L'apprentissage accéléré de Thomas Chabot
LNH vendredi, 12 juin 2015. 08:00 samedi, 23 nov. 2024. 00:10MONTRÉAL – Ryan Jankowski avait beau avoir passé une partie de l’hiver à observer Thomas Chabot, il ne savait pas trop quoi penser du prometteur défenseur des Sea Dogs de Saint John quand est venu le temps de fermer les livres sur la saison 2013-2014.
« Je n’arrivais pas à me faire une idée précise à son sujet. Pour moi, il n’était qu’un jeune de 16 ans au sein d’une très mauvaise équipe », se rappelait récemment le dépisteur en chef du programme d’excellence de Hockey Canada.
Deux ans après l’extinction de la petite dynastie dirigée par Gerard Gallant, une ruée vers l’or qui avait rapporté deux coupes du Président, les Sea Dogs n’allaient nulle part. Avec à leur bord une dizaine de joueurs à court de leur majorité en début de saison, ils n’ont signé que 19 victoires et terminé l’année à l’avant-dernier rang du classement général de la LHJMQ. Et Chabot, comme plusieurs de ses coéquipiers, a appris sur le tas.
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La recrue issue des Commandeurs de Lévis a terminé sa première campagne au niveau junior avec un frigorifique différentiel de moins-29. Ses patrons étaient toutefois prêts à vivre avec les erreurs de leur choix de deuxième ronde, à condition que celui-ci démontre une volonté d’en tirer les leçons essentielles à son développement. Et à travers les hauts et les bas d’une longue saison d’apprentissage, c’est ce qu’ils ont vu.
Mais une intervention a fini par être nécessaire. En février dernier, le collègue Mikael Filion documentait le retour houleux de Chabot à Saint John. Au-dessus de ses affaires, le Beauceron a été laissé dans les gradins par l’entraîneur de l’époque, Ross Yates, pour le match inaugural des Sea Dogs devant leurs partisans.
« Je crois que la plupart des joueurs de 17 ans qui reviennent après avoir eu du succès à leur saison recrue s’attendent à ce que la suite soit facile. On devait lui faire comprendre que ça ne le serait pas », relatait le directeur général de la formation des Maritimes, Darrell Young, à son arrivée à Sherbrooke la semaine dernière pour le repêchage de la LHJMQ.
L’épisode a offert aux Sea Dogs l’occasion de constater ce qu’ils avaient déjà pu remarquer l’année précédente : Chabot apprend vite. À son retour dans l’alignement, l’arrière de 6 pieds 2 pouces a amassé un point dans cinq matchs de suite et la possibilité de le clouer au banc n’a plus jamais été soulevée.
« Il a connu un si bon début de saison que tous les yeux se sont retrouvés sur lui. Son nom était de retour sur le radar », résume Jankowski, qui n’a plus perdu la trace du défenseur anonyme qui n’avait su l’impressionner un an plus tôt. Chabot a terminé l’année avec 12 buts, une production qui l’a placé à égalité au 10e rang parmi les défenseurs de la Ligue, et l’amélioration de son jeu défensif, vue comme sa grande faiblesse, s’est traduite pour un différentiel de plus-6.
Quand les jeunes Sea Dogs, après une saison au-delà des attentes, sont tombés en vacances après avoir été éliminés par le Drakkar de Baie-Comeau au premier tour des séries éliminatoires, Chabot a reçu un coup de fil de Jankowski. Il voulait l’inviter à représenter son pays au Championnat du monde des moins de 18 ans.
« Son équipe a peut-être connu une baisse de régime en deuxième moitié de saison, mais il n’a personnellement jamais cessé de s’améliorer, a été en mesure de distinguer l’évaluateur de talent de la sélection nationale, qui compare le parcours de Chabot à celui de Travis Sanheim, le choix de première ronde des Flyers de Philadelphie l’été dernier. La progression était évidente. À la fin de l’année, il était meilleur dans chaque facette de son jeu. »
« Avec Paul Boutilier (le directeur du développement des joueurs des Sea Dogs, N.D.L.R.), on comparait des vidéos de mes deux saisons et quand je regarde ça, je trouve que je me suis beaucoup amélioré dans ma zone défensive, estime Chabot. Je suis aujourd’hui bien meilleur que je l’étais à 16 ans. Il y a encore plein de choses à peaufiner dans mon jeu, mais je travaille fort là-dessus. »
« On ne s’attend pas à ce qu’un joueur de 17 ans sache tout ce qu’il y a à savoir, mais on s’attend à ce qu’il se développe en suivant une certaine courbe d’apprentissage et c’est ce qu’il nous a montré », ajoute le directeur de la Centrale de recrutement de la LNH, Dan Marr.
Motivation à l’interne
Chabot pourrait être le premier Québécois sélectionné au repêchage de la LNH qui se tiendra les 26 et 27 juin à Sunrise, en Floride. Le dernier relevé de la Centrale le place au 16e échelon chez les patineurs nord-américains.
C’est bien, mais Chabot n’est même pas l’espoir le mieux coté au sein de sa propre équipe. Tout au long de la dernière année, il a pu se comparer à son coéquipier Jakub Zboril, un Tchèque arrivé au Nouveau-Brunswick après avoir été le cinquième choix du repêchage européen de la Ligue canadienne de hockey. Marr et son équipe le classent au 12e rang des joueurs évalués dans sa patrie adoptive.
Les deux défenseurs affichent des styles complètement différents. Chabot est vu comme un patineur fluide doté d’une foulée digne de l’élite et d’un fort penchant pour l’attaque qui peut transporter la rondelle d’une zone à l’autre sans effort apparent. Son jeu en zone défensive nécessite toutefois du polissage, ce qui n’est pas autant le cas de Zboril, un arrière plus complet et plus fiable qui affectionne particulièrement le jeu robuste.
