UNIONDALE, New York - Le volcan vrombissait depuis le 1er juillet dernier.

 

Pendant ces huit longs mois, le mélange hautement toxique et volatile de colère, de frustration, et d’un brin d’humiliation qui bouillonnait dans le cœur des partisans des Islanders s’est transformé en haine profonde. Il ne restait plus qu’à attendre l’éruption.

 

Comme prévu, elle a coïncidé avec le retour de l’enfant prodigue qui a sauvé une franchise qui n’allait nulle part lorsque l’ancien directeur général des Islanders a fait de Tavares le tout premier choix au repêchage de la cuvée 2009, mais qui lui a finalement tourné le dos l’été dernier en profitant de son autonomie complète pour signer le contrat de sa vie avec l’équipe de son enfance : les Maple Leafs de Toronto.

 

Il ne restait qu’à attendre la force de l’éruption.

 

Sur le coup de 17 h 30, lorsque les responsables de la sécurité ont lancé sur les radios de leurs employés : « Attention! Attention! On ouvre les portes », on a vite compris que l’éruption serait puissante. Très puissante.

 

De trou de c... à Puck You!

 

Au-dessus des dizaines, centaines et peut-être des quelques milliers de chandails arborant le numéro 91, le nom Tavares avait été remplacé ici par le mot « traître », là par le mot « menteur », là-bas par le mot « trou de... ». Je vous fais grâce des quolibets plus imagés encore. Du style « Puck You », mais en troquant la 16e lettre de l’alphabet par la sixième. Mettons!

 

Après être allés faire le plein de bières, histoire de bien attiser le volcan qui était sur le point d’exploser, les partisans sont vite allés se masser le long des baies vitrées en vue de la période d’échauffement en chantant en chœur une bienvenue toute particulière au héros d’hier. Ils n’étaient pas seulement, 20, 50, 100 massés dans un coin de la patinoire pour accueillir le « zéro » du jour. Que non! Ils étaient entassés sur 10 à 12 rangées de largeur tout autour de la patinoire. Et ça, c’était une demi-heure avant la période d’échauffement.

 

C’était presque beau à voir.

 

C’est là qu’on a eu droit à une première éruption. Dès que le gardien Garret Sparks a annoncé l’arrivée des joueurs des Leafs pour la période d’échauffement, les huées ont commencé. Lorsque Tavares est apparue, les fans de sont déchaînés.

 

Et ils n’ont jamais arrêté.

 

Pas simplement du début à la fin de l’échauffement. Ça non! Mais aussi du début à la fin du match. Chaque fois qu’il a posé les patins sur la glace, Tavares a été hué. Chaque fois qu’il s’approchait de la rondelle, Tavares était hué.

 

ContentId(3.1310231):LNH : les Islanders soulignent le retour de John Tavares
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Lorsque les Islanders ont profité de la première pause publicitaire en première période pour présenter l’hommage préparé afin de remercier Tavares pour les faveurs obtenues au cours des neuf saisons qu’il a disputées avec eux, les partisans se sont objectés. Vivement à part ça!

 

Ils se sont relevés d’un trait et ont « crinqué » le volume des huées qui étaient déjà pas mal assourdissantes pour faire compétition au vidéo dont on a vu défiler les images sans vraiment entendre la musique et la narration qui l’accompagnait. Il était ironique de voir les joueurs des Islanders, debout au banc, frappant sur la bande avec leurs bâtons en guise d’applaudissement pendant que leurs partisans fustigeaient le héros du vidéo.

 

Dès l’apparition des mots : « merci John » sur le petit écran surplombant la patinoire, le volcan s’est remis à cracher sa colère.

 

« We dont need you! »

 

Il y a eu des injures, c’est vrai. Il y a eu des insultes, c’est tout aussi vrai. On a également vu des tas de doigts pointés vers le ciel lorsque Tavares approchait des baies vitrées. Et non, ces doigts n’étaient pas des index. Encore moins des pouces...

 

Mais au-delà les grossièretés qui étaient bien sûr prévisibles, les fans des Islanders ont aussi fait preuve d’originalité.

 

Dès la deuxième présence de Tavares sur la patinoire, les fans se sont mis à scander, et à scander très fort : « We dont need you! »

 

Il faut dire qu’avec les performances que leur offrent les Islanders post-Tavares, ils avaient bien raison de chanter ce slogan à leur ancien leader qui, ironiquement, a fait faux bond aux Islanders pour se retrouver entre autres raisons, au sein d’une meilleure équipe et d’une meilleure organisation.

 

Dans la foulée de chacun des six buts des Islanders, les partisans se sont assurés de rappeler à Tavares qu’ils n’avaient plus besoin de lui sur leur île.

 

Après deux duels Leafs-Islanders, on peut dire que les partisans ont un peu raison, car New York avait blanchi Tavares et les Leafs 4-0, à Toronto, le 29 décembre dernier avant de les battre 6-1 jeudi soir.

 

Ce n’est pas rien!

 

Lorsque Anders Lee a donné les devants 2-1 aux Islanders en début de deuxième période, les partisans ont encore fait preuve d’originalité en lançant des « C’est lui notre capitaine » bien sentis.

 

Ils se sont surpassés en troisième période, alors que l’issue du match était clairement réglée en scandant à Tavares qu’il était l’heure d’aller au lit, l’heure de mettre son pyjama sans oublier les traditionnels et ma foi presque essentiels dans les circonstances : « Who’s your dady! »

 

Pourquoi le dodo et le pyjama?

