La vie d'un auxiliaire dans la LNH : hot-dogs, moustaches et « thrash talk »
LNH jeudi, 5 avr. 2018. 09:00 jeudi, 5 avr. 2018. 12:01MONTRÉAL – Jamie McLennan a fait tellement de folies et a vécu tellement d’histoires inimaginables durant sa carrière de onze saisons comme gardien auxiliaire dans la Ligue nationale qu’il a décidé d’en écrire un livre.
Publié en 2012 avec la complicité du journaliste Ian Mendes, The Best Seat in the House est une compilation d’anecdotes trempées dans l’humour et l’autodérision, archives officielles d’une décennie vécue sur le banc des joueurs, à cheval entre l’anonymat et la célébrité.
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De ses débuts derrière Ron Hextall avec les Islanders de New York jusqu’à la saison qui a précédé sa retraite dans l’ombre de Miikka Kiprusoff avec les Flames de Calgary, McLennan soutire une grande fierté de sa contribution aux succès des six équipes qui lui ont confié le rôle souvent ingrat de « numéro 2 ». Son job n’était pas facile et il l’a toujours abordé avec sérieux... mais il n’a pas peur de dire qu’il en a aussi profité pour avoir du gros fun noir.
McLennan était drôle et il avait une grande gueule. Les capsules vidéo qu’il a tournées avec Roberto Luongo sont des pièces d’anthologie et sur Youtube, on peut le trouver en train de « picosser » ses adversaires, bien à l’abri des représailles.
Il était aussi gourmand. L’une de ses histoires favorites implique une saucisse, un pain et une cachette qui n’est pas restée secrète très longtemps.
« Je mangeais tout le temps, admet celui qui occupe aujourd’hui un rôle d’analyste à TSN. Je me suis déjà fait prendre en flagrant délit à Montréal, quand j’avais essayé de cacher un hot-dog dans ma mitaine. J’aimais bien me payer des petites gâteries de temps en temps. On finit par avoir faim, assis tout seul dans notre coin! »
D’autres histoires recueillies par RDS le confirment : être gardien substitut dans la LNH, c’est aussi de la bouffe gratuite, des rencontres insolites et des conversations pas toujours catholiques.
« Tout le monde le sait, les hot-dogs à Montréal sont dans une classe à part, renchérit Martin Biron. En troisième période, si les choses allaient bien, j’allais toujours voir un gars de notre staff et je lui demandais si je pouvais en commander pour la chambre après le match. Les hot-dogs arrivaient quand il restait peut-être deux minutes au match, j’en mangeais deux ou trois tout de suite avant que les gars arrivent. Des histoires de même, ça fait partie de la vie sur une équipe de hockey. »
« J’étais toujours assez nerveux quand le match commençait, je me demandais si j’allais devoir remplacer le partant à pied-levé, ce qui n’est jamais l’idéal, se souvient Ron Tugnutt. Mais dès que ça devenait clair que ma présence ne serait pas requise, je faisais signe au soigneur d’aller me chercher quelques hot-dogs et, pourquoi pas, un peu de popcorn! Il y avait toujours un kid dans le vestiaire qui était prêt à faire un détour vers les concessions pour 20$. Et à l’entracte, j’allais me cacher à l’infirmerie pour me les enfiler!
Tugnutt, il faut le dire, avait appris très tôt dans son parcours que les petites collations faisaient partie du quotidien du gardien auxiliaire.
« Je me rappelle d’un match avec les Nordiques. C’est Mario Gosselin, un vrai clown, qui me secondait ce soir-là. En troisième période, je patine vers le banc parce que l’arbitre signale une pénalité à retardement. Il m’ouvre la porte, je regarde le jeu debout à côté de lui et quand je me penche pour prendre une gorgée d’eau, je le vois piger dans une assiette de nachos. Il l’avait dissimulée sous son gant, à l’abri du regard du coach. Quand il a vu qu’il était démasqué, il a éclaté de rire. Je n’en revenais pas. »
Tugnutt, l’un des bons gardiens auxiliaires des années 1990, croit que de telles pratiques seraient mal interprétées aujourd’hui dans le petit monde plutôt conservateur du hockey.
« Il existe une carte de hockey d’Olaf Kolzig où on le voit, tout sourire sous son équipement, montrer un hot-dog sur lequel il a signé son nom avec de la moutarde. Comme je le dis souvent, on est peut-être plus vieux, mais c’est fou ce qu’on avait plus de plaisir! Les gars aujourd’hui sont tellement sérieux! »
Proximité avec l’amateur
Dans certains amphithéâtres, le gardien substitut est laissé à lui-même dans un coin isolé de l’aréna, faute de place sur le banc des joueurs. C’était le cas au vieux Nassau Coliseum, défunt domicile des Islanders de New York.
