SHAWINIGAN – Le caillou glissé au doigt de Luc Gauthier est tellement gros qu’on se dit qu’il ne peut l’avoir mis que pour attirer l’attention.   

« Es-tu malade! », répond-il gentiment lorsqu’on pointe en direction de sa main gauche, convaincu d’avoir sous les yeux l’une de ses trois bagues de la coupe Stanley. Gauthier tend alors le poing pour dévoiler les détails de son ornement, une collection de pierres argentées entourant un mot inscrit en grosses lettres rouges : SHERWOOD.

« J’ai cassé tellement de leurs bâtons que la compagnie m’a donné ça à la fin de ma carrière », explique-t-il dans un élan d’autodérision.

Ses vraies pierres précieuses, celles que les Penguins de Pittsburgh lui ont remises après chacune de leurs conquêtes depuis 2009, sont à la maison. En raison de leur taille disproportionnée, il ne les porte que très rarement. « Sais-tu combien elle vaut? », demande-t-il en exhibant une photo de son plus récent bijou.

S’il rêvait à une certaine époque de soulever les plus gros trophées avec des patins aux pieds, c’est sa vie de recruteur professionnel qui a mené Luc Gauthier autour du monde et qui lui a permis, grâce à sa capacité à détecter le talent qu’il admet lui-même n’avoir jamais eu, de poursuivre une carrière prolifique dans le monde du hockey.

Gauthier a été associé à partir d’un très jeune âge à la royauté tricolore. À l’âge de 17 ans, même s’il est repêché dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec, il opte pour le circuit collégial AAA dont le président est l’ancien défenseur du Canadien Serge Savard. L’année suivante, l’arrivée des Chevaliers de Longueuil comme équipe d’expansion au sein de la LHJMQ le convainc de revenir sur ses positions. Son premier entraîneur est Jacques Lemaire. Cette année-là, il partage notamment la ligne bleue avec Jean-Jacques Daigneault et Michel Therrien.

À la fin de chacune de ses trois années de hockey junior, Gauthier est invité au camp du Canadien. À 20 ans, alors qu’il s’apprête à entrer à l’université, il reçoit un appel de la Flanelle. Le bassin d’espoirs de l’organisation est à court de défenseurs. Il signe un contrat d’un an et fait ses valises pour Flint, au Michigan, pour sa première de neuf saisons passées dans le réseau de filiales du CH.

Il dispute 295 matchs avec le Canadien de Sherbrooke et 227 autres après le déménagement du club-école à Fredericton. En 1990-1991, il joue trois matchs dans la Ligue nationale. Il prend sa retraite de joueur en 1993, quelques mois avant la dernière parade sur la Sainte-Catherine.

Pendant les quatre années suivantes, Gauthier épaule Paulin Bordeleau derrière les bancs de la Ligue américaine. Puis en 1997, après une saison sans séries, le Canadien fait le ménage. L’adjoint du directeur général Réjean Houle fait savoir à Gauthier qu’il ne serait pas de retour dans ses fonctions.

« Je suis parti de Montréal et quand je suis arrivé chez moi à Sherbrooke, j’avais un message sur le répondeur, raconte Gauthier. Le même gars qui m’avait dans son bureau une heure plus tôt me disait de le rappeler, c’était urgent. Alors je le rappelle et il me dit : ‘Je viens de parler à David Poile et il se cherche du staff. Envoie-lui ton CV.’ »

Poile est à l’époque le directeur général des Predators de Nashville, une équipe d’expansion. Gauthier se rend à Toronto pour le rencontrer et quitte la Ville Reine avec un nouvel emploi. Il est maintenant recruteur.

Une période d’apprentissage

Lorsqu’il avait accroché ses patins pour devenir entraîneur, Gauthier avait eu besoin d’une période d’adaptation pour apprendre le métier. C’est une chose de connaître son rôle quand on a les deux patins dans l’enclave, c’en est une autre de pouvoir décortiquer dans le détail une séquence vidéo devant une vingtaine de joueurs. Cette marge, on ne la franchit pas simplement en mettant une cravate et en mâchant de la gomme.

« Avec le scouting, ça a été un peu la même chose, compare candidement Gauthier. Tu as 40 joueurs devant toi et tu dois les évaluer individuellement. Moi, je regardais les sorties de zone, les schémas tactiques en avantage numérique, les systèmes de jeu... Eille, c’était pas ça ma job! Ça m’a pris un bon quatre ou cinq mois avant de m’habituer. »

La saison 1997-1998 en est une grosse pour le hockey junior québécois. Vincent Lecavalier fait rêver les équipes moribondes de la LNH. C’est écrit dans le ciel qu’il sera le tout premier choix au prochain repêchage. Mais il n’y a pas que lui. Sept joueurs de la LHJMQ partiront avant la fin de la première ronde, une année mémorable dont Gauthier se souvient toutefois pour de toutes autres raisons.

« Je peux dire que la première année en a été une d’apprentissage, avoue-t-il humblement. Avant que je connaisse tout le système, que je comprenne comment ça fonctionne... c’était dur. »

Pendant les quatre premières années de leur existence, les Predators ne pigent pas une seule fois dans la réserve de talent québécoise. Mais ça ne veut pas dire que les observations de Gauthier ne sont pas prises en considération. En 2001, alors qu’il a la responsabilité d’épier les joueurs les plus intrigants figurant sur les listes des recruteurs régionaux – dans le jargon, on dit qu’il est le crossover guy – un défenseur des Cougars de Prince George lui tombe dans l’œil.

