Une blessure marquante
LHJMQ lundi, 13 oct. 2014. 10:51 dimanche, 24 nov. 2024. 17:32
« Garde cette rondelle, c’était son dernier but… »
De son endroit sur la patinoire, Éric Gauvin était l’une des rares personnes qui avait pu réaliser le drame qui venait de frapper subitement, il y a 20 ans jour pour jour, David-Alexandre Beauregard. Connaissant l’amour de son prometteur coéquipier pour marquer des buts – une passion qui n’allait pas s’estomper de sitôt – Gauvin s’était empressé d’aller récupérer le précieux objet pour le remettre au responsable de l’équipement du Laser de St-Hyacinthe, Raynald Beauregard.
Il avait procédé à ce geste empathique une fois que son coéquipier de 18 ans se retrouvait entre les mains du soigneur et que l’état d’urgence s’installait peu à peu à l’aréna Louis-Philippe-Gaucher au sein de l’équipe médicale.
Le 16 octobre 1994, la vie de ce jeune hockeyeur rempli d’espoir venait de basculer en l’espace d’une fraction de seconde. S’étant détaché de la couverture adverse, le numéro 16 du Laser filait à vive allure vers le filet adverse des Bisons de Granby quand le talentueux Xavier Delisle, qui n’était pas reconnu pour être un joueur salaud, a tenté de soulever son bâton pour l’empêcher d’ajouter un but à sa fiche.
*Hockey 360 a diffusé cette semaine un reportage en deux parties sur cette histoire. Première partie | Deuxième partie
Immédiatement, Beauregard a senti le bâton se faufiler sous sa visière pour l’atteindre avec autorité à l’œil gauche. Au lieu de s’effondrer sur la patinoire, il a plutôt fermé son œil et complété sa manœuvre pour déjouer le gardien avant de s’écrouler à genoux dans le coin de la patinoire.
Sans le savoir, il venait de prouver pour la première fois qu’il pourrait encore déployer ses réflexes aiguisés de marqueur avec un seul œil. Rien ne laissait alors présager qu’il allait inscrire plus de 500 buts au niveau professionnel aux quatre coins de la planète.
« Ça s’est passé tellement vite. Quand le coup est survenu, mon œil a fermé et je voulais seulement compter. Mais pour être franc, c’est la journée suivante à l’hôpital que j’ai su que j’avais compté le but. Ça démontre à quel point c’était la dernière chose que j’avais en tête », a confié Beauregard, qui a accepté de revenir sur cette épreuve de taille dans sa vie dans le cadre d’une entrevue à RDS.
Aussi incroyable que ça puisse paraître, un an plus tôt, Beauregard avait frôlé la même catastrophe alors que sa cornée avait été égratignée à trois endroits par un autre coup de bâton sous sa visière.
« Ce fut comme un cauchemar rapide, mais au ralenti en même temps. Dès que j’ai levé la paupière, je ne voyais plus et je savais que c’était beaucoup plus grave cette fois », a-t-il poursuivi en faisant référence à cet autre épisode malchanceux qui avait failli lui coûter un œil un an plus tôt.
Dans son rôle de président et directeur général, Michel Gaudette assistait à la partie et se souvient des deux réactions opposées.
« C’était tellement fort comme dichotomie entre la réaction de la foule qui célébrait son but pendant que nous étions tous frigorifiés parce qu’il était blessé dans le coin », a exprimé Gaudette qui a même cru à un certain moment que le geste était volontaire considérant l’immense rivalité avec la famille Morissette qui détenait les Bisons.
« J’étais furieux parce que je percevais cela comme un geste dangereux et je n’acceptais pas qu’on ait blessé mon joueur. Toutes les émotions me traversaient le corps et je voulais aller voir Georges Morissette. Heureusement, André Dupont m’a attrapé pour me calmer parce que j’aurais pu faire des choses regrettables. Chaque fois que le vois, je pense à ça et je le remercie », ajoute Gaudette, en précisant qu’il n’a jamais blâmé Delisle après avoir repris ses esprits.
Sollicité d’urgence par les joueurs entourant Beauregard, le soigneur François Renaud (photo) est arrivé en l’espace de quelques secondes sans se douter de la scène effrayante qui l’attendait.
« Frank, mon œil est crevé, c’est fini… », lui a lancé Beauregard en croyant que sa carrière venait de se conclure.
« Voyons Dave, calme-toi, le docteur est ici et on va aller regarder ça dans la chambre », a répondu Renaud.
Avant de l’escorter hors de la patinoire par une porte présente dans ce coin, l’arbitre Réjean Levasseur tenait à voir la gravité de la blessure pour imposer la punition appropriée.
Renaud avait bien averti Levasseur de la gravité de la situation, mais ce dernier a insisté.
« Ah tabarnac… », a lancé l’arbitre comme se souvient Renaud en décrivant que les paupières repliaient vers l’intérieur puisque le globe oculaire avait été transpercé.
La scène s’est ensuite transportée dans le vestiaire de l’équipe pour poursuivre les interventions.
« Le médecin et moi, nous nous sommes regardés sans parler et nous avons tout de suite compris ce qui se passait. Le médecin a rassuré David-Alexandre et il a quitté en ambulance en direction de l’hôpital », s’est remémoré Renaud qui venait récemment d’établir un protocole d’urgence.
