MONTRÉAL – Zachary Fucale a parlé à son père quatre fois mercredi.

La première, c’était pour lui dire qu’il venait d’être rappelé par les Capitals de Washington. Une belle nouvelle, mais comme ce n’était pas la première fois que ça arrivait, personne ne s’est trop énervé avec ça. « Ok, tant mieux, profites-en mon homme », se souvient de lui avoir dit son père Jack.

Deux heures plus tard, le jeune Fucale rappelle et annonce qu’il obtiendra un premier départ dans la Ligue nationale vendredi soir à Columbus. « J’ai dit : "Arrête, arrête de me niaiser", poursuit le paternel. Mais je savais qu’il était sérieux. Il n’aurait pas fait de blague avec ça. On capotait! »

Les Fucale n'étaient pas au bout de leurs surprises. Arrive un troisième appel, celui-là teinté de doute et d’incrédulité. Le fiston avait reçu un texto lui disant qu’il serait finalement devant le filet jeudi à Detroit.  « C’était tellement surréaliste qu’il se demandait si le coach n’avait pas fait une erreur et envoyé son message au mauvais gardien. Je lui ai dit qu’il était mieux de vérifier au plus vite. Il ne pouvait pas laisser un doute. »

La confirmation est finalement venue une vingtaine de minutes plus tard et a provoqué un véritable branle-bas de combat dans la famille.

« On a d’abord pris pour acquis qu’on ne pourrait pas y aller », raconte à son tour Catherine Beaulieu, la mère de Zachary, qui était en voyage d’affaires à Toronto lorsqu’elle a appris la nouvelle. Rapidement, les deux parents se sont renseignés sur les conditions à respecter pour traverser la frontière, ont pris les moyens pour passer un test de dépistage rapide à la COVID-19 et ont cogité sur le moyen de transport à privilégier pour arriver à bon port.

« Mais on avait déjà pris notre décision dans notre tête. Quand il m’a appelé, je me suis mise à pleurer, on a pleuré ensemble. On a dit : "On ne peut pas ne pas y aller..." ».

ContentId(3.1397286):AC - Une soirée mémorable pour Zach Fucale
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Finalement, Catherine a pris un vol jusqu’à Detroit tandis que Jack s’est tapé la route en compagnie de Craig, Marie-Josée et Justin Monroe, des amis de longue date de la famille. J.C. Campagna, un ancien coéquipier à Fort Wayne dans la ECHL, a aussi fait le voyage avec sa femme Jade.

Karine Labrèche, la conjointe de Zach, venait à peine de rentrer à Montréal après un séjour de deux semaines à Hershey. Enceinte du premier enfant du couple, elle a pris la décision de rester à la maison et d’assister à distance au baptême de son amoureux.

« On a toujours été des hardcore followers. On n’était pas pour devenir soft pour le premier match dans la Ligue nationale! », justifie Jack.

Le match? Une fois la nervosité de départ apaisée, du gros fun noir pour le paternel. « Dans les trois dernières minutes, quand les Wings ont enlevé leur gardien et que l’intensité a augmenté, j’étais un peu moins bien. Mais ça paraissait que Zach était en contrôle. Il était dans sa zone. Quand le buzzer a sonné, les nerfs ont lâché. C’était trippant, trippant, trippant. »

Pour la mère, un genre de trou noir. « Ça a commencé... et c’était fini. Ça a été tellement vite, je ne pouvais même pas croire que c’était terminé. Ça a passé trop vite. »

Fucale a finalement réalisé 21 arrêts dans une victoire de 2-0. À 26 ans, il est devenu le premier gardien de l’histoire des Capitals, le 26e dans l’histoire, à réussir un blanchissage à son premier départ dans la LNH. Après la rencontre, un agent de sécurité a escorté les parents et leurs accompagnateurs dans une section de l’aréna où ils ont pu étreindre le héros de la soirée.

« C’était intense, décrit Jack Fucale. Il nous a raconté ce qu’il venait de vivre dans la chambre, il a vraiment partagé beaucoup. Et il avait un sourire hors norme. Il était vraiment heureux en-dedans de lui. Il était fier de son accomplissement. »

Un développement gâché par le Canadien

Il a été question du Canadien de Montréal au fil de la conversation, mais Jack Fucale n'a jamais prononcé ces mots. Il a plutôt parlé à répétition de « l’équipe qui a repêché mon fils ».