« Je l’avais vu jouer deux fois en autant de soirs, début janvier je crois, à Portland et Seattle. Notre gars de l’Ouest ne l’aimait pas trop, mais moi je trouvais que c’était tout un joueur de hockey. J’en ai parlé à mon boss, il m’a posé des questions, j’ai rendu mes rapports et on a commencé à le suivre de plus près. »

Quelques mois plus tard, Dan Hamhuis devient le choix de première ronde des Preds. Aucun joueur repêché cette année-là n’a joué plus de matchs dans la Ligue nationale.

« Encore aujourd’hui, je peux dire que j’en suis très fier parce que j’ai mis mon pied à terre », assume Gauthier.

Une « job » de vendeur

En 2004, Gauthier voit le lock-out poindre à l’horizon et s’inquiète pour son avenir. Il demande et obtient la permission de regarder ailleurs et trouve preneur dans l’organigramme de Pierre Lacroix. Le 26 juin, il passe la journée à la table du repêchage des Predators et en soirée, il soupe à celle de l’Avalanche du Colorado.

Deux ans plus tard, des problèmes de santé forcent Lacroix à céder son poste à François Giguère. La dynamique au sein de l’organisation change et Gauthier, après quatre ans à Denver, a le goût d’un changement d’air. L’un de ses premiers appels est à Ray Shero, un ancien collègue à Nashville.

« Je ne l’appelais pas pour quêter une job, simplement pour lui dire que s’il entendait parler de quelque chose, j’étais en recherche d’emploi. Il m’a dit qu’il allait me rappeler le lendemain. Je me disais qu’il allait peut-être me référer à un de ses chums en Caroline, mais il m’apprend plutôt que son gars basé dans les Maritimes s’en va et qu’il a besoin de le remplacer. J’ai accepté. La même journée, deux autres équipes m’ont contacté. Alain Vigneault avait pensé à moi pour combler un poste dans l’organisation des Canucks. Je lui ai dit que si on s’était parlé deux jours plus tôt, j’y aurais pensé, mais qu’il était trop tard. »

Chez les Penguins de Pittsburgh, Gauthier touche à de nouveaux aspects du métier de recruteur. Pendant trois ans, il est un dépisteur « hybride » qu’on assigne également à des matchs de calibre professionnel. Son rôle est de parcourir les arénas de la Ligue américaine et de la Ligue nationale pour garnir la banque d’information de ses patrons dans l’éventualité d’une transaction ou en vue de l’ouverture du marché des joueurs autonomes.

« Ça adonnait bien parce que André Savard était avec nous à l’époque et le recrutement amateur, c’était son petit joujou. Je faisais donc 60 % d’amateur et 40 % de pro. André, lui, faisait l’inverse. J’aimais bien ça. Je retournais dans la LAH, où j’avais passé 14 années de ma vie. C’était le fun. »

Depuis que Gauthier est leur vigile au Québec, les Penguins ont repêché cinq joueurs de la LHJMQ. Daniel Sprong, des Islanders de Charlottetown, a été leur tout premier choix en 2015. L’été dernier, le défenseur des Huskies de Rouyn-Noranda Zachary Lauzon a reçu le même honneur. Mais même si son équipe à la réputation de voir d’un œil favorable les produits du Québec, Gauthier affirme ne pas avoir senti plus d’ouverture envers les joueurs d’ici à Pittsburgh que dans les deux autres organisations qui l’ont employé.

« Nous autres, on est payés pour donner notre opinion. La décision finale, ce n’est pas nous qui la prenons. Au bout du compte, je peux bien aimer un gars, mais si je suis le seul dans mon organisation qui l’aime, il ne passera pas. Dans le fond, c’est une job de vendeur. Mais de dire qu’une organisation était plus ou moins ouverte aux Québécois, non. Je n’ai jamais senti qu’il fallait que je me batte plus qu’un autre. Le gars de l’Ontario vit la même chose que moi. Si personne n’aime son gars, il va devoir se battre pour... »

Luc Gauthier, lors de la conquête de la coupe Stanley par les Penguins en 2016.Une grande famille

Chez les Penguins, Luc Gauthier se considère traité comme un roi. Quatre fois par année, entre le tournoi des recrues et la fin de semaine du repêchage, il est convoqué sur la route pour participer aux grandes réunions de son département. À la mi-saison, la rencontre se fait en Floride, un voyage pour lequel sont invitées les conjointes de chaque employé.

Quand l’équipe accède aux séries éliminatoires, les recruteurs sont invités à la suivre dans ses moindres déplacements. C’est ainsi que Gauthier, qui n’a jamais vécu l’ivresse de la victoire ultime dans ses « jeunes » années, a eu la chance de soulever la coupe Stanley sur les lieux du triomphe.

« Comme joueur, ça doit être incroyable! », dit-il en se perdant momentanément dans ses pensées.

Lors des conquêtes de la coupe Stanley de 2009 et 2016, il a même pu profiter de sa propre journée estivale avec le trophée dans sa ville d’adoption, à Sherbrooke. Cette année, comme le calice argenté était en demande pour les célébrations du centenaire de la LNH, les Penguins ont compensé en invitant tout leur monde à un match à domicile au début de la saison. La famille de Luc Gauthier a pu participer à la fête « sur le bras » de l’équipe.

« Mon père était de bonne humeur! », s’exclame Gauthier en repensant aux images de son paternel avec la Coupe.

Sa femme Céline, quant à elle, a reçu le même pendentif qui a été remis aux femmes des joueurs.

« Sais-tu combien il vaut? », demande Gauthier, reconnaissant.

 

* À lire mercredi sur le RDS.ca : Le job de recruteur amateur n’est pas aussi facile qu’il en a l’air.