Michel Goulet est une gloire des défunts Nordiques de Québec. Personne n'a marqué plus de buts que lui dans cet uniforme. Il est membre du Panthéon de la Renommée du hockey. Son dossard numéro 16 a été retiré, mais il ne se balance pas dans les hauteurs du Pepsi Center de Denver, domicile de l'Avalanche. Seulement au Colisée Pepsi de Québec qui, lui, est appelé à disparaître.

En espérant que l'affront de l'Avalanche, qui ne reconnaît pas ce qui a été bâti durant les 16 premières saisons d'existence de la concession, ne sera pas répété dans le prochain amphithéâtre du maire Régis Labeaume, équipe de hockey ou pas.

Aujourd'hui à l'emploi des Flames de Calgary à titre de recruteur professionnel après avoir été remercié par l'Avalanche, Goulet suit de près ce qui se passe à Québec. Rien de plus normal puisqu'il a donné aux Nordiques 11 des plus belles années de sa vie. Onze ans dans une florissante carrière de 15 ans qui a failli se terminer tragiquement sur la glace du Forum quand il a donné tête première dans la bande.

Il a été blessé gravement à la tête. Il a été inconscient pendant un bon moment. On a craint le pire. Après avoir encaissé un choc du même genre, des athlètes sont restés paralysés pour la vie. Goulet s'en est remis, mais il n'a pas disputé un seul match par la suite. Le hasard a donc voulu que sa carrière prenne fin sur une patinoire où il avait marqué des buts à profusion.

Il ne sait trop pourquoi il a connu autant de succès au Forum. Plusieurs de ses buts ont été obtenus contre Patrick Roy qui se faisait pourtant une spécialité de frustrer les attaquants les plus dangereux du circuit.

«C'était peut-être juste une question d'ambiance, dit-il sans se péter les bretelles. Il y avait de l'histoire dans cet édifice; ça me motivait.»

Faut dire qu'il ne manquait pas de confiance en lui-même, ce qui est le propre des marqueurs nés. Il n'était jamais battu d'avance face à Roy.

«Peu importe contre qui je jouais, je savais dans mon for intérieur que je pouvais réussir quelque chose. Ce fut comme ça jusqu'à ce qu'un fantôme du Forum se lève et que je perde pied sur la glace», ajoute-t-il.

Goulet, on s'en souvient, portait un casque très mince qui n'avait rien d'une véritable pièce de protection. On le lui reprochait souvent, mais les athlètes qui se sentent à l'aise avec leur équipement hésitent à apporter des changements. C'est la première chose que le docteur David Mulder lui ait dite après le terrible choc qui a mis fin à sa carrière. En portant un casque protecteur adéquat, il s'en serait probablement mieux tiré.

«L'impact a été si fort que le côté gauche de ma tête a heurté la bande et que j'ai saigné du côté droit», rappelle-t-il.

Goulet n'a jamais été du genre démonstratif. Il célébrait rarement après un but. Il ne semblait jamais satisfait, jamais content. Quand sa candidature a été étudiée par le comité de sélection du Panthéon, ce comportement est souvent revenu dans les discussions.

Par contre, les chiffres parlaient pour lui. Dans une province considérée comme l'un des berceaux du hockey, il a marqué plus de buts (548) que Maurice Richard (544) et Jean Béliveau (507). Bien sûr, il a disputé 111 matchs de plus que le Rocket et 36 de plus que Béliveau, mais l'exploit est mémorable.

«Pour moi, l'important a toujours été de bien jouer. C'était mon objectif à chaque match. Il y a des athlètes qui sont constamment en demande auprès de leurs employeurs. Ils exigent qu'on leur donne une voiture, qu'on leur accorde ceci ou cela. Je n'ai jamais pensé à ces choses-là. Je voulais juste faire un job, mon job», soutient celui qui est parti de Péribonka, au lac Saint-Jean, pour se hisser parmi les plus grands.

Québec l'a marqué. Après une saison dans l'Association mondiale avec les Bulls de Birmingham, à 18 ans, les Nordiques, en faisant leur entrée dans la Ligue nationale, l'ont repêché. Il s'est tout de suite bien senti en évoluant dans un environnement qui lui permettait de se rapprocher de la maison. C'est à cet endroit qu'il s'est forgé une discipline personnelle. Il dit avoir adopté une approche qu'il a toujours conservée, celle de donner à son équipe une chance de gagner tous les soirs.

«Quand on pratique un sport pour gagner sa vie, rien ne peut battre ça», avoue-t-il.