« Je ne suis plus capable. Je ne le dirai plus jamais », répond-il à sa femme, amusée devant tant d’obstination.

Zachary Fucale a été un choix de deuxième ronde du Canadien en 2013. Deux ans plus tard, il a obtenu 42 départs avec les IceCaps de St John’s, le club-école de la Ligue américaine. Il a affiché une moyenne de buts alloués de 3,13 et un taux d’efficacité de ,903.

L’année suivante, Charlie Lindgren est arrivé dans l’organisation et a été désigné comme titulaire des IceCaps. Le vétéran Yann Danis a été embauché pour le seconder. Fucale a passé la majeure partie de la saison avec le Beast de Brampton dans une ligue de calibre inférieur.

Il y a 3 ans, Fucale espérait jouer

« C’est comme s’ils lui avaient dit : "va-t’en pis sèche". Tu viens de lui enlever toute sa confiance. Comme parent, tu te dis : "What the hell? Qu’est-ce qui vient d’arriver?". On se posait des questions et c’était difficile pour nous de répondre à celles de notre fils, de savoir comment le supporter dans tout ça. On était débalancés nous aussi. Comment tu gardes l’espoir? Parce que comme adultes et parents, on ne comprenait pas. »

Pour Jack Fucale, il est clair que le Canadien a mal géré le développement de son fils.

« Si Zach avait été repêché par n’importe quelle autre équipe, ça fait longtemps qu’il aurait joué dans la Ligue nationale. J’en suis convaincu. Cette fameuse deuxième saison professionnelle, ça l’a achevé. Ça lui a pris trois ans à s’en remettre. Ça, c’est ce que moi j’ai vu. Des fois je le regardais goaler et je me disais : "Ce n’est pas le Zach que je connais". Même si lui nous disait des choses pour se convaincre, ça paraissait, je le voyais. »

« Je n’aime pas faire de comparaisons, intervient Catherine Beaulieu. Dire que ceux-là n’étaient pas fins ou pas compétents. Ce n’est pas comme ça dans notre famille. Moi je crois que tu vas travailler fort et que tu vas récolter ce que tu as semé. Je ne veux pas qu’il y ait d’animosité parce que tout ça, ça fait partie de son parcours. »

Une confiance retrouvée

Fucale a écoulé son contrat d’entrée sans se voir offrir de temps de jeu avec le grand club. Il a ensuite signé un contrat d’un an avec l’organisation des Golden Knights de Vegas, puis un contrat de la Ligue américaine avec le Crunch de Syracuse. Il a écoulé la majeure partie de ces deux saisons dans la ECHL.

Il a ensuite tenté sa chance en Allemagne et s’est trouvé un club en KHL. C’est quand ce plan a tombé à l’eau que les Capitals sont arrivés avec une offre inespérée.

« Quand ils ont parlé à Zach avant de le mettre sou contrat, ils lui ont dit : "Écoute, on regarde ce que t’as fait à la Coupe Spengler, on regarde ce que t’as fait dans le junior, on regarde ce que t’as fait dans la ECHL et on ne comprend pas. On ne comprend pas ce qui se passe dans ta carrière, mais on aimerait que tu viennes travailler avec nous. On aimerait ça te développer et voir ce qu’on peut faire avec toi. On sait qu’il y a quelque chose à faire avec toi" ».

« C’était une autre réalité pour nous, note Catherine Beaulieu. Une équipe pouvait parler comme ça à un de ses joueurs? C’était encourageant. »

Enveloppé dans la philosophie des Capitals, Fucale a retrouvé sa confiance d’antan. Libéré du poids de ses vieilles frustrations, il a recommencé à avancer.

« Il l’a dit lui-même dans une entrevue : ceux qui n’ont pas cru en lui l’ont aidé à se motiver. Alors on ne peut pas en vouloir à personne. Moi je crois que dans la vie, tu vis tes leçons. Ces leçons-là étaient là pour quelque chose. J’appelle ça un passage obligé. »

« Passage obligé... C’était son chemin, mais t’es quand même pas obligé d’avoir autant de merde, ne peut s’empêcher d’ajouter Jack Fucale. De toute façon, tout est bien qui finit bien. Il ne faut pas oublier qu’hier, c’était magique et extraordinaire. »