 

Parce que lorsqu’il a tenté d’expliquer les motifs qui l’avaient incité à tourner le dos aux Islanders au profit des Leafs, Tavares avait expliqué qu’il réalisait enfin son rêve de troquer le pyjama aux couleurs des Leafs qu’il portait quand il était petit, pour le vrai de vrai chandail de l’équipe qu’il a chérie tout au long de son enfance. Les journaux avaient d’ailleurs publié une photo de Tavares, endormi dans son lit, avec le pyjama des Leafs reçus en cadeau sur le dos. Pas besoin de vous dire que les fans de New York n’allaient pas rater pareille occasion!

 

« J’ai toujours tenté d’expliquer le mieux possible tout ce que j’ai vécu dans le processus difficile de dire non aux Islanders pour aller jouer chez moi. Les gens me prêtent des intentions et ils ne savent pas ce que j’ai vécu et comment je l’ai vécu. Je ne peux rien y faire. Je m’attendais donc aux réactions de ce soir et j’ai composé du mieux que j’ai pu », a plaidé Tavares après le match.

 

De son côté, Mike Babcock s’est assuré de mettre une touche de positif à une soirée qui ne l’a pas été du tout. Autant pour son joueur étoile que pour son équipe.

 

« Tu dois être un joueur sensationnel et une personne plus sensationnelle encore aux yeux des partisans pour qu’ils te huent comme ils l’ont fait ce soir. De fait, je trouve que c’est un honneur de réserver pareil traitement à quelqu’un. On hue seulement les personnes qui sont importantes à nos yeux. Ces partisans sont bien indifférents à mon égard et à celui des autres joueurs. Mais quel honneur ils ont réservé à John ce soir », a lancé l’entraîneur-chef des Leafs.

 

« C’était fantastique dans le building ce soir. Il y avait de l’ambiance. De l’intensité. Les deux équipes ont très bien entrepris le match. Et la réaction des partisans n’a rien à voir dans le résultat. On affrontait ce soir une très bonne équipe qui a beaucoup mieux géré la rondelle que nous l’avons fait. Tu ne peux pas multiplier les revirements comme nous l’avons fait et croire que tu vas gagner. Il nous reste 19 matchs pour mieux maîtriser la rondelle. On a encore du temps. Mais en série, tu ne te remets pas de défaites comme ce soir », a averti Babcock.

 

Une rivalité est née

 

Bien que Mike Babcock ait tenté de minimiser l’impact de la foule sur les performances – ou l’absence de performance – de John Tavares et du reste de son équipe, il devra s’habituer. Car de la façon dont les fans des Islanders ont « célébré » le retour de John Tavares jeudi au Colisée Nassau, j’ai l’impression qu’ils se payeront pareille éruption de colère lors de la prochaine escale des Leafs à Uniondale le 1er avril prochain.

 

Et vous savez quoi? Ça se prolongera sans doute l’an prochain encore, dans deux, dans trois et dans cinq ans aussi, car nous venons d’assister à la naissance d’une intense rivalité.

 

Ce qui n’est pas une vilaine chose. Car ça met dans l’ambiance dans la place. Vraiment. Au-delà les huées directement attribuables au retour de John Tavares, les partisans des Islanders ont vraiment volé le « show » hier soir par leur manière d’encourager leur équipe et de célébrer les six buts jusqu’à la victoire.

 

L’ambiance qui régnait dans le petit et encore vétuste malgré les rénovations effectuées Colisée Nassau était comparable à celle de Nashville, de Chicago et de Montréal quand les choses vont bien pour le Canadien. C’était beau à voir et tout aussi beau à entendre.

 

Imaginez une seconde si les deux équipes devaient se croiser en finale d’association.

 

« Nos partisans sont vraiment emballés depuis notre retour ici. Je dirais que c’était encore plus fort lors de notre premier match disputé au Colisée. Mais ce soir, c’était vraiment malade en raison des huées et du traitement réservé à John », a convenu Anthony Beauvillier qui a nivelé les chances 1-1 en première période en marquant son 15e but de la saison.

 

Beauvillier s’attendait à ce genre de réaction des partisans. Mais il ne tient aucunement rigueur à Tavares pour la décision qu’il a prise. Il reconnaît même que son départ a obligé tous les joueurs de l’équipe de se responsabiliser.

 

« John était le cœur de l’équipe. Tout reposait sur lui. C’est donc normal que les amateurs aient réagi comme ils l’ont fait. Ils préparaient ce retour depuis longtemps. On en entendait parler depuis des semaines. C’était aussi notre pilier dans le vestiaire et

sur la glace. Le fait qu’il soit parti et l’arrivée de la nouvelle direction nous a permis de repartir en neuf. Tu ne remplaces pas un joueur comme John. Ça prend un effort d’équipe pour y arriver. Et c’est de cette façon qu’on a abordé la saison et que nous jouons », a souligné le Québécois dont les statistiques personnelles (22 points, dont 15 buts) sont en deçà des attentes.

 

« J’ai connu des hauts et des bas cette année. C’est vrai. Mais j’ai aussi connu des séquences au cours desquelles je jouais du bon hockey avec mes compagnons de trio, mais on n’arrivait pas à produire. J’essaie de ne pas trop m’en faire avec ça parce l’équipe va très bien et que toutes les façons de contribuer aux succès de l’équipe sont bonnes. On a un très bon coach (Barry Trotz) qui est un gars direct. Les messages sont clairs. C’est blanc ou c’est noir. Si tu lui donnes ce qu’il veut de toi, tu auras ton temps d’utilisation. Si tu ne lui donnes pas, tu vas le savoir. Et ce que j’aime, c’est qu’il est comme ça avec tout le monde. Jeunes, vétérans : il n’y a pas de passe-droit », a conclu Beauvillier.