À la demande du médecin, Raynald Beauregard s’était joint à l’intervention pour les assister et il n’a jamais pu chasser un souvenir troublant parmi tous ceux heureux qu’il a accumulés au fil des ans.
« J’ai ramassé son chandail par terre et c’était comme un jaune d’œuf qui avait coulé sur le tissu. Ça fait 20 ans, mais cette image m’est restée en tête. Le médecin m’avait dit de le laver tout de suite pour ne pas que les autres voient cela », a raconté émotivement le responsable de l’équipement qui traitait ses joueurs aux petits soins.
Apprendre le diagnostic par fax!
La situation avait été si bien gérée par les différents intervenants que le jeune entraîneur Richard Martel (photo), qui en était seulement à sa deuxième saison dans la LHJMQ, n’avait pas encore appris la sévérité de la blessure.
« J’avais dit à mon soigneur d’aller le chercher dans le vestiaire parce que j’en avais besoin étant donné que le match était très serré », s’est souvenu Martel avec son style toujours aussi imagé.
« Il s’était approché pour me dire que c’était impossible et, en me fiant à son visage, je comprenais que c’était grave. À partir de ce moment, je me souviens que j’avais eu de la difficulté à me concentrer parce que c’était rare que mon soigneur parlait sur ce ton », a enchaîné celui qui dirige maintenant les Brûleurs de Loups de Grenoble, en France.
Ce sentiment était partagé par Raynald Beauregard (photo), qui a dû camoufler la vérité aux autres joueurs qui s’inquiétaient du sort de leur ami.
Sur le banc opposé, celui des Bisons, la nouvelle ne s’était pas répandue et encore moins jusqu’aux oreilles de Delisle qui avait écopé d’une inconduite de partie.
« Pour être honnête, je n’avais aucune idée de l’ampleur de la chose et je suis retourné au banc. J’ai remarqué que la scène devenait particulière avec la réaction des joueurs à leur banc qui étaient un peu en panique. Je savais que je l’avais touché au visage, mais sans plus », a dévoilé Delisle qui œuvre maintenant dans l'immobilier dans la région de Québec.
En fait, c’est de retour à sa pension que l’attaquant de 17 ans avait appris avec stupéfaction la nouvelle en regardant RDS.
« Je regardais Sports 30 et c’est là que j’ai appris que son œil avait été atteint et perdu… », a mentionné Delisle qui avait reçu des appels de ses parents et d’amis pour le réconforter à ce jeune âge.
Il y a deux décennies, l’ère des réseaux sociaux n’avait pas fait son arrivée et les moyens informatiques demeuraient limités. C’est donc dire que, même à RDS, la nouvelle avait été apprise à l’ancienne.
« Après la partie, on voulait effectuer une entrevue avec Richard Martel pour obtenir des nouvelles et il fallait traverser le vestiaire pour accéder au bureau de l’entraîneur. On a immédiatement constaté qu’un silence particulier régnait et Richard avait refusé la demande. Il était visiblement blême et ébranlé… », a détaillé Stéphane Leroux qui couvrait le match en tant que journaliste.
Il était accompagné de son caméraman Jean-François Forget qui avait ironiquement choisi ce métier pour la beauté poétique qui se dégage parfois dans les images sportives.
« De retour à nos bureaux, un fax est entré et c’était la direction du Laser qui annonçait que David avait perdu l’usage de son œil gauche. Je me souviens d’avoir ressenti de gros frissons et la nouvelle s’est propagée rapidement », a décrit Leroux.
Tout nouveau dans le métier, Forget était le seul caméraman présent au match en ce dimanche après-midi et il avait capté les images si bien que la séquence de RDS avait fait le tour de l’Amérique, surtout dans le contexte du conflit de travail qui persistait dans la LNH.
« Je me souviens du moment où David a capté la passe. J’étais content parce que je l’aimais comme joueur et je me disais qu’il allait probablement marquer en voyant la séquence se dérouler. Et tout d’un coup, j’ai vu la palette monter pour l’atteindre », a évoqué Forget qui a continué de filmer le marqueur comme il se doit.
« Je croyais qu’il avait perdu des dents ou qu’il était simplement coupé, mais il s’est écroulé dans le coin. Il s’est relevé rapidement en se tenant l’œil et on a tout de suite senti l’urgence. Mon souvenir, c’est ce moment d’urgence… », a ajouté Forget à propos de la séquence la plus désolante qu’il a captée en 20 ans de carrière.
Cette terrible malchance est venue s’abattre sur Beauregard alors qu’il connaissait un début de saison fulgurant. Le Québécois avait été repêché en 11e ronde par les Sharks de San Jose durant l'été et il avait impressionné au camp des recrues de l’organisation.
« Il avait été repêché et toute sa vie a été chambardée en quelques secondes… », regrette encore Raynald Beauregard même 20 ans plus tard.
Avec de tels espoirs d’accéder à la LNH, la portée de l’incident a donc pris une tournure plus dramatique, mais ce n’était pas connaître l’immense courage de Beauregard qui a rabroué tous les sceptiques.
*Vendredi, une 2e partie sera publiée à propos de son audacieux retour au jeu et de sa carrière impressionnante avec plus de 500 buts au niveau professionnel.
*Projet réalisé en collaboration avec Alexandre Tourigny.