouer au hockey, passer à autre chose », dit Roy.

Le nouvel exilé a été chanceux. Au lendemain de l’annonce, les offres ont afflué en provenance de la Slovaquie et de la République tchèque. Puis l’appel de la Finlande a mis fin à la réflexion. « C’était un no brainer qu’on allait prendre cette direction. C’était une belle opportunité dans le malheur qui nous arrivait, disons. »

Roy et sa famille ont conduit jusqu’à Vienne, où ils ont attendu deux jours avant de pouvoir prendre un vol qui acceptait leur chien. Ils sont arrivés en Finlande au beau milieu de la nuit samedi. Ils ont pris possession de leur nouvel appartement et de leur nouvelle voiture, ont fait quelques courses. Roy a pratiqué deux fois avec ses nouveaux coéquipiers et a joué son premier match mercredi. Tout au bout du manche de son bâton, « sur la mailloche », il avait inscrit le numéro 10 à la mémoire de Boris Sadecky.

« Je pense toujours à lui, c’est inévitable », soupire-t-il avant de noter un paradoxe.

« Ici, on dirait que j’oublie aussi. Nouvelle ville, nouvel environnement, nouvelle équipe. On dirait que j’ai pas le temps de penser à ça, donc ça m’aide beaucoup. C’est un peu ce que notre propriétaire à Bratislava voulait qu’on fasse. C’est un ancien médecin, un ancien psychologue. Il dit que c’est la meilleure façon d’oublier, de partir et laisser ça derrière toi, de passer à autre chose. C’est frais encore, mais on dirait que je vais être capable. »