SHAWINIGAN – Les Predators de Nashville détenaient trois choix de deuxième ronde au repêchage de 2003.

Au 35e rang, ils ont sélectionné Konstantin Glazachev, un ailier gauche russe dont vous lisez probablement le nom pour la première fois de votre vie. Au 37e rang, ils ont jeté leur dévolu sur le défenseur Kevin Klein, qui évolue présentement en Suisse après avoir disputé 700 matchs dans la Ligue nationale.

Klein, qui a passé sept saisons à Nashville et quatre autres avec les Rangers de New York, a connu une carrière plus qu’honorable dans la LNH, mais il n’a pas été le meilleur défenseur repêché en deuxième ronde par les Preds cette année-là. Au 49e rang, après que le Canadien eut choisi Cory Urquhart et que des arrières comme Tim Ramholt et Matt Smaby eurent trouvé preneurs, David Poile a repris le micro et a frappé un coup de circuit en prononçant le nom de Shea Weber.

« On l’a pris en deuxième ronde parce qu’on avait beaucoup de picks cette année-là, se souvient Luc Gauthier, qui faisait partie de l’équipe de recrutement amateur des Predators à cette époque. Est-ce qu’on a du mérite? Oui. Mais si on l’avait aimé tant que ça, pourquoi ne l’a-t-on pas pris plus tôt? »

Shea WeberSelon les souvenirs de Gauthier, Weber était « un septième défenseur qui jouait un match sur deux » pour les Rockets de Kelowna à l’âge de 17 ans.

« Un de nos recruteurs régionaux avait vu son potentiel, on s’était mis à le suivre un peu plus. Mais si tu me demandes si je pensais qu’il allait devenir le joueur qu’il est devenu dans la LNH, je dis non. Je le voyais comme un bon cinquième défenseur, un dur de dur avec une bonne relance. Mais offensivement, jamais je n’aurais cru qu’il produirait comme il a produit dans la Ligue nationale. Jamais. »

Le point que Gauthier essaie de défendre est le suivant : son métier, souvent critiqué par des gérants d’estrade qui ont le bénéfice de plusieurs années de recul, n’est pas aussi facile qu’il en a l’air. C’est un point sur lequel il a souvent insisté pendant les deux matchs pour lesquels il a accepté la compagnie d’un représentant de RDS au cours dernières semaines.

« Le scouting, c’est tellement une science inexacte, plaide celui qui parcourt aujourd’hui l’est du Canada pour le compte des Penguins de Pittsburgh. Prends un gars qui se fait casser le bras. On va lui faire passer une radiographie, la fracture va être détectée et une période de guérison va être établie. Mais dans le recrutement, je ne peux pas dire qu’un gars va améliorer son patin de 200 % entre l’âge de 17 ans et 22 ans. Je ne possède aucune donnée qui me permet d’avoir cette certitude. »

Le métier de recruteur, précise Gauthier, ne consiste pas à identifier le meilleur joueur au moment de l’évaluation, mais à projeter la courbe de progression d’adolescents pour les cinq années suivantes.

« C’est l’approche que je dois avoir quand j’analyse un joueur. On doit deviner comment se développera un jeune si on lui procure tel environnement, tel outil, tel encadrement... Mais à moins que tu en aies entendu parler, je n’ai jamais vu une université qui donnait le cours pour devenir recruteur. Ça marche avec l’expérience, les essais et les erreurs. Mais les erreurs, il faut que tu les minimises le plus possible. C’est impossible d’être parfait. Il y a trop d’éléments que tu ne contrôles pas, que tu ne peux pas gérer. »

Les impondérables

Gauthier travaille pour les Penguins, mais habite à Sherbrooke. Les plaintes des partisans du Canadien au sujet des ratés du département de recrutement de l’équipe se rendent donc régulièrement à ses oreilles. Solidarité professionnelle oblige, il se fait un plaisir de défendre ses confrères qui, selon lui, ne méritent pas la mauvaise presse dont ils sont victimes.

« Mes propres amis me font le coup et j’aime les agacer en leur disant que c’est facile de chialer quand on connaît déjà le résultat final. On peut dire ce qu’on veut sur [Alex] Galchenyuk aujourd’hui, mais l’avez-vous vu jouer à 17 ans? Parce que je suis persuadé que ceux qui l’ont vu auraient pris la même décision. »

Du haut de la passerelle de presse du Centre Gervais Auto de Shawinigan, ce soir-là, Gauthier pointe en direction d’un jeune attaquant du Drakkar de Baie-Comeau qui est considéré comme un espoir pour le prochain repêchage de la LNH.

« Observe-le attentivement et essaie de t’imaginer de quoi il aura l’air dans cinq ans, dit-il pour bien faire comprendre son point de vue. Moi, j’ai jusqu’au mois de juin pour décider s’il va jouer dans la Ligue nationale. »

Et même si un recruteur vise dans le mille dans tous les aspects visibles qu’il doit évaluer, la bataille n’est pas gagnée. Même pour les nez plus fins, des impondérables d’une nature parfaitement imprévisible peuvent faire dérailler l’évaluation la plus précise. 

« Ça ne m’est jamais arrivé, mais je te donne un exemple, explique Gauthier. À 17 ans, j’ai devant moi tout un joueur de hockey. Nomme-moi les qualités que tu recherches, il les a. Il est gros, il est habile, il patine, son éthique de travail est incroyable. Mais à 20 ans, il tombe en amour. Le hockey, ce n’est simplement plus sa priorité. Rien ne me permettait de deviner ça! Et là, tu vas venir me dire que je suis un mauvais scout? Que mon équipe a un mauvais département de recrutement? »

Une question de philosophie

Pour chaque échec bien documenté, un fiasco a été évité. Il est facile de blâmer une équipe pour avoir sélectionné un joueur qui ne s’est pas épanoui, mais Gauthier rappelle que les recruteurs qui mettent leur pied à terre pour qu’on raie un nom d’une liste ne reçoivent jamais les fleurs qu’ils mériteraient.

« Il peut y avoir des gars qui sont généralement bien cotés mais que moi, je n’aime pas. Disons que je pousse très fort pour qu’on ne le repêche pas et que cinq ou six ans plus tard, le gars ne joue plus au hockey. Personne ne le sait, mais j’ai évité à l’organisation de faire une erreur. »

Les raisons qui peuvent inciter une équipe à lever le nez sur un joueur talentueux sont nombreuses. Parfois, une organisation passera volontairement son tour sur un joueur voué à un bel avenir simplement parce qu’il ne cadre pas dans sa philosophie.

« Si on ne repêche pas un kid, ce n’est pas nécessairement parce qu’on ne croit pas qu’il va jouer dans la Ligue nationale, explique Gauthier. Mais nous autres, à Pittsburgh, on s’est assis ensemble et on a mis sur papier les critères qu’on recherchait. On a ciblé ce que ça prend, dans le fond, pour être un Penguin. Tout le monde y croit et moi, c’est là-dessus que je base mes recherches quand j’entre dans un aréna. C’est ce qui fait qu’un joueur qui est deuxième sur ma liste peut aussi bien être 42e sur celle d’un collègue. »

Qui a raison, qui a tort? La vie d’un recruteur est remplie de ces questions auxquelles il n’existe aucune réponse immédiate.

« Tu sais, on n’est pas différents de vous, les journalistes, dit Gauthier. Après quelques années, on regarde qui les Rangers de New York ont repêché, comment leurs choix se comparent aux nôtres. Pourquoi un joueur qui ne nous intéressait pas s’est bien développé chez le voisin? C’est une remise en question sans fin. »