« À chacune de nos visites là-bas, le même partisan me criait : ‘Hey Marty, d’habitude on est durs avec les backups, mais toi, on t’aime bien parce que ton frère a joué ici. T’es correct’, se remémore Biron. J’ai beaucoup aimé les petits liens d’amitié qui se sont créés ici et là. »
Au Madison Square Garden, un détenteur de billet de saison dont le siège était juste à côté du banc des Rangers portait un maillot numéro 43 orné du nom de l’auxiliaire québécois. « Quand on comptait un but, je me retournais et je faisais semblant de lui donner un high five à travers la baie vitrée », rigole Biron.
Puis au Centre Bell, où le gardien inactif de l’équipe visiteuse doit s’asseoir complètement en face du banc de son équipe, dans le couloir qui mène à son vestiaire, Biron était traité comme un membre de la famille.
« Il y avait un policier et une policière que je revoyais année après année. À chaque fois que je revenais, la fille me parlait de son beau Sheldon Souray avec ses yeux grands ouverts. Une année, j’arrive là et le gars s’était rasé la moustache. Je lui avais demandé s’il avait perdu un pari! On riait, on avait du fun. »
Tugnutt, lui, a connu l’époque où les vieux édifices offraient un lien de proximité encore plus étroit avec le partisan.
« Je me souviens d’un match au vieux Maple Leaf Gardens, j’étais assis à côté d’un homme et de son jeune fils qui était âgé de 4 ou 5 ans. Le petit était pas mal gêné et pour le faire rire, j’avais étiré la main et j’avais pris une poignée de son popcorn. Il s’était presque mis à pleurer, son père avait dû le consoler, mais à la fin du match, on avait fait la paix! »
« Mais il n’y a rien qui peut battre le Forum à Montréal, allègue Tugnutt. Ma place sur le banc était juste devant Monsieur et Madame Molson et comme il n’y avait pas de baie vitrée, vous pouvez être certain que je gardais mon gant. Si une rondelle arrivait moindrement près, j’étais prêt à me sacrifier. J’étais alerte! »
Un peu de sérieux!
Sur le banc de son équipe, Biron pouvait être un vrai gai luron. « J’étais prêt pour mon match, mais sur le banc, je ne me gêne pas pour dire que je les regardais, les montages sur l’écran géant. Avec les soigneurs, les gars de l’équipement, on se faisait des concours du genre ‘Devinez la chanson’. Certains gars avaient beaucoup de jasette aussi, chacun avait ses habitudes. »
Mais tout n’était pas que divertissement. Biron avait aussi un côté plus sérieux et il croit qu’il ne serait peut-être pas devenu analyste à la télévision s’il n’avait pas été aussi attentif pendant toutes ces rencontres qu’il a observées à la hauteur de la patinoire.
« Dans ma tête, j’analysais la game. Tel défenseur est gaucher, va-t-il changer de côté pour avoir le tir sur réception à la mise en jeu? Est-ce que nos défenseurs sortent la rondelle de la zone en se servant de la bande ou par le centre de la glace? Notre coach changera-t-il notre approche sur l’échec-avant? Tout ça, ça me gardait dans le match. »
Une routine qui ne mérite peut-être pas un chapitre dans un livre, mais que Jamie McLennan avait lui aussi adoptée.
« Je parlais beaucoup sur le banc, c’était ma façon de garder mes coéquipiers dans le match. Si un de nos joueurs était couvert, je lui criais de lever la tête. S’il ne l’était pas je lui laissais savoir qu’il avait du temps. Et bien sûr, chaque fois que notre gardien venait au banc, je lui partageais mes observations. Même si je ne jouais pas, j’étais très impliqué. »
Tout ça, bien sûr, sans jamais oublier un petit mot pour l’adversaire. McLennan est attristé de constater que l’art du thrash talk semble s’être perdu chez ses contemporains. « Je ne ratais pas une occasion de rappeler à un rival qu’il avait l’air fou », se targue-t-il.
« Le hockey, c’est le fun, justifie Biron. Tu joues 82 matchs par année, il faut que tu aies du plaisir et moi, j’en avais. J’en ai mangé des hot-dogs, j’en ai mangé du popcorn. Oui monsieur, ça passait par là! Quand je voyais qu’il n’y avait aucune raison que j’aille dans le filet, pourquoi pas? »
*Premier texte : entre l'ombre et la lumière : la vie d'un gardien auxiliaire