« Je ne dirais pas qu’il est un joueur salaud, mais il faut garder la tête haute et rester alerte en tout temps quand on s’approche de son territoire », nuance Marr, pour qui Zboril représente une valeur sûre et Chabot un projet au potentiel plus élevé.
Zboril, dont le frère ainé Adam a porté les couleurs du Titan d’Acadie-Bathurst pendant la saison 2012-2013, laisse de côté son impassibilité qui est propre aux Européens de l’Est lorsqu’on le questionne sur sa propension à distribuer les coups d’épaules.
« En République tchèque, quand on était petits, mon frère et moi on prenait toujours un malin plaisir à frapper nos adversaires. Dans les gradins, les gens nous criaient : "Vous jouez comme des cochons!" », se met à raconter le natif de Brno en s’esclaffant.
À son arrivée au Canada, les critiques envers le style provocateur de Zboril lui sont parvenues de façon un peu plus directes. Sans perdre son sourire, il raconte dans un anglais encore approximatif une histoire issue d’un match présaison au cours duquel un adversaire, mécontent d’avoir été pris pour cible de deux mises en échec lors d’une même présence, l’a provoqué en duel.
« C’était la première fois de ma vie que je me battais sans mes gants, conclue-t-il fièrement. Je crois que je n’ai eu qu’à lancer un seul coup de poing. J’étais bien content! »
« L’adaptation a été un peu difficile pour lui avec les barrières linguistique et culturelle, mais dès qu’il s’est ajusté, la qualité de son jeu est montée en flèche, reconnaît Young. À partir du 1er novembre, il a connu une séquence de 13 points en 14 matchs. On s’attend à de grandes de choses de lui au cours des deux prochaines années. »
Occupant des casiers voisins dans le vestiaire des Sea Dogs, Zboril et Chabot se sont rapidement liés d’amitié et le Québécois a profité de l’arrivée d’un partenaire de qualité pour fixer ses buts pour l’année à venir. Le DG des Sea Dogs reconnaît que la présence de renfort transatlantique a fortement contribué à la prise en main de son quart-arrière.
« Jakub arrivait avec une certaine réputation et des attentes plus élevées en raison de son expérience. Au début de l’année, un de nos entraîneurs a dit à Thomas : "Tu veux savoir à quel genre de cheval tu t’attaques en voulant devenir un choix de première ronde? Tu en as maintenant un juste devant toi. À partir d’aujourd’hui, tu devras travailler plus fort que lui et jouer mieux que lui à chaque jour si tu veux atteindre ton but." Et Thomas a accepté le défi sur une base quotidienne, se mesurant constamment à Jakub pour voir s’il était capable de rétrécir l’écart. »
« C’était toujours amical, mais on voulait tous les deux connaître du succès », résume Chabot, qui dit avoir senti un intérêt particulier du Canadien, des Sénateurs et des Flames lors des récentes rencontres qu’il a effectuées avec une vingtaine d’équipes de la Ligue nationale.
Darrell Young aimerait voir ses deux poulains repêchés dans le top-20. Il sait qu’au moins une équipe de la LNH a placé le nom de Zboril parmi les quinze premiers de sa liste, mais il refuse d’établir un favori.
« C’est comme me demander lequel de mes trois fils est mon préféré! »
Une grande cuvée
Arrivé en poste au mois de mars 2014, Young occupe présentement une position fort enviable. Après avoir ajouté à son effectif trois choix de première ronde, dont l’exceptionnel Joseph Veleno, au plus récent repêchage de la LHJMQ, il pourrait voir une dizaine de ses protégés s’affilier à une équipe de la LNH avant la fin du mois.
En effet, dix joueurs des Sea Dogs ont été répertoriés par la Centrale de recrutement cette année, dont cinq dans les 70 premiers. Young, qui a occupé pendant 25 ans le poste de recruteur au niveau amateur pour quatre équipes de la LNH, dit n’avoir rien vu de tel depuis très longtemps.
Après Chabot et Zboril, les attaquants Nathan Noel et Adam Marsh (photo) risquent d’être les plus convoités. Noel, le troisième choix du repêchage midget en 2013, a été le meilleur pointeur des Sea Dogs la saison dernière et a représenté le Canada au plus récent Championnat mondial des moins de 18 ans.
« Je crois que les gens ne réalisent pas à quel point sa progression est exceptionnelle. Les attentes envers lui étaient très élevées, mais il a été à la hauteur de celles-ci, évalue Young. Avec Équipe Canada, il a commencé le tournoi sur un quatrième trio mais l’a fini sur le deuxième ou le troisième trio. Il est rapide, possède une bonne touche autour du but et c’est un gars qui apprend quelque chose de nouveau chaque jour. »
Marsh est un Américain originaire de la région de Chicago dont personne ne voulait avant que Young ne se laisse convaincre de lui donner une chance. Aujourd’hui, il ne se fait pas prier pour couvrir sa trouvaille d’éloges.
« Cette année, il était l’un des rares joueurs de la LHJMQ qui pouvaient être qualifiés de marqueurs naturels. Il dégaine avec une rapidité comme j’en ai rarement vue. La rondelle est sur son bâton et le temps de cligner des yeux, elle n’y est plus. Très peu de gars possèdent un lancer comme le sien. À l’intérieur des cercles, il est mortel. »
Quatre autres défenseurs des Sea Dogs sont répertoriés par la Centrale de recrutement : Samuel Dove-McFalls (70e), Bailey Webster (122e), Jack Van Boekel (180e) et Jason Bell (183e). À eux s’ajoutent les attaquants Mathieu Joseph (125e) et Spencer Smallman (170e).
« L’avenir est prometteur! », constate Young en riant.