S'il avait joué à Montréal

Les gens de Québec aimaient leurs Nordiques. La critique envers les joueurs n'était pas aussi sévère qu'à Montréal, mais les joueurs d'impact n'y ont pas échappé. Goulet a été de ceux-là.

«J'ai connu des moments difficiles, surtout à la toute fin, raconte-t-il. Je prenais de l'âge et l'équipe était dans les bas-fonds de la ligue. Je voulais toujours gagner, mais plus rien n'était pareil. Le joueur marginal qui évolue dans une équipe très ordinaire ne souffre pas de cette situation, quand tu as déjà gagné et que tu as déjà connu beaucoup de succès, tu as du mal à te retrouver dans un contexte comme celui-là.»

Un joueur comme lui aurait été très populaire dans une ville comme Montréal qui a toujours eu un faible pour ses vedettes offensives. Il a connu des saisons de 57, 56, 55 et 53 buts, tout en s'approchant de deux autres campagnes de 50 buts avec des productions de 49 et 48 buts. Son entrée dans la Ligue nationale a coïncidé avec la sixième et dernière saison de 50 buts de Guy Lafleur. Quel successeur il aurait représenté pour Lafleur s'il avait fallu qu'il soit repêché par le Canadien!

En 1979, il a été réclamé au 20e rang par Québec. Le Canadien, qui n'avait pas de choix en première ronde cette année-là, a choisi un autre Baby Bulls de Birmingham en deuxième ronde, Gaston Gingras.

«Montréal est un gros marché de hockey. Les choses auraient sans doute été différentes pour moi si j'avais passé ma carrière au Forum. Il n'y avait pas beaucoup de marqueurs de 50 buts dans la ligue. Mais on ne peut pas vivre dans le passé. Quand je suis arrivé chez les Nordiques, c'était l'environnement idéal pour moi», admet-il.

Le départ des Nordiques

Il vivait à Chicago, où il venait à peine d'annoncer sa retraite, quand il a appris la vente des Nordiques à des promoteurs du Colorado. Il a ressenti un pincement au coeur.

Il trouvait surtout regrettable de les voir partir dans un moment où les Nordiques s'apprêtaient à connaître du succès. Leurs années noires leur avaient valu de repêcher Mats Sundin, Owen Nolan et Eric Lindros, tous au premier rang. La transaction de Lindros leur avait permis ensuite d'obtenir cinq joueurs, dont Peter Forsberg. L'avenir était là, tout près.

«On sentait que ça s'en venait, dit Goulet. Si l'équipe était restée une saison de plus à Québec, elle l'aurait eu son nouveau Colisée. Avec une formation comme celle-là, Marcel Aubut aurait pu frapper à la porte des gouvernements qui n'auraient pas eu le choix de contribuer au projet. Après tout, les Québécois avaient englouti combien de centaines de millions dans le Stade olympique?»

Malheureusement pour le public de Québec, Me Aubut n'a pas eu cette patience. Il a préféré vendre l'équipe avant que lui et ses partenaires perdent de l'argent. Valait mieux partir riches et en santé pendant qu'ils le pouvaient. Des partenaires se sont rempli les poches et la population a perdu son équipe.

Si jamais le hockey de la Ligue nationale retourne à Québec, Goulet est convaincu que l'avenir sera nettement plus rose que dans le passé. Il y aura plus de dynamisme autour de l'équipe, selon lui.

«Dans le temps, il fallait faire de grosses relations publiques pour que l'équipe reste présente au Québec, au Canada et dans l'ensemble de la ligue, souligne-t-il. Nous étions vus à la télévision deux fois par mois. Nous n'étions pas suffisamment présents dans le décor. Cette fois, l'équipe aura son propre réseau de télé.»

Goulet reste réaliste, cependant. «Il y aura une période de lune de miel au départ. Ensuite, il faudra que l'équipe connaisse du succès», conclut-il.

Surtout que le Canadien sera nettement meilleur avec un rival menaçant à l'autre extrémité de l'autoroute. Ne serait-ce que pour cela, ce ne sont pas les partisans des Nordiques qui devraient parader à New York pour réclamer le retour des Nordiques. Ce sont ceux de Montréal qui ont beaucoup perdu quand le Canadien, sans une dure compétition provenant de Québec, a cessé de se soucier de l'avenir.

En vacances

Je m'absente durant quelques semaines. Je pars refaire le plein avant les longues séries éliminatoires que nous réserve le Canadien. Après tout, ça sent la coupe, non?

Ouf, je pense que j'ai vraiment besoin de vacances.